Les Dépêches de Brazzaville



Numéro spécial Francophonie : Congo-Sénégal, des liens séculaires


Il fut un fidèle ami et compagnon, de l’explorateur italo-français Pierre Savorgnan de Brazza, fondateur en 1880 de Brazzaville, en souvenir duquel un mémorial a été érigé en guise de reconnaissance à l’endroit même où il bâtit la première maison de la capitale du Congo. L’historien Seydou Touré rappelle que « la France n’aurait pas eu sa part du Congo sans le dévouement d’un tirailleur sénégalais, le sergent Malamine Camara, qui tint tête à Stanley sur les rives du Congo ».

Lors de sa dernière mission au Congo en 1905, le sergent Malamine est tombé malade et a été rapatrié à Gorée, au Sénégal, où il a trouvé la mort. Au cours d’une récente visite au mémorial Pierre-Savorgan-de-Brazza, l’ambassadrice du Sénégal au Congo, Batoura Kane Niang, a déclaré : « Le sergent Malamine est très important pour le peuple sénégalais, pour la République du Sénégal. Je voudrais lancer un appel au président de la République du Congo pour que soit hissé le drapeau sénégalais au mémorial Pierre-Savorgnan-de-Brazza en hommage au sergent Malamine Camara. Je souhaite très vivement que le drapeau du Sénégal flotte à côté des drapeaux congolais, algérien, gabonais, français et italien. » L’ambassadrice a laissé ces mots dans le livre d’or du mémorial : « De ce que j’ai vu et entendu, je suis profondément émue et me sens désormais congolaise, car sans notre aïeul, Brazzaville ne serait pas ! »

Poto-Poto, une mosaïque africaine

Avec la structuration de l’empire colonial français, Dakar et Brazzaville furent établies capitales coloniales de la France en Afrique noire. Dakar devint en 1902 la capitale de l’Afrique occidentale française (AOF) et Brazzaville, en 1904, celle de l’Afrique équatoriale française (AEF). Poto-Poto, l’un des plus anciens quartiers populaires de Brazzaville, et l’un des plus cosmopolites, abrite une importante communauté sénégalaise. Créé par les colonisateurs français en 1909, il était l’un des quartiers réservés aux « indigènes », les Européens habitant le centre-ville. De nombreux migrants venus de toutes les colonies africaines, y compris d’Afrique de l’Ouest, s’y sont installés très tôt. Ce sont d’ailleurs eux qui ont donné son nom au quartier, Poto-Poto, nom qui découle d’un mot bambara signifiant « eaux boueuses », le quartier étant situé dans une zone de dénivelé qui tend à s’inonder en cas de fortes pluies. Les familles installées depuis la période coloniale se sont totalement assimilées et ont adopté les langues locales congolaises, le lingala et le kituba. Cet arrondissement de la ville a même été administré entre 1963 et 1970 par le Congolais d’origine sénégalaise Mamadou Diouf qui en assuma les fonctions de maire. Poto-Poto abrite six mosquées, dont celle majestueuse de la rue Bacongo, la plus grande de tout le pays, capable d’accueilli deux mille fidèles.

De l’École de Poto-Poto à l’École de Dakar

Pierre Lods, arrivé à Brazzaville en 1949, fonde en 1951 l’École de peinture de Poto-Poto, expression de nos jours de la peinture contemporaine congolaise. Le peintre congolais Nicolas Ondongo y crée le style « Mickey » (déformation lexicale de « mike » qui signifie « petit » en lingala). Ce style, inspiré de scènes de la vie quotidienne figurant des silhouettes humaines longilignes peintes en noir, caractéristiques de l’École de peinture de Poto-Poto, va essaimer au Sénégal sous l’influence de Pierre Lods. À l’indépendance du Congo, celui-ci quitte Brazzaville pour Dakar à la demande du président Senghor et intègre la section recherches plastiques nègres de l’École nationale des Arts, section dirigée par Papa Ibra Tall. Dans les deux capitales, il encadre de jeunes talents cachés et révèle de grands peintres africains.

Alioune Badiane, ancien directeur de l’École nationale des Arts, ajoute dans Art contemporain du Sénégal : « Pierre Lods a érigé son anticolonialisme en pédagogie. Partisan d’un épanouissement libre des individus, sans aucune entrave même institutionnelle, il se contente de distribuer du matériel, de créer une ambiance libératrice et d’entretenir la tension créatrice. Il considère les jeunes du centre d’art non comme des élèves, mais plutôt comme des amis auxquels il se voue entièrement. »

De la période coloniale aux temps modernes

Frères d’armes durant les Première et Seconde Guerres mondiales, Congolais et Sénégalais se sont battus côte à côte au sein du régiment des tirailleurs sénégalais. Des liens anciens unissent donc ces deux peuples qui ont partagé les joies de la victoire et les souffrances de la guerre sur le champ de bataille.

Durant toute la période coloniale, de nombreux « cadres » congolais ont étudié au Sénégal et inversement. Les étudiants des deux pays partis poursuivre leur cursus en métropole se côtoient également dans le bouillonnement intellectuel et militant de la période de la décolonisation, notamment au sein de la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France, créée en 1950 autour du couple Alioune et Christiane Diop, fondateurs de la Revue panafricaine et de la maison d’édition Présence africaine. La librairie éponyme, située au cœur du Quartier latin à Paris, a été le point de ralliement de nombre de grandes plumes sénégalaises et congolaises.

Le président Senghor, père tutélaire de nombre d’écrivains africains, a d’ailleurs permis l’éclosion à l’international de l’écrivain congolais Sony Labou Tansi. La petite histoire raconte que le président sénégalais alors en mission d’État au Congo aurait fait chercher « Sony » par Henri Lopes. À l’époque, seul le grand Senghor connaissait « Sony » par ce sobriquet. Les recherches de cet écrivain congolais connu du célèbre poète furent vaines, et il faudra encore quelque temps pour débusquer notre héros alors qu’il dispensait des cours à Pointe-Noire.

Les relations diplomatiques entre les deux États modernes du Congo et du Sénégal ont été établies en 1968. Aujourd’hui, environ vingt mille ressortissants sénégalais sont installés au Congo, alors que six mille Congolais vivent au Sénégal en parfaite harmonie ; 50% des ressortissants congolais sont des jeunes, le plus souvent des étudiants.


Rose-Marie Bouboutou