Les Dépêches de Brazzaville



Gouvernance: « Les difficultés que connait le Congo méritent la mise en œuvre de réformes inédites », estime Loïc Mackosso


Les Dépêches de Brazzaville (LDB). En votre qualité d’acteur dans le secteur de la finance au Congo, quelle analyse faites-vous de la situation économique et de ce que l’on peut attendre de la prochaine venue du FMI ?

Loïc Mackosso (LM). « Il convient de rappeler que selon les estimations actualisées par le Comité monétaire de la BEAC, le taux de croissance du PIB en termes réels du Congo sur l'ensemble 2017 serait de -1,9% au lieu de 1% projeté initialement. Quand bien même le ministre congolais des Finances et du budget, Calixte Nganongo, se montre positif quant à l’évolution de la situation dans les mois à venir et évoque « des perspectives en termes de croissance du Congo et de la sous-région (…) réconfortantes et rassurantes ». Il n’en demeure pas moins urgent de mener des réformes courageuses qui auraient pour objectif de participer à l’effort de croissance et de diversification de l’économie à l’instar de celles annoncées lors de la conférence des chefs d’Etat de la CEMAC en décembre 2016. Il est d’autant plus urgent de le faire que le taux d’endettement de la République du Congo qui à ce jour serait de l’ordre de 120% du PIB impose une augmentation significative des revenus du pays afin de limiter l’impact de ladite dette  sur les finances publiques ».

LDB. Selon vous, sur quoi porteraient ses réformes ?

LM: « Les entreprises publiques, en ce qu’elles sont le fondement de la politique économique de l’Etat, doivent mener à ce jour des réformes nécessaires. L’Etat devrait notamment s’appesantir sur ces dernières, ce, d’autant plus qu'elles pourraient accroître les revenus dans un contexte de baisse du prix du baril de pétrole. C’est d’ailleurs dans ce sens que le chef du gouvernement, Clément Mouamba a, lors d’une conférence de presse le 4 mai à Brazzaville, appelé au changement du mode de gestion des entreprises publiques, notamment la Société nationale des pétroles du Congo (SNPC), la Société nationale d’électricité (SNE) et la Société nationale de distribution d’eau (SNDE). Ces trois sociétés d’Etat accusant un certain nombre de difficultés, le changement de mode de gestion devrait permettre de renforcer leurs performances. Aussi les réformes que nous appelons de tous nos vœux doivent-elles prioritairement mettre l’accent sur la gouvernance de ces entreprises afin de maximiser le processus de création de valeurs ».

LDB: Quel lien faites-vous entre la gouvernance d’entreprise et la création de valeur ?

LM: « La notion de gouvernance d’entreprise recouvre notamment: les règles de nomination des dirigeants ; l’organisation des contrôles sur la gestion et le fonctionnement de l’entreprise ; la création de valeur, quant à elle, consiste, d'une part, à accroître la productivité de l'entreprise et d'autre part, à rechercher une croissance durable et rentable. La création de valeur s’effectue au profit des actionnaires, dirigeants et salariés et autres créanciers de la société. Les mécanismes de gouvernance susceptibles de permettre une création de valeur optimale vont donc s’intéresser à concilier les intérêts de ces parties prenantes ».

LDB: Une meilleure gouvernance avec quels outils ?

LM : « L’organisation de la gouvernance découle principalement du droit des sociétés qui offre plusieurs options et dans une certaine mesure du droit boursier. Dans le contexte qui est le nôtre, il s’agit de l’acte uniforme sur les sociétés commerciales et GIE (Auscgie) et des règlements édictés par la Commission de surveillance des marchés financiers (Cosumaf). L’Auscgie, dont la nouvelle mouture a été adoptée le 30 janvier 2014 par le Conseil des ministres de l'Ohada, comporte quelques nouveautés qui pourraient largement inspirer la réforme des entreprises publiques. A défaut de faire un inventaire à la Prévert, nous ne nous attarderons que sur celles qui pourraient apporter une orientation quant au contenu de la réforme des entreprises publiques ».

LDB: Dans la diversité des entreprises publiques congolaises, certaines sont organisées sous la forme d’Etablissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), tandis que d’autres le sont plutôt sous la forme de Société anonyme unipersonnelle (SAU) ou enfin, Société anonyme (SA). Existe-t-il une forme juridique appropriée pour ces entreprises ?

