Sylvie Dossou : « Parmi les défis à relever, citons notamment celui de la pauvreté »

Jeudi 16 Janvier 2014 - 19:00

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Du portefeuille de la Banque mondiale à la croissance qui ne profite pas aux populations en passant par les nouveaux financements dont bénéficient désormais la République du Congo, et les enjeux de la diversification économique, la représentante de l’institution bancaire, Sylvie Dossou, étaye davantage. Elle a accordé une interview exclusive auprès de trois journalistes : Christian Brice Elion de Congo site, Alphonse Ndongo de Terre Africa et Nancy France Loutoumba des Dépêches de Brazzaville

Les Dépêches de Brazzaville : Quel est le nombre de projets de la Banque mondiale ? À quel volume financier correspond-il ?

Sylvie Dossou : Le portefeuille de la Banque mondiale a plus au moins 8 projets avec 1 projet régional, celui du CAB (Central Africa Backbon) et deux autres en préparation. L’ensemble des projets cofinancés au Congo représenterait 500 millions de dollars. Nous intervenons dans la plupart des secteurs d’activité, tel le secteur économique dans le cadre du climat des affaires, et du développement urbain (eau, électricité, des secteurs stratégiques). Nous intervenons aussi dans le secteur de la forêt. Nous avons un autre volet social, la santé, la formation professionnelle, l’éducation. Ce sont des secteurs que nous pensons absolument importants pour lesquels le Congo, malgré le fait qu’il soit un pays à revenu intermédiaire, a des performances qui ne sont pas toujours à son niveau.  

LDB : La visibilité de l’un des projets, le Préabase, n’est pas ressentie et les questions demeurent toujours. Quelle est votre lecture sur ce projet ?

S.D. : L’éducation est un secteur fondamental. Si un pays veut devenir émergent, il doit avoir une population éduquée. Je pense que des défis importants subsistent. Nous constatons qu’il y a toujours des salles de classe surpeuplées, des infrastructures scolaires qui sont dans un état catastrophique, etc. Notre projet Praebase a eu une contribution avec 9.000 salles de classes réhabilitées, plus de 8.000 enseignants formés et nous avons distribué plus de 3 millions de livres. C’est un projet qui a eu un certain impact, mais nous sommes en train de l’évaluer. Ce qui est important pour la banque est que lorsque nous menons un projet, c’est pour le gouvernement. Le projet a pris fin le 30 juin 2013, ce qui est essentiel pour nous c’est son évaluation et de façon très scientifique.

LDB : Nous étions habitués au financement IDA et maintenant le Congo a accès au financement Bird. Qu'en est-il de la Bird ?

S.D. : La Bird est la Banque internationale pour la reconstruction et le développement. Elle fait partie du groupe de la Banque mondiale destiné aux pays à revenu intermédiaire. Pour le Congo, nous considérons d’après l’évaluation de la Banque mondiale, que le revenu par habitant est d’environ 2.500 dollars, revenu au-delà du seuil de la pauvreté qui est de 1.500 dollars par habitant. Lors de notre assemblée annuelle pour la Banque mondiale, on reçoit le gouvernement pour discuter. Le cas du Congo après une évaluation de sa solvabilité, avait demandé à avoir accès aux ressources Bird. À ce niveau, le volume de financement est beaucoup plus important que celui de l’IDA. Il est octroyé à des pays sous forme de prêt mais sur une longue durée et avec des taux d’intérêt beaucoup plus faibles que ceux du marché international. C’est une opportunité importante pour le Congo parce que cela lui permettra de financer des investissements structurants, d’infrastructures, etc.

LDB : Qu’est-e qui a occasionné ce changement que le Congo, considéré pays pauvre, soit déclaré pays à revenu intermédiaire ?

S.D. : Le Congo a connu un taux de croissance soutenu et les réserves fiscales sont très positives (5 milliards de dollars), assez considérables, ce qui peut protéger le pays contre un éventuel choc pétrolier. Le niveau de la dette est aussi bas depuis l’atteinte du point d’achèvement en 2010, le niveau de la dette représentant 25% du PIB. Avec les nouvelles réformes entreprises, notamment le nouveau code des marchés, la gouvernance du pays, particulièrement dans un contexte où le budget est très important de près de 4 milliards de dollars, il est important que les passations de marché se fassent en toute transparence. On n’octroie pas des marchés à des amis. Les perspectives économiques sont très positives notamment le développement des secteurs qui sont hors pétrole, tel les mines, l’agriculture. C’est l’ensemble de ces facteurs qui nous ont permis de dire que le Congo a des potentialités et qu’il pourrait donc accéder à cette fenêtre Bird qui devrait lui permettre d’avoir des financements beaucoup plus importants.

LDB : Quels sont les défis qui subsistent afin que le Congo devienne pays émergent ? 

