Les Dépêches de Brazzaville



Livres : « Sociétés et savoirs endogènes » à travers une réflexion scientifique multidimensionnelle


« Les textes réunis dans ce volume interrogent opiniâtrement, avec intelligibilité, des pans entiers des ressources locales en rapport avec les enjeux du développement des sociétés africaines », écrit Jean Félix Yokoka au début de l’ouvrage.

La société est comprise dans le livre comme « un ensemble d’individus unis par des rapports déterminés et des services mutuels ». Au centre de cette réalité qu’est la société se trouve l’homme de qui dépend sa dynamisation.

Et le concept « savoirs endogènes » créé par le philosophe béninois Paulin Houtondji et récupéré par la suite par l’historien burkinabè Joseph Ki-Zerbo, traduit les potentialités pluridisciplinaires propres à un peuple dans un cadre spatio-temporel donné. Les savoirs endogènes marquent l’identité, l’originalité ou la particularité dans la corbeille des savoirs universels. Prélude à cette étude, Didier Ngalebaye, philosophe, propose l’institutionnalisation du code éthique « otwéré » comme moyen discursif de résolution des conflits dans le contexte africain pour exprimer les valeurs qui fondent la société à travers les faits.

Le deuxième texte est de Lye M. Yoka, professeur à l’Institut national des arts (INA) de Kinshasa (République démocratique du Congo). Il présente des ressources anthropologiques émanant de la culture congolaise propices à la pacification et au développement de la RD.Congo. Il s’agit du multilinguisme fédéré pour promouvoir le « vivre ensemble », le brassage culturel, la créativité, l’autodétermination et la justice distributive. Dans la même perspective, Jean Célestin Ky, historien de l’art à l’université de Ouagadougou, fait ressortir le militantisme pacifiste des artistes Burkinabés à travers leurs œuvres pour encourager la cohésion dans le pays.

Ébauchant une autre piste, Ferdinand Nkounga, chercheur à l’université Marien Ngouabi, invite l’africain à faire bon usage des éléments du modernisme sans renier les valeurs issues des coutumes. Par ailleurs, Jean Félix Yekoka et Joseph Zidi, historiens, élaborent une réflexion commune sur un « savoir faire » pluridisciplinaire des kongo de la période précoloniale, un savoir orienté à l’amélioration de la vie en marquant une certaine complémentarité entre l’homme et la femme.

Quant à Zéphirin Sah, enseignant d’histoire à l’école normale supérieure de Brazzaville, l’intérêt de son étude porte sur la valorisation du raphia (ndzouona) comme patrimoine matériel téké, hier aussi bien qu’aujourd’hui. Aussi préconise-t-il la modernisation de l’exploitation de ce tissu. Le texte qui s’en suit de Joseph Itoua, historien également, se focalise sur la réalité magico-thérapeutique du nganga dans les us et coutumes mbosi. C’est une contribution d’une part à la médecine et de l’autre, à la compréhension de l’imaginaire mbosi sur la maladie et la mort. Le philosophe Auguste Nsonsissa s’ajoute au débat en analysant la teneur objective de la philosophie et des sciences africaines. Il suggère des critères spécifiques pour apprécier la rationalité des productions intellectuelles africaines.

Le texte suivant est de Stévio Ulrich Baral-Angui, chercheur en histoire. Il s’intéresse au chant initiatique kongo, et en relève des aspects religieux qui s’étiolent par l’influence croissante du christianisme malgré quelques survivances. Pourtant, le chant initiatique kongo n’est pas mauvais en soi, semble-t-il, car il perpétue l’espérance d’une génération à l’autre. Le sexisme abordé par Jean-Claude Moussoki, docteur en communication, s’exprime ici dans l’usage des instruments de musique en pays sundi. Il montre pourquoi le tam-tam par exemple est réservé aux hommes et les castagnettes aux femmes.

Enfin, l’historien Dreid Miché Kodia-Manckessi boucle l’ouvrage en élucidant l’apport du service général d’hygiène mobile et de prophylaxie au Moyen Congo de 1945 à 1961. Ce dernier intervenant met l’accent sur le bilan élogieux de cet organe de santé préventive ayant permis aux populations locales de cette époque de découvrir certaines maladies jusque-là inconnues et de bénéficier des possibilités de remédiation. Ce volume de 253 pages obéit aux ambitions de la politique éditoriale des Éditions Hemar qui vise à privilégier l’interdisciplinarité sur des problématiques originales.


Aubin Banzouzi

Légendes et crédits photo : 

Couverture du dernier numéro de la revue Class