Les Dépêches de Brazzaville



Parole de Mwènè : « Ce qui demeure, les poètes seuls le fondent. » (Hölderlin)


Gabriel Okoundji.Rappelons qu’en langues téké et tégué, Ko ou Kwa signifie lieu, et Ngo la panthère. En langue kongo, Kwa ngo signifie le pays de la panthère. Nos ancêtres Vili ont fondé au xiiie siècle le royaume de Loango (Loa : commandement, règne et Ngo : panthère). Le nom Congo a donc pour acception le pays, ou l’allié de la panthère. Voilà pourquoi la panthère reste l’animal de la seigneurie, l’animal totémique des Bantous.

Le Congo est aussi, comme dirait mon oncle, « ce grand fleuve qui avale tous les fleuves », entouré d’une végétation, l’une des plus luxuriantes qui soient au monde, riche, dense et variée, inondée d’une subtile lumière. Une lumière qui élève l’âme vers la majesté créatrice et donne à l’esprit sa vivacité, sa finesse, son ingéniosité. Cette nature est en conjonction avec l’alliance que forment les traditions, les mythologies, les légendes, etc., répandues le long des deux rives, lesquelles se révèlent source d’inspiration de poètes, d’écrivains et d’artistes dont nous sommes fiers.

Ayons cependant l’humilité d’avouer que nous sommes encore en périphérie dans l’interprétation et l’adaptation artistiques des symboles qui fondent la riche identité de la cosmogonie congolaise. Plus que jamais il incombe aux poètes le labeur des « travaux et des jours » à la manière du grec Hésiode, ou du « Kalevala » d’un Elias Lönnrot qui a forgé le socle culturel du peuple finlandais.

Pourquoi les poètes ? Parce que la poésie est le ferment et le ferrement de toute civilisation. Elle est le premier sentiment littéraire chez tous les peuples. Parce que la prose est un enfant qui apprend à lire, tandis que la poésie est un enfant qui sait lire sans avoir appris. Tout poète, à condition qu’il demeure sincère dans sa quête, est un initié. Initier, c’est apprendre à transmettre la parole reçue ; être initié, c’est apprendre à recevoir la parole entendue. L’initiation étant la voie qui révèle la parole qui manque à la parole afin que l’homme puisse par lui-même apprendre à faire confiance à sa fragilité. Une parole sans détour ne se détourne pas ; la parole du poète est le chant de ressourcement qui aide à marcher lorsqu’il faut marcher, à s’asseoir lorsqu’il faut demeurer assis. Le poète, homme universel par excellence, se situe toujours au voisinage du silence de la vie et du vacarme du monde, condition nécessaire pour apprendre, au jour le jour, à la nuit la nuit, à être homme encore.

L’homme né sur la terre des panthères est une panthère. J’invite les poètes des deux rives à puiser aux sources de notre patrimoine pour nous donner à voir avec éclat que le fils de la panthère, c’est la panthère, et que la panthère ne renie pas les taches d’ombre de sa peau.


Gabriel Mwènè Okoundji

Légendes et crédits photo : 

Gabriel Okoundji.