Vers la fin du « caporalat » en Italie ?

Mercredi 19 Octobre 2016 - 18:25

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Les Africains d’Italie, clandestins ou réguliers en situation difficile, affrontent des conditions inhumaines sur les champs de tomates où règne le caporal.

C’est le recours facile, presqu'un appel d’air et un leurre de bien-être : lorsque des étrangers n’ont pas trouvé du travail en Italie, leur premier reflexe est d’aller se faire embaucher dans les plantations. Tomates, oranges, raisins, olives et même choux et légumes divers attendent de la main d’œuvre pour leur cueillette, et ne pas pourrir en pied. Les propriétaires des grandes exploitations recourent alors à des bras taillables et corvéables à merci, en se servant d’un intermédiaire. C’est le caporal.

Le caporal a pratiquement droit de vie et de mort sur la plantation. Car seul lui connaît le patron, connaît les personnes qu’il veut embaucher et jusqu’à quelle marge extrême il peut baisser le prix de l’heure de travail, qui n’est pas forcément ce que le propriétaire d’une plantation a convenu avec lui. Le phénomène a gagné en ampleur au fil des temps, les abus se multipliant. Ainsi, après des révoltes des récolteurs l’Italie découvre que Sénégalais, Burkinabè, Roumains ou Tchèques sont contraints de loger dans des baraquements, sans eau ni électricité, pour rester au plus près d’un champ et conserver leur travail.

Et que, comme aurait dit Voltaire dans Candide, c’est à ce prix que les fruits et les légumes arrivent frais sur les étals des vendeurs. Car la concurrence est rude. Il n’est pas rare que des combats éclatent entre récolteurs, ou entre eux et les populations d’un village excédées par des dégradations ou des nuisances. En Campanie, dans les Pouilles, en Calabre ou en Sicile, les propriétaires de plantations payent une moyenne de 5 euros au caporal. Celui-ci se réserve le droit de prélever ce qu’il veut sur la paye , qui arrivera au « travailleur »… Les révoltes se sont souvent terminées par des morts.

C’est pour mettre fin à ce phénomène que le Parlement a adopté mardi soir une loi prévoyant prison ferme, amendes et confiscations de biens pour les employeurs et intermédiaires exploitant des centaines de milliers de travailleurs agricoles à travers le pays. « Un pas en avant extraordinaire », avaient réagi les principaux syndicats en septembre, lorsque le projet de loi avait été présenté en première lecture au Sénat. Pendant longtemps, la classe politique a fait montre d’une mauvaise volonté manifeste pour légiférer en ce domaine.

Le plus grand syndicat d’Italie, la CGIL (Confédération générale du travail) soutient qu’au mois de mai dernier, le pays comptait jusqu’à 430.000 travailleurs agricoles. Italiens ou étrangers sont victimes de graves formes d'exploitation du Nord au Sud de la Péninsule. Cette année, ils seraient 30 à 50.000 de plus que l'année dernière. Le nombre gonfle avec les saisonniers venant pendant l’été pour la récolte des tomates, qui obligent les propriétaires à une course contre la montre pour sauver leur délicate production.

La nouvelle loi prévoit jusqu'à six ans de prison ainsi que 1.000 euros d'amende par personne exploitée pour les employeurs comme les intermédiaires, ainsi que la confiscation de leurs biens, une mesure qui a déjà fait ses preuves dans la lutte contre la mafia. Mais une voix reste silencieuse dans ce contexte, ne sachant pas jusqu’à quel point la nouvelle législation pourra lui être favorable : celle de la masse des précaires contraints à la discrétion car pas toujours en règle avec la loi.

Lucien Mpama

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