Les Dépêches de Brazzaville



Franck Elemba : le gladiateur en bronze, mais sans argent


Les Dépêches de Brazzaville : Franck, tu as débuté la saison 2016, le 6 février, par une médaille de bronze en Allemagne, au Meeting Indoor de Karlsruhe. Ça commence bien…

Franck Elemba : Oui, l’année commence bien, puisque je bats à nouveau mon record personnel avec un lancer à 20 mètres 53. C’est une belle prestation, surtout que j’avais raté mon premier lancer. Sur le deuxième, je ne fais que 19m55. Puis 20m49 et enfin, 20m53. C’est mon nouveau record personnel et bien entendu le nouveau record du Congo.

LDB : En plus du bronze, cette performance est importante, puisqu’elle t’ouvre deux portes…

F.E : Oui, je suis officiellement qualifié pour les Jeux olympiques de Rio. Et j’ai décroché mon billet pour les Mondiaux en salle, qui auront lieu à Portland le mois prochain. Franchement, c’est une délivrance et un exploit, parce que tout est difficile ces derniers mois : je ne reçois aucun soutien financier du Congo, mon pays, que je représente le plus dignement possible à chaque compétition. Je dois me débrouiller seul, avec mon entraîneur, pour me préparer. Ces problèmes financiers polluent ma préparation, car au lieu de penser uniquement à ma technique, à ma condition physique, je dois aussi penser à joindre les deux bouts, pour chaque stage, chaque déplacement. C’est fatiguant moralement.

LDB : Dans quelle situation es-tu concrètement ?

F.E : Sitôt la qualification pour le Mondial de Portland en poche, j’ai reçu l’invitation officielle de l’IAAF (ndlr : la Fédération internationale d’athlétisme) pour pouvoir faire mes démarches administratives pour le voyage aux Etats-Unis, prévu le 15 mars. Mais pour avoir le visa, il faut un billet d’avion : mais aujourd’hui, je n’ai pas les moyens de payer le billet de mon entraîneur, Mohamed Fatihi. Nous sommes donc dans l’impasse, puisque nous sommes attendus au Consulat américain d’ici au 3 mars, mais que mes appels au secours auprès du ministère des Sports restent lettre morte. Au lieu de préparer sereinement les championnats de France indoor (ndlr : les 27 et 28 février à Clermont-Ferrand), je suis angoissé par cette situation. Les Américains ne blaguent pas avec les formalités. Et si rien ne se débloque du côté du Congo, je devrais partir sans lui.

LDB : Aux Jeux africains, durant la finale du poids, on t’a vu beaucoup communiquer avec lui, qui était en tribunes, pour te conseiller sur ton positionnement, sur ta prise d’élan. Sa présence semble importante pour toi.

F.E : Oui, vraiment importante. Je suis encore un jeune athlète et je suis dans une phase de progression constante. Pour conserver cette dynamique, j’ai besoin de sa présence. Lors de la précédente édition (ndlr : en Pologne en 2014), j’étais parti sans mon entraîneur et ça c’était ressenti sur ma prestation (ndlr : meilleur lancer à 17m59). Le haut niveau se joue sur des détails et c’est important d’être accompagné, d’avoir le regard technique de l’entraîneur pour rectifier ce qui doit l’être.

LDB : On te sent inquiet et affecté.

F.E : Je ne veux pas être plaintif, mais la situation devient compliquée. Je sais que la situation économique est problématique avec la baisse du prix du pétrole, mais je ne demande pas des sommes astronomiques. Depuis les Jeux, où j’ai fait honneur à mon pays, je me suis débrouillé seul. Là, je ne peux plus. J’ai besoin du soutien des instances sportives car je veux marquer l’histoire de mon sport, je veux que La Congolaise retentisse au plus haut niveau. Mais seul, je ne peux pas y arriver. J’ai régulièrement le directeur général des sports qui me dit qu’ils attendent le feu vert du ministère des finances. Mais une fois de plus, je ne demande pas des dizaines de millions : un billet d’avion, une prise en charge et une prime.

LDB : Durant les Jeux africains, tu avais reçu le soutien de l’AOGC (Africa Oil & Gas Corporation). Qu’en est-il désormais ?

F.E : Malheureusement, de ce côté aussi, je n’ai plus de nouvelle. J’ai essayé de les joindre, mais je n’ai aucune réponse. Mon entraîneur est surpris, car le rôle d’un sponsor est d’être présent dans la préparation, pas seulement au moment de récolter les lauriers. Aujourd’hui, tout le monde a disparu et je suis seul.

LDB : Sur le plan sportif, il y a ces championnats de France en salle. Quel objectif te fixes-tu ?

F.E : Malgré tout, je veux rester ambitieux. A Clermont-Ferrand, je vise les 21 mètres pour continuer ma marche en avant vers les Jeux Olympiques de Rio.

LDB : Les Jeux olympiques demeurent l’objectif suprême. Que peux-tu viser à Rio ?

F.E : Je veux marquer l’histoire en me hissant en finale et figurer parmi les meilleurs de la planète.

LDB : En termes de performances, combien faut-il atteindre pour disputer la finale ?

F.E : Je pense qu’au-delà de 20m50, je peux avoir mon billet pour la finale. Avec 20m80, le Top 6 devient envisageable. A plus de 21m, un podium est possible, car avec les récentes affaires de dopage, les choses ont un peu changé. Certains athlètes sont dans le viseur des instances (rires), donc pour nous qui travaillons naturellement, sans tricher, la compétition devient plus équitable.

 

 


Camille Delourme

Légendes et crédits photo : 

Photo 1: Avec sa troisième place au Meeting de Karlsruhe, Franck Elemba est officiellement qualifié pour les Jeux olympiques et Mondiaux en salle de Portland (droits réservés) Photo 2: Mais le vainqueur des Jeux africains affirme manquer de soutien financier de la part du Congo (droits réservés)