Santé publique : le tradipraticien, un acteur marginalisé

Lundi 17 Décembre 2018 - 15:03

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80% de la population, en Afrique, recourt à la médecine traditionnelle. Mais ses ptraticiens, au nombre desquels les accoucheuses traditionnelles, les herboristes et les tradithérapeutes restent méconnus par les pouvoirs publics. Leur activité demeure très peu réglementée dans plusieurs pays du continent.

Le tradipraticien est une personne reconnue par la collectivité dans laquelle elle vit comme compétente pour diagnostiquer des maladies et invalidités qui y prévalent et dispenser des soins de santé grâce à l’emploi de substances végétales, animales ou minérales et d’autres méthodes fondées le socioculturel et la religion mais aussi sur les connaissances, comportements et croyances liés au bien-être physique, mental et social de la collectivité.

Les dix-sept pays membres de l’Organisation africaine de la propriété intellectuelle comprennent la notion de tradipraticien. Celui-ic est considéré comme le dépositaire du savoir ancestral qu'il a pour mission de répandre dans la société. Le recours à lui résulte aussi bien de la science qu’il possède ou est censé posséder que du sentiment qu’a la société de passer par cet intermédiaire utile pour obtenir l’opinion des ancêtres. Cependant, son activité continue de susciter la réprobation des praticiens de la médecine conventionnelle.

La médecine à base de plantes naturelles ne présenterait pas de sérieux dangers, notamment en raison de la difficulté à prescrire de bons dosages. Le corps des médecins regarde avec un mélange de crainte et de mépris '' ce corps étranger'' pénétrer dans le domaine de la médecine, fondant son argument sur une certaine idée de l’intérêt général de la santé que seuls leurs principes pourraient conserver.

Des consultation moins coûteuses chez le tradipraticien

Ces arguments ne résistent à l’observation ni des faits ni du droit. Sur le plan factuel, l’enthousiasme suscité par l’extension de la médecine conventionnelle s’est vite estompé devant la révélation d’obstacles difficiles à surmonter pour la population. Ainsi, l’insuffisance d’accès aux médicaments essentiels et le faible pouvoir d’achat de la population justifient le renouvellement de l’engouement pour la médecine traditionnelle. Rien que pour les frais de visite médicale, le montant varie entre à 10 et 15 000 F CFA pour les médecins, alors que les tradipraticiens accepteraient volontiers le dixième ou moins du même montant pour des prestations de qualité acceptable, si l’on en juge par la fréquence de leur clientèle.

Au demeurant, le tradipraticien bénéficie de la légitimité sociale et culturelle de la communauté au sein de laquelle il déploie son savoir. Sa contribution à la couverture des soins de santé primaires de la population et en particulier de la population rurale est importante. Et justement, la santé publique ou santé de la collectivité est le niveau de santé d’une population. Elle regroupe l’ensemble des moyens collectifs susceptibles de promouvoir la santé et d’améliorer les conditions de vie. Toutes choses auxquelles entend se dévouer le tradipraticien. En outre, en considérant qu’une part importante de médicaments modernes est préparée à base de plantes qui ont au départ été utilisées traditionnellement, l’on mesure l’enjeu des savoirs dont ces acteurs sont dépositaires.

Absence d'une reconnaissance juridique dans de nombreux pays africains

Sur le plan juridique, la reconnaissance formelle de l’activité de tradipraticien de santé tarde à prendre forme. Un clair-obscur qui est source d’incertitude aussi bien pour les praticiens que pour les patients persiste. Quelques pays d’Afrique francophone ont prévu un cadre légal d’exercice de la médecine traditionnelle, se traduisant par l’existence d’un texte juridique réglementant la pratique. C’est le cas pour le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée Équatoriale, le Mali, le Niger et la République centrafricaine. Par exemple, l’article 141 alinéa 2 du code burkinabé de la santé exprime de manière fort édifiante que ''l’exercice de la médecine traditionnelle est assuré par un tradipraticien de santé''. Même si un cadre similaire fait encore polémique dans des pays comme le Sénégal ou le Cameroun, en règle générale, il semble que la difficulté soit plutôt au niveau du choix des mécanismes les plus appropriés pour encadrer l’activité. La pratique étant généralement acceptée par la population, il s’agirait de trouver des mécanismes qui ne remettent pas en cause la légitimité des médecins conventionnels. Mais ainsi que l’a souligné la juriste Victorine Kuitche Kamgoui, l’absence de réglementation légale de la médecine traditionnelle à elle seule ne saurait justifier l’assimilation éventuelle de l’activité du tradipraticien à l’exercice illégal de la médecine. La complexité d’un système qui ne réprime pas l’exercice de la médecine par les personnes non habilitées et qui, de surcroît, leur accorde des autorisations légales d’exercer en associations, laisse apparaître un véritable décalage entre l’apparente sévérité de la loi et son exécution pratique. Le rôle d’acteur de santé publique du tradipraticien ne lui est pas conféré par le droit : c’est un constat. La question des modalités de reconnaissance de ces acteurs est également présente à des degrés divers en Amérique, en Asie ou en Europe.

La tradition reléguée au second plan

En Afrique francophone, la problématique est symptomatique des crises civilisationnelles que traverse la société. Dans une perspective historique, les pays de cette région ont tous connu la domination étrangère, avec pour conséquence une tendance à placer dans un rapport hiérarchique la médecine moderne au-dessus de la médecine traditionnelle. Cette configuration des choses se reflète également dans les activités de codification des règles de vie en société, avec une grande tendance à reléguer au second plan, si ce n’est ignorer les pratiques relevant de la tradition. Or, il est important d’établir des règles claires pour régir l’activité des tradipraticiens. Des exemples réussis, comme ceux de la médecine traditionnelle chinoise, pourraient inspirer le législateur. En tout état de cause, réglementer l’activité du tradipraticien permettrait d’évaporer le brouillard qui entoure son exercice et d’apporter un surplus de sécurité juridique et sociale tant pour les tradipraticiens et les praticiens de la médecine conventionnelle que pour les patients. Il y va du bien-être physique, mental et social de chaque composante de la société, d’ici et d’ailleurs.

Noël N'dong

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