Les Dépêches de Brazzaville



Prix Kourouma 2014 : « Ceux qui sortent dans la nuit » de Mutt-Lon


Ceux qui sortent dans la nuitLes Dépêches de Brazzaville : Pouvez-vous nous parler du lauréat 2014 et du livre primé ?
Jacques Chevrier : Il s’agit du roman Ceux qui sortent dans la nuit de Mutt-Lon, Daniel-Alain Nsegbe de son vrai nom. Son nom de plume signifie « l’enfant du terroir » en bassa. Ce roman nous invite à voyager au cœur de la sorcellerie et à travers le temps. La nuit dans l’imaginaire africain est associée au danger, que ce soit à cause des animaux sauvages ou des esprits malveillants qui habitent la forêt. Ces esprits malveillants, ce sont les ewusus dans le roman, terme bassa qui désigne des individus d’apparence ordinaire capables la nuit de se dédoubler, de se rendre invisibles et de sortir de leur corps pour commettre des actes en toute impunité.
Le narrateur enquête sur la mort prématurée de sa petite sœur, Dodo, qui a été initiée par leur grand-mère, elle-même ewusu. Il va être pris dans un engrenage, il accepte d’être initié et va même jusqu’à faire un voyage astral : il remonte le temps et se retrouve dans un village au début du dix-huitième siècle.
Mutt-Lon a expliqué à Genève avoir voulu aborder ces sujets, car cela fait véritablement partie du quotidien et des croyances populaires au Cameroun, à tel point que des procès sont intentés en sorcellerie, et il existe même une émission de radio intitulée Au cœur de la nuit durant laquelle des témoins s’expriment pour évoquer des cas de sorcellerie.

C’est un thème souvent abordé. Quelle est la particularité de ce roman ?
C’est en effet un thème fréquent dans les romans d’Afrique équatoriale, mais ce roman est écrit comme une lettre ouverte aux ewusus, les invitant à prendre conscience de ce qu’ils pourraient produire de positif pour l’humanité, à se transformer en forces positives pour l’avenir de l’Afrique, et cela est très novateur.
Ce roman juxtapose, voire oppose également deux époques de l’Afrique : celle contemporaine, avec toute l’acculturation qui est la sienne, et celle de jadis, où tout reposait sur la tradition ancestrale. On peut donc le lire comme une parabole qui invite à ne pas renier le passé et à affronter le monde moderne avec courage et ses croyances propres afin de sortir de la nuit et non plus dans la nuit.

Il s’agit d’un premier roman d’un auteur plutôt méconnu, ce qui diffère des précédents lauréats à l’image de Scholastique Mukasonga ou Tierno Monénembo : comment s’est fait le choix cette année pour le jury ?
Le jury du Prix Kourouma apprécie avant tout l’esprit d’invention, l’impertinence et le ton novateur d’un écrivain, dans la lignée du grand écrivain auquel est dédié ce prix. Nous avons tous été conquis par ce roman puisqu’il a été élu à l’unanimité ! Il s’agit du premier écrivain camerounais à recevoir le prix, et il était ravi de cette distinction. Cela lui a permis d’effectuer son premier voyage en Europe. Le roman de Mutt-Lon est singulier, puisqu’il ne se complait pas dans le pathos de la sorcellerie, ce n’est pas un texte ésotérique mais une œuvre tournée vers l’avenir.


Pauline Pétesch