Les Dépêches de Brazzaville



Félix Tshisekedi devant le Congrès: « Pour un grand Congo, il faut une grande ambition »


S’acquittant du devoir de redevabilité que lui impose l’article 77 de la Constitution, Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo a dressé l’état de la nation, dix mois et vingt jours après son investiture. Dans un hémicycle du Palais du peuple bondée et sous les vivats d’une assistance hystérique visiblement acquise à sa cause, le président de la République a su tirer son épingle du jeu dans ce qui avait tout l’air d’un grand oral.

Des grandes annonces assorties des engagements et promesses fermes, il en a été abondamment question dans son propos, à l’image de la volonté clairement affichée d’en finir avec la horde des forces négatives qui insécurisent l’est de la République démocratique du Congo (RDC). « Je ne serai pas en paix avec moi-même tant que le Nord-Kivu et les autres provinces, actuellement meurtries, ne seront pas totalement pacifiés », a déclaré le cinquième président du Congo indépendant, plus que jamais déterminé à restaurer l’autorité de l’Etat dans ce coin du pays. Avec des mots justes et bien à propos, il a tenu, d’emblée, à louer le savoir-faire des Fardc qui, nonobstant la guerre asymétrique qui leur est imposée par l’ennemi, sont parvenues à démanteler la quasi-totalité des sanctuaires du CNRD et des ADF MTM dans le Grand Nord, jusqu’à capturer plusieurs de leurs combattants et leaders politiques.

Un changement de stratégie militaire payante qui, a-t-il dit, procède d’une série de mesures courageuses dont l’installation d’un état-major avancé à Béni et le changement du commandement de la zone opérationnelle avec la permutation de onze mille militaires présents à ce poste. «Tous les moyens ont été mis en œuvre pour vaincre l’ennemi », dixit Félix Tshisekedi qui en appelle, par ailleurs, à la responsabilité des députés et sénateurs du Nord-Kivu invités à collaborer avec les Fardc afin de mettre hors d’état de nuire le groupe résiduel des terroristes en divagation.

Pour un Congo uni et fort

Au moment où les Fardc se retrouvent au front à Beni, dans le Nord-Kivu et dans les montagnes et plateaux de Minembwe dans le Sud-Kivu, Félix Tshisekedi a exhorté ses compatriotes à transcender leurs clivages politiques pour regarder désormais dans la même direction. Saluant la mémoire de tous ceux qui ont porté le Congo dans ce qu’il a de noble par l’éveil de la conscience collective, le président de la République entend voir ses compatriotes franchir, dans un élan de sursaut patriotique et de communion parfaite, les rivages de leur destin. « Nous honorons un Congo réconcilié. Notre Nation ne sera plus un Congo de la division, de la haine ou du tribalisme », a martelé le chef de l’Etat, défenseur acharné d’un « Congo uni et fort dans sa diversité culturelle et son attachement à la mère patrie ».

Sur ce registre de requalification, ou mieux, de remodelage de la RDC selon sa vision de développement, Félix Tshisekedi s’est voulu rassurant quant à l’avenir de la coalition au pouvoir. Les soubresauts relevés ces derniers temps entre les parties prenantes (Front commun pour le Congo-Cap pour le changement) sont, de son avis, « inhérents à toute nouvelle expérience politique ». D’où son appel à la transcendance, au dépassement des uns et des autres car, au finish, tout doit concourir, au-delà des clivages politiques, à la réussite d'une vision commune consistant « à bâtir un Congo fort, prospère et stable au cœur de l’Afrique ». Le clin d’œil fait, au passage, à l’opposition qu’il exhorte à désigner son porte-parole pour être en phase avec l’article 8 de la Constitution, participe également du rêve partagé d’un « Congo pour tous dans lequel chacun mérite sa place ». Sans ambages ni circonlocutions, il a déroulé : « Je voudrais saluer ici mes frères de l’opposition qui jouissent pleinement de leurs libertés de manifester et de s’exprimer. Leurs critiques constructives nous seront toujours utiles pour nous permettre de réajuster notre action politique en faveur du peuple ». C'était tout dire.

Relever le défi social 

Attendu sur des questions éminemment sociales, Félix Tshisekedi s’y est longuement appesanti. A l’intention des jeunes dont il connaît à cœur les besoins et les difficultés, il a annoncé la mise en place, l’année prochaine, des structures du Fonds spécial pour l’emploi et l’entrepreneuriat, mais aussi l’installation - via le ministère de la Formation professionnelle, arts et métiers - des brigades agricoles dans les cent trente-deux centres de production agricole disséminés à travers le pays. 

Pour relever le défi social, le nouveau gouvernement s’est inscrit dans un processus de changement de la politique budgétaire avec, à la clé, un redéploiement des dépenses publiques. La gratuité de l’éducation de base, la poursuite du programme social de cent jours ainsi que l’introduction du financement du déficit par les bons du Trésor s’intègrent dans cette dynamique visant l’assainissement de l’environnement budgétaire. Dans ce cadre, l’augmentation durable des recettes publiques qui passe notamment par l’éradication de la fraude et l’évasion fiscale est requise.