S.D. : Le Congo a connu un taux de croissance de plus de 5% depuis plus de 5 années malgré le contexte international morose. Le taux d’inflation est maîtrisé. De façon générale, les fondamentaux de l’économie congolaise sont solides. Cependant pour qu’un pays puisse prétendre être un pays émergent, il y a encore des défis à relever notamment le plus essentiel est celui de la pauvreté (46% de la population vit avec moins d’1 dollar par jour). Ce taux de pauvreté est à mettre aussi en relation avec le chômage. Nous vivons un paradoxe dans le pays. Nous pensons qu’il faut créer des emplois pour résorber ce problème de pauvreté. Aussi la meilleure façon est de permettre un tissu de PME et PMI solides à mettre en place. Cela rejoint la question du climat des affaires qui au Congo n’est pas des meilleurs. Beaucoup de contraintes sont rencontrées par des gens lorsqu’ils veulent créer leurs entreprises. Aussi la croissance n’est pas inclusive, elle est tirée par le pétrole qui domine l’économie, qui malheureusement, est volatile et ne génère pas d’emplois. De façon générale, la diversification de l’économie est absolument essentielle. Le Congo a un potentiel pour le faire surtout dans l’agriculture, la forêt. Les secteurs qui sont porteurs dans l’industrie légère sont d'autres défis, ajouté à la question de l’accès à l’électricité, à l’eau. Malgré les investissements importants dans ce dernier secteur, les foyers, les entreprises n’en bénéficient pas. S’agissant de l’électricité, nous souffrons toujours de  coupures de courant qui rendent les entreprises non compétitives car cela alourdit les charges de production et affecte tous les secteurs de l’économie, la société et les conditions de vie. Je crois que le gouvernement est conscient de cela. Enfin, des réformes ont été mises en place mais elles nécessitent d’être accélérées et renforcées.  

LDB : Pourquoi le secteur pétrolier ne génère-t-il pas assez d’emplois ?

S.D. : Parce que c’est un domaine assez technique où on n’a pas besoin de beaucoup de ressources humaines. Il y a toute une infrastructure industrielle qui est mise en place. Le gros problème avec le pétrole est que c’est un produit volatile et pas éternel.

LDB : Pourquoi ne peut-il pas y avoir diversification dans le domaine du pétrole ?

S.D. : Au niveau du plan national de développement, il est prévu une grappe mine, où le sous-secteur pétrole est retenu, dans le sens où cette branche peut conduire le pays sur une base industrielle. La diversification n’est pas d’abandonner le secteur pétrolier. Tout le pétrole est exporté ailleurs de façon brute alors qu’il y a possibilité d’exploiter tout sur place et d’exporter un produit fini. Comme cela on pourra bénéficier des valeurs ajoutées dans la chaîne de production.

LDB : Concernant la diversification économique, l’aide de la Banque mondiale ne va-t-elle s’arrêter qu’à l’expertise ?

S.D. : La diversification est importante car le Congo a d’autres atouts, tels que dans l’agriculture avec 10 millions d’ha de terre arable et pour le moment, on ne cultive environ que 10% de ces terres. C’est la même chose pour la forêt où le Congo possède 22 millions d’ha. Ainsi l’agriculture me paraît absolument importante car elle permettrait de lutter contre la pauvreté et en même temps d'avoir une sécurité alimentaire, une autonomie de lutter contre la malnutrition. Et il me semble être un secteur où le Congo a du potentiel qu’il n’exploite pas. C’est la même chose pour le tourisme, les techniques de communications ; aujourd’hui la connexion Internet reste peu accessible. La Banque mondiale n’accompagne pas seulement le Congo en besoin de formation mais aussi dans le management notamment avec l’accès au crédit. Il faut refaire l’entreprenariat congolais, il faut le créer. On doit arriver à de nouveaux types d’entrepreneurs. La meilleure façon de tuer les PME-PMI c’est de ne pas payer sa facture lorsqu’elle a effectué son service. Je pense que l’on ne peut plus avoir d'emploi à la fonction publique. Il faudrait que les Congolais apprennent à créer leur propre structure. Et à l’État d’honorer son engagement de payer sa facture pour les encourager à continuer d’entreprendre.

LDB : Que pensez-vous du forum Build Africa qui se tiendra du 3 au 7 février ?

S.D. : Le Congo a connu un grand déficit en infrastructures depuis des décennies et cette situation constitue un gap pour son développement. Je crois que c’est une bonne chose que le Congo puisse investir de l’argent pour améliorer ses infrastructures car cela est fondamental pour impulser le développement économique. Seulement, c’est quelque chose pour lequel le gouvernement doit faire attention afin que ses investissements soient de qualité, c’est-à-dire dans le choix de l’investissement. Ce forum donne de la visibilité au Congo et il est important d’attirer des investisseurs pour aider le Congo à construire des infrastructures adéquates. 

Nancy France Loutoumba

Légendes et crédits photo : 

L'interview dans le bureau de la représentante de la Banque mondiale, crédit photo Adiac