Troisième mandat pour Joseph Kabila : le débat juridique s'accentue

Lundi 21 Mai 2018 - 15:45

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Une discussion purement académique alimente la chronique politique de ces dernières heures. Constitutionnalistes, acteurs politiques et membres de la société civile s'opposent sur l’éligibilité de l'actuel chef de l'État qui a déjà épuisé ses deux mandats constitutionnels.    

 À la veille du dépôt des candidatures à la présidentielle, fixée selon le chronogramme de la Commission électorale nationale indépendante d’ici au 25 juillet, le ciel demeure toujours brumeux quant à la désignation par Joseph Kabila d’un dauphin censé lui succéder à la magistrature suprême du pays. La question n’est visiblement plus à l’ordre du jour au sein de la majorité présidentielle (MP) qui, pour l’heure, scrute plutôt l’option du maintien de son autorité morale à la tête de la RDC. Elle roulerait présentement pour sa candidature à la présidentielle du 23 décembre. Ce qui, en somme, n’est plus qu’un secret de polichinelle. Dans les milieux intéressés, la possibilité d’un troisième mandat pour Joseph Kabila, présenté d’ores et déjà comme virtuel candidat à sa propre succession au mépris de la Constitution et de l’accord de la Saint-Sylvestre, est de plus en plus évoquée avec une assurance qui laisse pantois bien d’observateurs.

La question que ces observateurs se posent est de savoir comment la MP entend s’y prendre pour assurer une nouvelle éligibilité au chef de l’État sortant, à qui la Constitution interdit de briguer un troisième mandat après avoir épuisé ses deux premiers au terme des élections de 2006 et 2011. Là-dessus, une thèse concoctée par des juristes proches de la plate-forme présidentielle laisse entendre que la modification de la loi électorale, due à la révision de la Constitution en 2011, offre une brèche à Joseph Kabila pour solliciter à nouveau le suffrage des Congolais. Le passage du scrutin présidentiel de deux à un tour, en 2011, ainsi que le passage de la majorité absolue à une majorité simple auraient ipso facto interrompu le comptage des mandats. Et en vertu du régime juridique ainsi modifié, le nouveau comptage du mandat présidentiel est censé débuter à partir de 2011 et non de 2006. En foi de quoi, Joseph Kabila devrait épuiser son deuxième et dernier mandat qui n’a jamais débuté, entend-on dire.

Cette thèse est largement soutenue par la MP qui ne jure plus que par la carte Kabila. De passage récemment à Mbandaka (province de l’Équateur), Emmanuel Shadari, le secrétaire général du PPRD, a martelé sur cette éventualité faisant de Joseph Kabila le centre d’intérêt d’une famille politique qui n’a plus d’alternative en dehors de son leader pour affronter les urnes. Toutes les stratégies sont dorénavant mises à contribution pour faciliter cette candidature à la prochaine présidentielle, sans forcément toucher à la Constitution. Ayant rangé dans le placard le projet référendaire avec tout le risque d’un soulèvement populaire - les évènements de janvier 2015 faisant jurisprudence -, la « Kabilie » aurait opté finalement pour  ce scénario qui impliquerait forcément l’aval de la Cour constitutionnelle. C’est elle qui sera appelée à statuer en dernier ressort sur cette proposition en interprétation de la Constitution. À propos, la dernière ordonnance présidentielle nommant trois membres de cette haute juridiction du pays afin de combler le vide créé par la démission de deux juges et le décès d’un autre est interprétée comme la concrétisation de ce dessein. Avec l’appui des juges conditionnés dont le très controversé Jean Nkulu qui avait pris la défense de Joseph Kabila lors du contentieux électoral de 2006 et 2011, l'opinion se convainc que la MP est prête pour sa stratégie. Cette recomposition de la Cour constitutionnelle paraît ne pas contenter certains acteurs politiques de l’opposition pour qui les dés sont déjà jetés et qu’il ne resterait plus qu’à la haute Cour d’achever le processus de représentation de Joseph Kabila pour un troisième mandat.

Par ailleurs, certains juristes récusent la thèse d’une nouvelle Constitution  qui aurait pour effet de remettre le compteur à zéro, Joseph Kabila pouvant briguer un troisième mandat. Pour la plupart proches de l’opposition, ces juristes soutiennent qu'il n’y a jamais eu de modification de la Constitution en 2011 qui entraînerait une nouvelle, mais bien une simple révision sans effet suspensif ni interruption des effets des articles révisés. « L’exception de non-continuité est admise au cas où le législateur l’aurait expressément prévue dans l’article révisé. En 2011, le législateur ne l’a pas prévu. Le circuit de la computation des mandats du président de la République n’a donc pas été atteint en interruption. D’où, il y a continuité de computation », a expliqué le constitutionnaliste Masegabio, cité par Africanews.

Une chose est vraie, une candidature éventuelle de Joseph Kabila aux élections de décembre fera naturellement tâche d’huile avec de grandes répercussions au niveau de l’opinion publique, même si jusque-là la présidence de la République a qualifié cela« d’intox.» Quitte à bien gérer les remous sociaux qui, éventuellement, pourraient se manifester à l’occasion.   

Alain Diasso

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