Les Dépêches de Brazzaville



Entretien avec Lambert Kabako : "Il faut sauver ce patrimoine culturel que sont Les Bantous de la capitale"


Dans dix-neuf mois, l’orchestre Les Bantous de la capitale, fondé, le 15 août 1959, chez Faignond, à Brazzaville, fêtera son soixantième anniversaire. C’est le moment qu’a choisi, au détour d’une interview exclusive aux Dépêches de Brazzaville, Lambert Kabako, dit LK, l’une des grandes voix du groupe, pour battre le rappel des sponsors de tous horizons afin que survive ce « patrimoine culturel national » qui, déclare- t-il, « a encore beaucoup à donner à la chanson congolaise ».

L’entretien avec l’auteur compositeur de « Mama Alphonsine », chanson mythique parsemée de pure rumba, pourtant aussi de bien d’autres refrains engagés, dont « PCT », emblématique sous le mono, a lieu à nos bureaux, ce vendredi 26 janvier, en fin de matinée, sans formalité particulière. Mais il est vêtu demi-Dakar-cravate-belles- couleurs comme un vrai Brazzavillois, lui qui vit le jour dans Ouenzé, le Ve arrondissement de la capitale congolaise, il va y avoir de cela, le 17 mars prochain, soixante-dix petites bougies allumées.

Lambert Kabako intègre les Bantous de la capitale en 1972. Il se considère comme faisant partie de la troisième génération en même temps que ses sociétaires Alphonse Ntaloulou ou encore Mpassi Mermans. La première génération étant celle des célèbres fondateurs, pour ne pas les citer tous, Edo Nganga, Nino Malapet, Jean Serge Essous, Célestin Nkouka Célio ; la deuxième, celle qui voit venir Papa Noël et bien d’autres ténors.  

Un jour de 1977, les Bantous doivent se rendre à un festival au Nigeria. Il est constitué un groupe de voyageurs dans lequel il ne figure pas avec trois autres amis. Kabako les mène signer dans Télé-Music, l’orchestre de l’ex-ONPT (Office national des postes et télécommunications). C’est là que lui est tendu un contrat d’embauche en bonne et due forme (on recrutait comme ça aussi dans les sociétés publiques) qu’il signe. Il décline de se présenter à son poste, l’absence dure une semaine, irréparable ! « Parce que mon cœur était toujours pour les Bantous », se rappelle-t-il, ajoutant que cette histoire glace certains de ses proches qui le prennent pour un type anormal. Dans tous les cas, clame-t-il, « Je ne voulais pas me soumettre à un régime où pour vous dire quelque chose, on vous gronde ».

Les Bantous sont-ils un groupe peu structuré, où les chefs ne peuvent demander des comptes à leurs collaborateurs ? « Si, mais cela se passe dans le respect mutuel », se défend Lambert Kabako, qui répand son admiration pour son chef d’orchestre de l’époque, Nino Malapet (1935-2012). « C’était un monsieur bien, il me parlait de façon mesurée, ne m’a jamais donné des ordres, il avait un sens de l’organisation et de la solidarité ». Sur cette pondération « travaillée », il fait le même témoignage pour le chef d’orchestre actuel des Bantous de la capitale, Simon Mangwani.

S’il ne veut révéler ses mauvais souvenirs dans l’orchestre, il en retient les meilleurs, en particulier son voyage à Cuba. Alors que l’on dit dans les rues de Brazzaville voir « Paris et mourir », Pandi Saturnin « Ben » au tambour dans Bantous devant l’Eternel lui chuchotait : « Voir Cuba et mourir ». Peut-être parce que sur l’Ile de la Liberté, l’orchestre se sentait honoré par les similitudes des sons et des tam-tams entendus là-bas. Le voyage de Cuba a lieu par bateau au départ d’Oran, en Algérie, les trente-deux membres de la délégation y séjournent du 14 décembre 1974 au 15 janvier 1975.

De quoi vit-il, Lambert Kabako ? « Je me contente du peu que j’ai », répond-il presque sans état d’âme. Que t’a rapporté la chanson dédiée au Parti congolais du travail (PCT), qui a pendant longtemps servi de générique aux émissions radiophoniques de l’ex-parti unique sous le monopartisme, et qui a été reprise récemment pour annoncer les grandes rencontres de la principale formation de la majorité présidentielle ? « Rien, pour le moment », nuance l’artiste qui ne perd pas espoir qu’un jour, il sera récompensé de ses œuvres. Et l’autre chanson engagée « Azo Sala, Azo Loba », qui égrène les réalisations du président de la République : « Pour l’instant rien », se répète Lambert Kabako, qui évoque aussi un rendez-vous de l’orchestre qui n’a pas eu lieu avec le Premier ministre, chef du gouvernement.

« Nous nous préparons à fêter avec joie les soixante ans des Bantous de la capitale. Le programme prévoit l’arrivée de nombreux invités en provenance de l’extérieur, et notamment de la République démocratique du Congo voisine. Quelques sponsors nous ont annoncé leur soutien, nous montrerons à cette occasion que ce patrimoine national est encore plein de talents. Nous prions les autorités nationales de ne pas nous abandonner », plaide Lambert Kabako. A la fin de l’entretien, il dégustait un verre d’eau plate, nous serrait chaudement la main, souriant, heureux d’avoir conté son parcours dans l’immense orchestre congolais qui aligne, entre autres célébrités, Michel Boyibanda, Pamelo Mounk’A, Kosmos Mountouari, Céli Bitshou, Pambou Tchicaya, Roger Akouala, Samba Mascott, Daniel Loubelo, José Missamou, Rikky Siméon, Théo Blaise Nkounkou.  

Après tant de temps passé à égayer le public, les Bantous de la capitale n’ont pas rompu malgré les difficultés, ils répètent chez Macedo, à Bacongo. Mais l’âge seul ne compte pas, ils doivent renouveler leur orchestration, s’injecter du sang nouveau, garder l’inspiration au top niveau s’ils veulent mériter leur place dans un univers aussi concurrentiel que celui de l’art musical aujourd’hui.


Gankama N'Siah

Légendes et crédits photo : 

1- Lambert Kabako 2- Lambert Kabako lors de son entretien aux Dépêches de Brazzaville