LM:  « Il convient de préciser que le choix de la forme juridique répond principalement aux préoccupations des propriétaires de l’entreprise. Aux formes juridiques traditionnellement usitées, il faut dorénavant rajouter la Société par Actions simplifiées (SAS). En effet, la SAS offre une grande liberté aux associés dans l'organisation de la gouvernance de la société et leur permet d'adapter les statuts de la SAS à leurs besoins précis tels que la structure des organes de gouvernance, les règles qui leur sont applicables et les pouvoirs des actionnaires. Il n’y a qu'une seule condition, la SAS doit être représentée par son président. S’agissant de la gouvernance, à l’exception de certains domaines réservés aux associés, tels que l'approbation des comptes, les augmentations ou les réductions de capital et les fusions, les statuts peuvent librement répartir les pouvoirs entre les associés et les organes sociaux et déterminer les conditions de quorum et de majorité requises pour les assemblées générales. Ceci permet la mise en place de domaines de compétences réservés et de droits de véto qui ne seraient pas permis dans une SA, autrement dit que par le biais de règles de majorité au conseil d'administration ».

LDB: Un examen minutieux révèle que la principale caractéristique des entreprises qui le compose est la forte participation de l’Etat au capital, supérieure à 50%. On peut supposer que pour des entreprises telles que la SNPC ou encore SNDE, le caractère stratégique de l’activité de celles-ci justifie sans doute cette prédominance de l’Etat dans l’actionnariat. Dans un souci de rationaliser les efforts de l’Etat, est-ce nécessaire pour lui de détenir autant de participation dans le capital de ces entreprises ?

LM : « A cette préoccupation somme toute légitime, l’introduction d’actions de préférence (ADP) peut nuancer ce postulat. Ce terme recouvre notamment les actions sans droit de vote, les actions avec droit de vote double, les actions conférant des avantages particuliers relatifs aux dividendes (dividende prioritaire, dividende non proportionnel) ou un droit spécial à l'information, de manière temporaire ou permanente. Les actions de préférence peuvent ne bénéficier qu'à certains actionnaires, sous réserve d'une procédure spécifique. L’intérêt d’un tel mécanisme réside surtout dans la dissociation entre la détention du capital et du pouvoir dans une entreprise. En d’autres termes, un actionnaire en l’occurrence l’Etat quand bien même il ne détiendrait pas la majorité du capital, pourrait grâce à ce mécanisme peser dans la prise de décisions stratégiques ».

LDB: Beaucoup d’observateurs redoutent l’arrivée du FMI en ce qu’elle pourrait donner lieu à des privatisations. Comment pourrait-on aligner les intérêts de l’ensemble des parties prenantes desdites entreprises ?

L.M : « Il ne faut pas redouter les privatisations, d’autant plus qu’en application de l’Ausgie, il est désormais possible pour une entreprise d’accorder des actions gratuites aux salariés et aux dirigeants. Le nombre total d’actions gratuites pouvant être attribuées ne peut excéder 10% du capital social de la société. Cet outil est notamment utilisé en Côte d’Ivoire où les salariés de la Compagnie ivoirienne d’éléctricité (CIE) détiennent aux cotés de l’investisseur financier ECP, et de l’Etat ivoirien des participations dans le capital de ladite société. Il a l’avantage d'attirer et de motiver certains dirigeants et employés en les intéressant à la création de valeur. Il peut trouver également son importance dans un contexte de privatisation, les salariés des entreprises privatisées étant alors étroitement associés au développement de l’entreprise ».

LDB: Quel autre outil pourrait être utile aux entreprises publiques ?

LM: « L’acte uniforme introduit diverses formes de valeurs mobilières composées pouvant être émises à la fois par une SA et une SAS et clarifie une position qui avait été déduite du précédent Acte uniforme sur les sociétés. Ceci devrait être un outil important pour le financement des sociétés de droit Ohada, notamment dans le contexte de développement des opérations de private equity en Afrique. Un certain nombre de titres convertibles en actions ou autres est désormais clairement envisagés tels que les obligations convertibles en actions, les obligations à bons de souscription d'actions et les obligations remboursables en actions. La structuration des financements complexes sera ainsi facilitée ; en cas de situation d'insolvabilité, les obligations bénéficient d'un droit de priorité sur les actions, et il est désormais possible de prévoir, dans les statuts, différents rangs pour les catégories de titres émis ».

LDB: Ce que vous espérez en fin de compte...

LM: « Les difficultés que connait la République méritent la mise en œuvre de réformes inédites. Les entreprises publiques, en ce qu’elles illustrent pleinement la philosophie interventionniste de l’Etat, doivent participer à la relance de l’économie. Sans pour autant la renier, il importe toutefois d’en revoir les fondements ».

 


Quentin Loubou

Légendes et crédits photo : 

Loïc Mackosso