Les Dépêches de Brazzaville




Henri Lopes : « Présence Africaine fait partie de notre patrimoine »


Les Dépêches de Brazzaville (L.D.B) : À quand remonte votre collaboration avec Présence Africaine ?

Henri Lopes. Présence Africaine est fondée en 1947. Plus tard, lorsque se tient le premier congrès des écrivains et artistes noirs en 1956, je suis encore lycéen à Nantes. Mon premier contact avec Présence africaine se fera étudiant en tant que responsable de la FEANF*. À l’époque, ma position sur la Négritude est rude, intransigeante. Par la suite, je viendrai souvent au siège qui se situe alors rue Descartes et où l’on rencontre beaucoup de gens de passage : Aimé Césaire, Louis Massignon, James Baldwin, Abdoulaye Sadji, Jacques Rabemamanjar, l’intelligentsia française de l’époque de la revue Esprit et de Témoignage chrétien… Alioune Diop était très attentif aux jeunes qui lui rendaient visite. Nous n’avions rien produit mais ce qui l’intéressait c’était l’atmosphère et comme nous étions peu nombreux, chacun d’entre nous avait du prix pour lui.

L.D.B. Quel héritage gardez-vous de cette collaboration avec Présence Africaine ?

H.L. L’héritage d’Alioune Diop n’est pas dans le domaine du perceptible ; personne n’a encore fait d’étude là-dessus. Pourtant je suis toujours favorablement étonné de voir aux Etats-Unis, dans les universités, que la référence pour les professeurs, les artistes, les écrivains africains, américains c’est Présence Africaine. A telle enseigne qu’aujourd’hui l’on voit des écrivains américains s’y faire publier. C’est dire la considération dont bénéficie Présence Africaine auprès des Africains-Américains. C’est peut-être pour cela que j’ai souhaité être édité par eux. Cette collaboration a commencé par une anthologie de la poésie d’Afrique noire dans laquelle quelques-uns de mes poèmes ont été publiés. Ensuite ce sera Le Pleurer-Rire.

L.D.B. Le Pleurer-rire est devenu un manuel scolaire, que ressentez-vous de voir toujours le livre au programme dans les écoles ?

H.L. C’est toujours une grande joie mais en même temps je n’oublie jamais qu’il faut être modeste parce que c’est un choix qui a été fait par d’autres. Ce titre marque un tournant. C’est celui qui m’a donné une certaine notoriété. Il est le seul de mes livres traduit en anglais et s’il l’a été, c’est grâce à Présence Africaine. Certes j’ai des traductions dans de nombreuses langues mais en anglais c’est particulier. Il est difficile d’être traduit dans cette langue quand on est francophone et aujourd’hui The Laughing Cry est un livre bien connu dans le monde anglo saxon.

L.D.B. Présence Africaine a un sens très particulier pour le continent...

HL. Présence Africaine fait partie de notre patrimoine, du patrimoine africain et du patrimoine mondial, mais c’est aux Africains qu’il revient avant tout de le préserver. Ce patrimoine immatériel de l’Afrique est essentiel. Parce que c’est grâce à la revue et à la maison d’édition qu’il y a eu très tôt une présence de l’Afrique dans le monde culturel français, européen, puis mondial. Nous avons un devoir de préservation. Pas dans un musée mais en le faisant vivre et en lui insufflant une nouvelle vie qui est la continuation de la première. Sans oublier le père fondateur, Alioune Diop qui n’a écrit aucun livre mais a modelé et marqué de son empreinte beaucoup d’entre nous.

* La Fédération des étudiants d'Afrique noire en France a été créée en 1950 pour regrouper toutes les associations d'étudiants africains en France.

Verbatim

« L’avenir d’un pays, de l’Afrique, ce n’est pas simplement une réussite économique, diplomatique. Ce qui est essentiel c’est notre vie culturelle et Présence Africaine a été le support de cette vie culturelle, celle qui l’a fait connaître qui lui a donné ses lettres de noblesse »

 

« Alioune Diop n’a écrit aucun livre mais nous a tous fabriqués »

 

 

 

 

 

 

Propos recueillis par Marie Alfred Ngoma