Valérie Kabeya  : « Je souhaite mettre mon expertise au service de la RDC »

Jeudi 27 Juin 2019 - 18:30

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Valérie Kabeya est la directrice marketing chez Comcast, groupe de médias, premier câblo-opérateur aux États-Unis et deuxième entreprise de radiodiffusion et de télévision par câble au monde en termes de revenus. Elle y est en charge de l’innovation des technologies de l’information et de la communication ainsi que de la stratégie sur tout le territoire américain. Aux États-Unis depuis 1998, elle réside actuellement dans la ville de Philadelphie et souhaite mettre son expertise au service de son pays d'origine en matière d'innovation dans les technologies de la communication.

Le Courrier de Kinshasa ( L.C.K.) : Quel est votre parcours académique et professionnel  ?

Valérie Kabeya ( V. K.) : Je suis détentrice d’un diplôme en administration des affaires, obtenu à l’université jésuite « Regis University » à Denver, dans le Colorado. J’ai commencé ma carrière très tôt dans les médias, principalement chez des opérateurs de câble. J’ai débuté au sein de la chaîne de télévision Starz , qui était détenue par le groupe propriétaire du plus grand réseau satellitaire aux États-Unis. J’y ai évolué pendant quelques années en étant chargée de l’étude compétitive des marchés. Par la suite, j’ai rejoint IMDB , l’une des filiales de Liberty Media proposant du contenu de leurs pays d’origine à une audience composée d’étrangers expatriés aux États-Unis. C’est là que j’ai trouvé ma vocation, n’étant pas moi-même une Américaine de souche. J’ai ainsi pu faciliter l’intégration et le lancement de plusieurs chaînes de télévision dont TV5 Monde aux États-Unis. J’ai ainsi découvert l’opportunité que représentaient les chaînes étrangères aux États-Unis pour un public non américain.

Par la suite, j’ai été recrutée par Moneygram, qui était à la recherche d’un professionnel pour développer un marketing ciblant un marché composé de foyers d’origine africaine qui souhaitaient envoyer ou recevoir des fonds vers l’Afrique. Ce marché représente deux à trois millions de foyers aux États-Unis. Chez Moneygram, j’ai donc fait la promotion des services de transfert d’argent focalisés sur le corridor africain. J’ai pu ainsi comprendre le système bancaire, le flux migratoire entre l’Afrique et les États-Unis, les différents mouvements d’argent, les habitudes de consommation de la population immigrante ou encore les événements socio-politiques qui influent sur les transferts d’argent.

Et, lors d’un déjeuner, on m’a informée que Dish Network, deuxième société américaine de diffusion de télévision par satellite, souhaitait lancer une offre pour cibler une audience africaine vivant aux États-Unis et que ses responsables étaient intéressés par mon profil. J’ai ainsi poursuivi ma carrière chez Dish Network et ma mission a consisté à lancer son bouquet africain aux États-Unis. L’entreprise a été la première à lancer une offre africaine sur le marché, comprenant quatre chaînes africaines, dont Africa  24, TV Naija, Afrotainment Music, EBS, et Afrosports. C’est ainsi que j’ai étroitement travaillé avec les grandes chaînes africaines diffusées en Afrique et en Europe, mais qui étaient encore absentes aux États-Unis.

Chez Dish, j’ai été non seulement responsable du bouquet africain, mais également du bouquet européen. Cela m’a permis de rencontrer de nombreux dirigeants de chaînes européennes.

Plus tard, lorsque Comcast a souhaité lancer des chaînes internationales, mon nom a été évoqué. J’ai donc été recrutée par cette entreprise et y évolue depuis quatre ans.

L.C.K. : Qu’est-ce qui vous a orientée vers des études de marketing ?

V.K.: L’approche scientifique et rigoureuse de ce domaine en Occident. Aux États-Unis, le marketing n’a rien à voir avec la vente. Il permet de connaître la psychologie du consommateur, les tendances et les habitudes de consommation. Il faut pouvoir savoir à quel niveau se situe une offre dans l’échelle de leurs besoins.

L.C.K. : En quoi consiste votre fonction de directrice prepaid marketing chez Comcast ?

V.K. : Comcast est la société leader en termes de technologie, communication et d’innovation et le plus grand fournisseur de services internet aux États-Unis. Je gère une division qui lance de nouveaux produits et qui développe leur expansion sur le marché avec des objectifs et des contraintes, et qui fait usage d’un marketing assez agressif. Ma fonction consiste à fusionner les besoins des consommateurs et la rentabilité d’un produit. Je dois toujours veiller à garder un équilibre entre les besoins des clients et la rentabilité de l’entreprise. Je dois suivre les tendances afin de proposer des produits innovants aux clients et de garder notre position de leader sur le marché. Nous avons donc transformé notre modèle économique en passant de l’abonnement, qui est le mode de consommation le plus utilisé, au non-abonnement. Mais cette offre ne correspond pas à tous les consommateurs. Mon travail consiste ainsi à identifier les consommateurs susceptibles d'adopter nos produits mais aussi connaître et anticiper leurs besoins.

L.C.K. : Vos motivations quotidiennes dans la réalisation de vos objectifs ? 