A ce sujet, Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo s’est engagé à mener une lutte acharnée contre la corruption et le coulage des recettes soutenue par un train de mesures appropriées. Numériser et digitaliser toutes les opérations en matière de mobilisation de recettes ; élargir l’assiette fiscale en ramenant tout ce qui est dans le secteur informel dans le secteur formel ; réorganiser le système bancaire à travers le pays pour que tous les paiements dus à l’Etat passent par les banques commerciales ; créer une connexion entre les banques commerciales, la Poste et la Caisse générale d’épargne du Congo ; créer une Autorité nationale des revenus (une forme de guichet unique permettant le prélèvement d’impôts et taxes de toutes les régies financières) ; améliorer la gouvernance dans le secteur extractif, etc., autant de pistes qui, à l’en croire, sont susceptibles d’aider le pays à réaliser le budget de dix milliards de dollars en 2020. « Pour un grand Congo, il faut une grande ambition », a-t-il déclaré comme pour rabattre le caquet aux incrédules pour qui cette loi de finances en instance de promulgation est tout simplement utopique, voire surréaliste.

Combattre la corruption 

Plus loin, le chef de l’Etat a promis de démanteler tous les réseaux de prédation et de fraudes massives qui occasionnent des détournements et des manques à gagner au Trésor public. Toujours fidèle à son sempiternel crédo d’amélioration du climat des affaires, il a annoncé, séance tenante, la suppression immédiate de toutes les barrières sur toutes les routes d’intérêt national ainsi que sur celles de desserte agricole.  Et d’annoncer, dans la foulée, la création prochaine d’une cellule du climat des affaires.

Autre annonce-phare : l’accès équitable à la justice - en tant qu’un des leviers d’amélioration du climat des affaires - de toutes les catégories sociales, riches comme pauvres. Ceci, a-t-il dit, passe impérativement par l’amélioration des conditions de vie et de travail des magistrats et du personnel judiciaire pour les mettre à l’abri de diverses sollicitations. L’option de créer une juridiction spécialisée dans la lutte contre la corruption, la fraude fiscale, le blanchiment des capitaux ainsi que le détournement des deniers publics est même envisagée.

Abordant le chapitre des mines, le chef de l'Etat a indiqué vouloir pérenniser la loi minière en vigueur qui fait des Congolais les premiers bénéficiaires de leurs propres ressources. « Notre priorité dans ce secteur, c’est non seulement d’extraire et d’exporter les minerais, mais c’est aussi de leur donner une plus-value avant leur exportation à travers la transformation locale. Ceci exige l’installation des entités de traitement et de l’énergie », a-t-il déclaré, avant de se lancer dans un plaidoyer en faveur de la certification des potentialités dont regorge le pays en minerais, en hydrocarbures et en ressources forestières. 

Au plan strictement politique, le président de la République a, outre la mise en place concertée et provisoire des animateurs des entités municipales, urbaines et locales, suggéré à la réflexion le « débat sur l’efficacité du mode de désignation des gouverneurs des provinces » de sorte qu’ils soient investis « de toute la légitimité nécessaire pour s’atteler à la tâche de développement de leurs entités ». De la même manière, il a soumis à la critique constructive le choix d’un possible second tour de l’élection présidentielle « de manière à ce que le vainqueur puisse être revêtu de la légitimité suffisante pour appliquer sa vision, partant d’une posture de rassemblement et être comptable devant le peuple ».

Quid de la double nationalité? 

A cette série de questionnements s’ajoute la problématique récurrente de la double nationalité pour laquelle il attend des réflexions approfondies pour permettre de résoudre définitivement cette question et permettre au pays de s’adapter à l’évolution du monde. Et à propos de la Constitution du 18 février 2006 en passe de totaliser quatorze ans depuis sa promulgation, Félix Tshisekedi s’est montré intransigeant : « Que personne ne touche aux dispositions intangibles ou verrouillées ».

Enfin, égrenant ses nombreuses réalisations dans le cadre du programme d’urgence dit des cent jours exécuté sous la conduite des services de la présidence de la République jusqu’en novembre dernier (il comprenait quatre cent vingt-cinq projets disséminés dans tout le pays pour un coût évalué à quatre cent quatre-vingt-douze millions de dollars avec un décaissement de près de 70 %), Félix Tshisekedi a indiqué que le nouveau gouvernement procède actuellement à l’évaluation de son exécution et devrait fournir ses conclusions incessamment.

Convaincu que les Congolais qu’il considère comme « un peuple de bâtisseurs avec une capacité de résister aux catastrophes et de rester débout face à l’adversité » sont capables de vaincre la pauvreté, il les a exhortés à imaginer le modèle d’exploitation de leurs ressources potentielles et de leur transformation rationnelle. Il s’est imposé l’objectif, en synergie avec la population, d’en finir avec le paradoxe d’un pays riche à la population pauvre. « Il n’y a pas de fatalité. Nous pouvons vaincre la pauvreté et nous la vaincrons », a-t-il lancé. Toute une profession de foi émanant du premier d’entre les Congolais, plus que jamais décidé à faire bouger les lignes, par la foi et la force de ses convictions. Concluant son adresse par un verset biblique 1 Corinthiens 10 : 13, le Chef de l’Etat a décrété 2020, « l’année de l’action », ou mieux, « l’année du combat contre la pauvreté, l’année de la renaissance, l’année de la paix, l’année de la justice pour tous ».


Alain Diasso

Légendes et crédits photo : 

Le chef de l'Etat prononçant son discours devant le Congrès