Trafic d’ivoire : source croissante de conflits en Afrique

06-12-2013 10:00

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On estime que 30 000 éléphants ont été abattus en Afrique en 2012, soit en valeur marchande, 23 milliards d’euros générés par un trafic illégal alimenté par le braconnage. Ce trafic occupe le quatrième rang mondial après celui de la drogue, de la fabrication de la fausse monnaie et de la traite des êtres humains. Mais il est encore très peu sanctionné

La directrice d’Ifaw, Céline Sissler-Bienvenue, affirme que l’ivoire peut être vendu au marché noir jusqu’à 2 500 dollars le kilo à des collectionneurs asiatiques. Elle note une forte militarisation des groupes pratiquant le braconnage à cheval en Afrique centrale, « abattant tout un troupeau à l’arme automatique ». Et derrière la mort des éléphants, c’est une centaine d’écogardes qui sont éliminés chaque année dans la confrontation avec des braconniers. Elle prône une sanction des braconniers au même titre que les trafiquants d’armes et de drogue.

Le secrétaire général d’Interpol, Ronald K. Noble, souligne le rôle croissant de son agence en matière de lutte contre les atteintes à l’environnement, par exemple en coordonnant l’opération Wendi dirigée contre le trafic d’ivoire d’éléphant en Afrique centrale et de l’Ouest avec les bureaux d’Abidjan (Côte d’Ivoire) et de Yaoundé (Cameroun). Cette opération a abouti à l’arrestation de plus de soixante personnes et à la saisie de 4 000 articles en ivoire. Il encourage les pays à participer au Programme des Nations unies pour l’environnement. En Afrique de l’Est, le commerce illicite de l’ivoire aura conduit au braconnage de 6 000 à 16 000 éléphants annuellement. Face à l’explosion de cette criminalité, Ronald K. Noble appelle à l’unité pour définir les mesures propres pour aider les pays « à combattre le fléau et à venir à bout ».

Nombre de spécialistes pensent que le trafic de défenses d’éléphant est devenu une filière du crime organisé, dont le principal client est la Chine. On parle de guérillas armées et de mafieux se partageant une ressource qui pourrait bientôt ne plus exister. Parfois collecté dans des zones d’affrontement isolées, échangé contre de l’argent liquide, l’ivoire serait devenu une source croissante de conflits en Afrique. C’est le cas pour plusieurs groupes armés, comme l’Armée de résistance du Seigneur (LRA), un mouvement de rébellion ougandais ; les milices somaliennes d’Al-Shabad ; et les Janjawid du Darfour, qui chassent expressément les éléphants pour leurs défenses, ensuite vendues pour l’achat d’armes.

Ces groupes sont associés à des syndicats du crime organisé, expédiant de l’ivoire dans le monde entier, profitant des difficultés des États, de la porosité des frontières et des complicités partant de l’Afrique jusqu’en Chine. Mais ils ne sont pas les seuls à profiter du trafic de l’or blanc.  Plusieurs membres d’armées africaines formées et financées par le contribuable américain ont été impliqués dans des chasses illégales à l’éléphant et la vente de l’or blanc. Il s’en est suivi des arrestations. Jusqu’à 75% de l’ivoire illégal est destiné à la Chine, selon les spécialistes, où ce matériau est recherché depuis la nuit des temps. En 2012, plus de 150 ressortissants chinois ont été arrêtés pour son trafic.

Dans la zone comprise entre le nord du Cameroun, le nord-est de la Centrafrique et le sud du Tchad, le braconnage est devenu une menace pour la paix et la sécurité. Pour certains spécialistes, la gouvernance est le principal facteur qui influe sur le braconnage de l’éléphant. La Communauté économique des États de l’Afrique centrale a pris à bras le corps la question en organisant en mars dernier une réunion au niveau ministériel sur la lutte contre le braconnage, qui s’est conclue par l’adoption d’un programme de lutte contre le braconnage, dénommé « Déclaration sur la lutte antibraconnage en Afrique centrale ».

Un plaidoyer qui alourdit les peines des trafiquants d’ivoire et une collaboration entre les États peuvent servir la cause des éléphants et celle d’autres espèces animalières comme le rhinocéros.

Pourquoi intégrer le développement durable à un sommet sur la paix et la sécurité ? Le réchauffement climatique et, plus globalement, la préoccupation du développement durable ne sont pas sans incidence sur les questions sécuritaires. Mouvements de populations liées à la dégradation de l’environnement, conflits provoqués par des ressources naturelles de plus en rares, tensions sociales exacerbées par la flambée des prix alimentaires sont quelques exemples que l’on peut citer pour se convaincre que la sécurité internationale devrait être intégrée dans le débat environnemental. Cette approche n’a pas été retenue lors de la dernière conférence des Nations unies sur le développement durable, Rio+20 qui s’est tenue au Brésil en juin 2012, mais le changement climatique est l’une des trois grandes thématiques qui seront abordées lors du sommet de l’Élysée pour la paix et la sécurité en Afrique. Le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, avait décrit le conflit du Darfour comme le premier conflit lié au changement climatique, l’une des causes avancées de ce conflit étant la raréfaction de l’eau. Des chercheurs américains ont publié une série d’études basées sur des données empiriques comparant les hausses de températures en Afrique subsaharienne et leur incidence sur les conflits. Selon eux, une hausse de température de 1% entraînerait un risque accru de guerre civile de 4,5% la même année et de 0,9% l’année suivante. Cependant, les experts ne sont pas unanimes. Selon le Pr. Vesselin Popovski, responsable du programme académique sur la paix et la sécurité à l’Institut universitaire des Nations unies, « les causes de conflit sont essentiellement politiques et économiques, et non climatiques. Les seigneurs de la guerre, qui encouragent les conflits, peuvent exploiter la sécheresse, les inondations, la faim, les catastrophes agricoles ou naturelles dans leurs stratégies, comme ils l’ont fait en Somalie et au Darfour. Mais ce qui motive leurs combats n’est ni la pluie, ni la température, ni le niveau de la mer. Ils se battront toujours pour les mêmes objectifs : le pouvoir, le territoire, l’argent, la vengeance, etc. » Rose-Marie Bouboutou
Noël Ndong