Un entretien avec Henri Lopes à lire sur le site du Point Afrique

Lundi 4 Janvier 2021 - 16:06

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Dans un long entretien publié dans Le Point Afrique, Henri Lopes aborde des sujets phares qui ont marqué ses années de jeunesse, sa vie d’homme politique et d’écrivain. Extraits.

Présents dans les grands moments de l'histoire du continent africain comme le rappellent les auteurs de cette interview*, homme politique et écrivain « incontournable des lettres d’Afrique » à travers des œuvres majeures (Tribaliques, Le Pleurer-rire…), Grand Prix littéraire d’Afrique noire, Henri Lopes est un « témoin essentiel » de quarante ans  d’indépendances. C’est ce qu’il ressort de cette longue interview où Henri Lopes évoque les années d’indépendance, de Gaulle et Brazzaville, la colonisation, le racisme, le métissage, la négritude, l'universalisme…

Et la littérature bien sûr à laquelle il consacre aujourd’hui tout son temps. Sur son parcours littéraire et ses influences, Henri Lopes parle de la découverte de Senghor : « Modelé dans le moule de l'Université française je pensais, pour paraphraser La Bruyère, que tout avait été dit et que je venais trop tard ». Observe-t-il en ouvrant des directions inattendues : « Or, la lecture de La nouvelle anthologie de la poésie noire et malgache de Senghor a ébranlé mes certitudes et a constitué mon chemin de Damas. Elle m'a révélé des individus, des paysages. Le monde des deux saisons, celui de la Croix du Sud, des odeurs, des rythmes et des sons étaient absents du monde des livres et qu'il fallait leur y ménager leur place. »

Interrogé sur le travail de mémoire et sur les célébrations à Brazzaville fin octobre autour du souvenir du Général de Gaulle, Henri Lopes note que la valorisation du passé résistant de Brazzaville est relativement récente. « C'est le président Denis Sassou N'Guesso qui, le premier, a introduit dans notre calendrier ces grands moments d'une histoire qui est la nôtre, explique-t-il. La décision de faire revenir à Brazzaville les restes de Savorgnan de Brazza et de sa famille marque le début de l'affirmation d'une volonté de s'approprier et d'assumer l'histoire du Congo dans sa globalité. »

Plus loin, de sa jeunesse et de ses années étudiantes à Paris jusqu’à l’indépendance, il rappelle sa période militante, son adhésion à la FEANF (Fédération des étudiants d'Afrique noire en France) et au Parti africain de l'indépendance. Sa participation en 1959 au Festival mondial de la jeunesse et des étudiants qui se déroule à Vienne, en Autriche « une ambiance festive et exaltante qui va constituer le terreau sur lequel vont germer nos convictions révolutionnaires ».

Grand témoin des révolutions en Afrique, il explique la genèse du parti unique de masse d’inspiration marxiste-léniniste dans de nombreux pays d’Afrique francophones et anglophones et du rôle joué par les anciennes puissances coloniales. Il évoque le discours de La Baule du président Mitterrand (juin 1990), la fin de l'apartheid en Afrique du Sud (juin 1991) qui vont remettre en cause ce système tandis que des pays comme le Congo ou le Burkina Faso se lancent « dans la mise en place de régimes révolutionnaires avec des partis qualifiés d'avant-gardistes, souvent uniques, fondés sur l'adhésion volontaire de ses membres »...

Interrogé sur la notion d’indépendance, il a ces mots : « Je me demande souvent si, au bout du compte, l'accession à la souveraineté nationale n'a pas été, le plus grand ébranlement, la révolution la plus totale, éprouvée par l'homme africain. Il faut avoir vécu la colonisation pour en avoir conscience. Qu'il s'agisse du régime de la colonisation de peuplement, où le colonisateur implantait son église et son cimetière dans la colonie, qu'il s'agisse de la colonisation totalitaire d'exploitation, l'une et l'autre pratiquaient un système d'apartheid avant la lettre. » Un système, rappelle-t-il, qui reposait sur une idéologie selon laquelle certaines races étaient supérieures à d'autres.  Avec cette conclusion sans appel : « La fin du système colonial avec la fin de la soumission d'un groupe d'hommes à un autre constitue véritablement un changement brutal dans la vie la plus intime du colonisé. »

Autre sujet phare – entre autres – abordé dans cet entretien : la négritude. De sa prise de position au Festival des arts panafricains à Alger en 1969, il précise : « Je n'ai pas dénoncé la négritude. J'en ai fait une critique, en la passant à l'étamine de ma réflexion. Une dénonciation aurait signifié le rejet en bloc du concept, ce qui aurait été absurde. La négritude a été nécessaire à un moment de notre histoire parce que la colonisation reposait sur le racisme et l'idée que le Noir était inférieur. La négritude, c'est ce que les Africains-Américains exprimeront plus tard par Black is Beautiful. Ce que Adotévi, Obenga, Tati-Loutard et moi voulions dire à Alger, c'était que le monde avait changé depuis le lancement du mouvement de la négritude ; qu'il fallait non pas rejeter ce paradigme, mais le dépasser, tout en le conservant comme un élément de notre patrimoine culturel… »

Il poursuit : «… Sur le plan politique, l'heure était au panafricanisme. Même les Noirs américains, qui avaient, à l'origine, inspiré les pères de la négritude, ne se définissaient plus par la couleur de leur peau, mais par leur origine, en se déclarant African Americans (Africains-Américains). Enfin, certains d'entre nous, à l'instar de Wole Soyinka, percevaient la négritude comme une attitude misérabiliste et prônaient au contraire une attitude positive de combat : « Le tigre ne crie pas sa tigritude, il bondit sur sa proie. »

Avant de conclure sur ce sujet : « Je ne pense pas que les combats actuels contre le racisme tournent le dos à l'universalisme. Au contraire, ils s'insèrent dans le sillage des luttes pour les droits humains et civiques. Proclamer « Black Lives Matter (les vies des Noirs comptent) » ne signifie pas que ces vies-là sont supérieures aux autres, mais qu'elles leur sont égales et non inférieures. N'est-ce pas là rappeler l'universalité du genre humain ? ».

* Propos recueillis par Valérie Marin La Meslée et Malick Diawara. Une interview à lire dans son intégralité sur le site Internet du Point Afrique
https://www.lepoint.fr/afrique/henri-lopes-il-faut-labourer-les-eaux-tumultueuses-de-l-afrique-24-12-2020-2407012_3826.php

Henri Lopes travaille actuellement sur son prochain roman qui se situe au Congo à la fin des années soixante. Un récit conté en français de Poto-Poto… « La langue est aussi importante que l'intrigue » rappelle l’écrivain.

« Le monde des deux saisons, celui de la Croix du Sud, des odeurs, des rythmes et des sons étaient absents du monde des livres… »

« Les combats actuels contre le racisme ne tournent pas le dos à l'universalisme »

Julia Ndeko

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