Réforme de l'armée : vive controverse autour du remaniement

Jeudi 23 Juillet 2020 - 16:38

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Les dernières nominations opérées dans l’armée et dans la magistrature ont, comme il fallait s’y attendre, crispé davantage les rapports entre les deux partenaires de la coalition au pouvoir, à savoir le Front commun pour le Congo (FCC) et le Cap pour le changement (Cach). La tension est montée d’un cran dans les deux camps sur fond d’une controverse autour de la légalité desdites ordonnances présidentielles rendues publiques le 17 juillet.

 

Le débat juridique enfle dans l’opinion quant à sa portée légale et les arguments se déterminent curieusement selon les appartenances politiques. Ce qui est sûr, c'est que Félix Tshisekedi a frappé fort jusqu’à coiffer au poteau ses partenaires du FCC plutôt surpris par sa détermination à faire bouger les lignes. Son engagement à professionnaliser l’armée s’est traduit par des changements notables à la tête de quelques commandements militaires au grand dam de la « Kabilie » dont certains officiers aux ordres se sont vu délester de leurs postes à l’image du célébrissime John Numbi.

Tout ceci n’était pas du goût du FCC qui a vite enfourché la trompette de la contestation. C’est non sans raison que Sylvestre Ilunkamba a piqué une sainte colère estimant avoir été floué dans un dossier dont il ne maîtrisait ni les tenants, ni les aboutissants. En déclarant à partir de la capitale cuprifère où il était en mission officielle n’être pas au courant de ces nominations prises à son insu et sans son contreseing, le Premier ministre a, du coup, jeté l’opprobre sur « son » gouvernement en mettant à nu son dysfonctionnement. En tant que Premier collaborateur du chef de l’Etat tenu par des devoirs de réserve, l’homme aurait du recourir à d’autres canaux que les médias pour manifester sa désapprobation, fait-on observer. Qu’il ait appris comme « monsieur tout le monde » lesdites nominations, cela dépasse tout entendement et suscite bien d’interrogations sur les ressorts de celui qui est censé être informé, en temps réel, de toutes les tractations impliquant son institution.

Pour de nombreux analystes, les arguments qu’évoque le Premier ministre pour récuser les ordonnances présidentielles, notamment le caractère particulier du contreseing qui relèverait, d’après lui, de sa « compétence exclusive » attachée à sa qualité de Premier ministre, ne tiennent pas la route. D’aucuns estiment que le vice-Premier ministre (VPM) de l’Intérieur, Sécurité et Affaires coutumières, Gilbert Kankonde, était bien dans son rôle en tant que ministre préséant en contresignant ces ordonnances, d’autant plus qu’il  assurait l’intérim de son titulaire en déplacement. De la sorte, argue-t-on, il avait les pleins pouvoirs d’agir conformément à cette qualité circonstancielle qui ne pouvait se limiter, sauf mauvaise foi, à l’expédition des affaires courantes, ou encore à la seule réception des courriers adressés au Premier ministre. En tant qu’intérimaire, le VPM Gilbert Kakonde est resté dans les limites de ses prérogatives sans empiéter sur celles du Premier ministre. Il n’a pas posé un acte de disposition engageant l’institution, ni nommé ou investi une quelconque personne, auquel cas il ferait ombrage à son titulaire, soutiennent non sans raison ses défenseurs.

De nombreux juristes interrogés à ce sujet s’étonnent de l’agitation qui s’observe, particulièrement dans le camp du FCC, autour du contreseing qui n’a pour valeur juridique que d’authentifier la signature précédente et d'endosser éventuellement la responsabilité et l'exécution de l’acte posé. Sous le sceau de l’anonymat, un praticien de droit lève l’équivoque en ces termes : « Le contre signataire n'est pas co-auteur de l'acte contresigné. La présence sur un acte même d'un contreseing qui n'était pas requis n'affecte pas la légalité de cet acte ». Autrement dit, le contreseing d'un VPM qui assume l'intérim du Premier ministre en toute légalité ne viole aucune disposition ni légale, ni constitutionnelle. Autant dire que l’alinéa 2 de l’article 90 de la Constitution a été bel et bien respecté. C’est ici le lieu de rappeler que des cas de jurisprudence sous la gestion de Joseph Kabila existent. Les VPM She Okitundu et José Makila ont eu, sous leurs mandats, à contresigner des ordonnances présidentielles alors qu’ils assumaient l’intérim du Premier ministre Bruno Tshibala, sans que cela n’émeuve personne.

Le contreseing n'étant, en somme, qu’une simple formalité, la polémique actuelle ne se justifie donc pas. A moins que le FCC ait un autre agenda politique. Si non, la meilleure des choses, pour cette plate-forme politique, serait de saisir le Conseil d’Etat pour abus de pouvoir, ou encore la Cour constitutionnelle pour inconstitutionnalité.

Alain Diasso

Légendes et crédits photo : 

Félix Tshisekedi et les hauts gradés des FARDC

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