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Samedi 20 Juin 2020 - 17:05

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Un débat agite les esprits aujourd’hui sur la conservation ou non des stèles érigées à certains endroits de plusieurs villes du monde en mémoire des hommes qui, d’une manière ou d’une autre, ont marqué l’histoire de l’humanité. Dans ce procès de l’opinion publique qui prend ses repères dans les inégalités, les frustrations, ou dans l’usure du temps, esclavagistes et colonisateurs n’ont pas bonne presse. Il remonte en effet que dans leurs façons d’être et de faire, ils n’ont pas toujours été les enfants de chœur.

Comme par un effet de retour sur les sentiers par lesquels le monde que nous partageons a été accompli, on se prend à scruter le rôle joué par les uns et les autres au long des siècles passés. Au fond, l’histoire des monuments honorant des individus ressemble à celle des langues et dialectes qui participent à l’éveil des sociétés. Sur l’échelle des valeurs, les premières ont peut-être de l’ascendant sur les secondes. En particulier parce qu’elles sont vivantes, rythment les échanges dans tous les domaines, alors que les autres sont globalement l’ombre d’elles-mêmes se nourrissant de la seule opiniâtreté de ceux qui y sont attachés par amour pour elles, car les abandonner leur ferait perdre une partie d’eux-mêmes.  

Il est donc possible que les monuments, comme les langues relèvent d’une sociologie du rapport de forces. Pendant les guerres d’occupation ou même les guerres civiles par exemple, les forces qui prennent le pouvoir ont tendance à abattre tous les vestiges de leurs ennemis vaincus. C’est une façon de réécrire l’histoire adossée à la devise « qui gagne, gagne tout et, qui perd, perd tout ». L’Irak de Saddam Hussein a vécu ce genre d’épisodes durant la guerre qui l’a opposée en 2003 contre les Etats-Unis d’Amérique.

A la différence du cas cité plus haut, le mouvement qui s’observe de nos jours ne vient pas des vainqueurs d’un quelconque conflit armé. Il vient d’en bas, des populations qui en essayant de prendre le pouvoir dans la rue pour quelques jours dictent leur loi. Il a souvent été dit que la foule ne réfléchit pas. Soit ! Cela n’enlève pas à la dynamique populaire sa force éclair qui, à tort parfois, il faut en convenir, démolit bien de préjugés, désacralise des préceptes vénérés et réinvente les discours de la Cité.

Le temps est-il venu de mettre à bas toutes les stèles qui peuplent nos lieux publics parce qu’elles rappelleraient des époques terribles pour l’humanité ?

Trois opinions s’affrontent à présent. La première rejette de devoir effacer la mémoire collective par des raccourcis qui auraient pour finalité de desservir l’histoire elle-même. Pour les défenseurs de cette thèse, les souvenirs doivent rester. La seconde opinion voit dans le déboulonnage des monuments décriés parce que trop voyants, une réparation des torts causés à la vie telle qu’elle devrait être un idéal de justice. La troisième, enfin, médiane, veut voir ces visages bronze- cire-plâtre quitter les places publiques qu’ils occuperaient indûment pour rejoindre les musées où ils continueraient de renseigner sur le passé.

Le débat est loin d’être épuisé.

 

Gankama N'Siah

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Édition Quotidienne (DB)

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