V.K. : La difficulté et le challenge sont mes motivations. Je pense qu’il existe une solution à tout problème. La difficulté n’est qu’une étape vers le meilleur. J’ai une aversion pour la médiocrité sous toutes ses formes. La difficulté constitue donc pour moi une opportunité de m’éloigner de la médiocrité. On sort toujours gagnant face à une crise, un challenge ou une difficulté, car on apprend toujours quelque chose de nouveau. Si jamais un même scénario se répète, on est donc préparé. C’est pour cela que je m’occupe de stratégie car je parviens à anticiper. Chaque nouveau produit apporte un nouveau défi, une nouvelle solution et la créativité et l’innovation s’impose donc.

L.C.K. : Quel est votre style de management ?

V.K. : Je dois être constamment informée et je donne à mon équipe des insights et des foresights, c’est-à-dire des cas de figure, afin qu’elle soit préparée à toute éventualité. Pour cela, j’ai suivi plusieurs formations de leadership et de soft skills qui consistent à apprendre comment diriger et influer sur un groupe afin d’atteindre un but /goal commun.

L.C.K. : Les avantages et les inconvenients de votre métier  ?

V.K. : Le point positif réside dans l’opportunité d’apprendre constamment et d’être la meilleure dans ce que je fais. Par nature, j’aime apprendre et les challenges auxquels je fais face m’éloignent de la médiocrité. Néanmoins, mon travail est très exigeant. Lorsqu’on a un poste à responsabilités, on doit également gérer de gros budgets. Il a pu m’arriver de gérer des budgets de vingt millions de dollars en campagne marketing, business développement et recherche. En tant que directrice marketing, on ne compte pas non plus ses heures. Mais ce travail, je l’ai choisi et il correspond parfaitement à mon caractère et à ma personnalité, car je suis d’une nature curieuse et travailleuse. Je n’ai pas peur des difficultés. Je m’épanouis donc beaucoup dans ce travail. Au niveau professionnel, étant donné que mes propositions sont toujours avant-gardistes et que les problèmes que je rencontre n’ont jamais été rencontrés auparavant, je dois donc établir des méthodes de résolution de ces difficultés, de sorte que, même en mon absence, ces problèmes puissent être résolus.

L.C.K. : Quelle est la journée type de Valérie Kabeya ? 

V.K. : Je commence la journée en lisant les nouvelles liées à mon secteur d’activités. Ensuite, je regarde mon calendrier pour savoir quelles sont les réunions auxquelles je dois participer en personne et je délègue là où ma présence physique n’est pas nécessairement requise. Tous les lundis, en fin de matinée, je réunis mon équipe pour échanger sur les activités de la semaine. L’après-midi, je me concentre sur les performances de nos produits sur le marché, en travaillant avec mon équipe d’analystes. À partir de là, je fais des ajustements qui vont me permettre d’atteindre mes objectifs.

L.C.K. : Quel lien professionnel gardez-vous avec la RDC, votre pays d’origine ?

V.K.: Je garde des liens très forts avec la RDC, où je me rends au moins deux fois par an. En outre, je suis promotrice d’un groupe d’experts internationaux ou Think tank consacré au développement du Congo. Ces experts sont basés dans différents pays et chacun est spécialisé dans son domaine. On se consulte lorsque l’un ou plusieurs d’entre nous exercent des activités en RDC.

L.C.K. : Quel est le meilleur conseil que vous ayez reçu dans l’exercice de votre activité professionnelle  ?

V.K. : Je l’ai reçu de celle qui est toujours mon mentor  : « Ne laisse pas ton accent ou ton origine t’arrêter. » Au début de ma carrière, je pensais que mon accent constituait un frein à mon développement professionnel. Dans le secteur où j’évolue, les Noirs sont très minoritaires et, avec mon accent, je me sentais toujours un peu différente. Mais mon mentor m’a été d’un grand support en me disant que mon accent n’était certainement pas un frein.

L.C.K. : Quelle est la réalisation qui vous rend plus fière dans votre carrière?

V.K.: Avoir pu démontrer la valeur et l’importance du marché africain aux États-Unis. J’ai travaillé pour deux sociétés proposant des produits différents qui ciblaient ce marché et j’ai su leur prouver qu’il était économiquement viable  : Chez Dish Network, j’ai lancé et rentabilisé le bouquet africain, qui était une première. Lorsque je suis arrivée aux États-Unis, le marché africain était quasiment inexistant, dans la mesure où il n’était pas reconnu. Pourtant, les Africains étaient nombreux, mais n’étaient pas identifiés et étaient « noyés » parmi les Afro-Américains. Mais aujourd’hui aux États-Unis, le marché africain est reconnu comme étant différent et bien distinct. Grâce aux performances de cette offre, aujourd’hui, tous les câblo-opérateurs aux Etats-Unis offrent des chaînes africaines.

Je souhaiterais apporter mon expertise en Afrique et au Congo afin que collectivement nous évitions de perdre du temps sur des questions d'innovation dans les technologies de la communication que nous maîtrisons déjà ici. Ce serait mon rêve de pouvoir redonner au Congo et à l'Arique, car c'est grâce a ce pays et à ce continent que je suis ce que je suis aujourd'hui.

 

 

 

 

Propos recueillis par Patrick Ndungidi

Légendes et crédits photo : 

Photos 1 et 3 Valérie Kabeya Photo 2 et 4 Valérie Kabeya et des collègues.

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