Pr Théophile Obenga : « Présence Africaine a tenu très haut le flambeau de la dignité africaine »

Mardi 21 Mai 2019 - 17:00

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Du 21 au 24 mai, la maison d’édition Présence Africaine commémore ses soixante-dix ans d’existence. Le Pr Théophile Obenga en est l’un des pionniers et lance un appel. 

Les Dépêches de Brazzaville (L.D.B). La maison d’édition Présence Africaine célèbre cette année ses soixante-dix ans. Que représente cet événement pour vous ?

Pr Théophile Obenga (PTO). Présence Africaine a été créée il y a soixante-dix ans, par Alioune Diop et tous les intellectuels africains de l’époque, ainsi que ceux de la diaspora, des Noirs Américains, des Antillais, Guadeloupéens, Martiniquais : le président Léopold Sedar Senghor, Aimé Césaire, Léon Gontran Damas, Cheick Anta Diop, Seydou Badian, Birago Diop, Joseph Ki-Zerbo, Bernard Dadié…  C’était une belle initiative. Nous étions à l’école primaire, quand ça commencé, jusqu’au moment où nous sommes arrivés à l’université. Cette maison qui a tenu très haut le flambeau de la dignité africaine nous a lancé et continue de nous lancer jusqu’aujourd’hui.  Nous devons honorer la mémoire d’Alioune Diop, rendre tous les hommages dus à sa grande épouse, madame Alioune Diop et toute la famille Alioune Diop, parce qu’ils ont tenu malgré tout en France. Ils ont payé, les taxes, les impôts, les salaires, ce n’était pas évident. Ils ont surmonté toutes les difficultés avec beaucoup d’amour, d’affection et d’engagement. Pas pour se prévaloir ou pour le business, mais pour que l’Afrique ait toute sa dignité. L’Afrique qui était absente pendant des siècles et des siècles en Occident ! D’où le mot « Présence Africaine ». Ils ont voulu réintroduire la présence africaine dans l’humanité.  

LDB. En quelle année avez-vous été publié pour la première fois par Présence Africaine ?

PTO. J’ai publié pour la première fois à Présence Africaine en 1973. Il s’est agi de L’Afrique dans l’antiquité avec une belle préface historique de Cheick Anta Diop. C’est grâce à cette maison et grâce aussi à ce texte que je me suis fait connaître davantage. C’est ce qui m’a lancé. Entretemps, je n’abandonne pas Présence Africaine même si j’écris de moins en moins dans cette maison. Chaque fois que je vais à Paris, je passe toujours rue des Ecoles saluer la famille, madame Alioune Diop, les enfants. Nous avons des relations très particulières, familiales.   

L.D.B. Vous avez beaucoup publié chez Présence Africaine ; y a-t-il une signification à ce choix ?

PTO. Ce choix se justifiait en ce sens que, ce que l’on écrivait c’était pour l’Afrique. Les éditions occidentales françaises traditionnelles s’en désintéressaient particulièrement de l’Afrique qui a une certaine tonalité, une certaine particularité, à savoir la défense des intérêts du continent. Elles ne voulaient pas faire cette promotion, surtout si vous défendiez les intérêts africains. Aucune maison française sérieuse ne pouvait promouvoir l’histoire, la géographie, les sciences politiques, le panafricanisme, la renaissance africaine ou les langues africaines sauf si vous parliez de la Francophonie. Tandis que Présence Africaine publiait tous les intellectuels africains. S’il n’y avait pas eu cette maison d’édition, personne n’aurait publié les livres de Cheikh Anta Diop. C’était même dangereux de publier les Africains qui s’exprimaient librement. Présence Africaine a pris le risque et les défis. C’est ça qui a ouvert cette brèche.

LDB. Pourquoi ce comportement ?

PTO. Tout simplement parce que chacun défend ses intérêts. Les Occidentaux, globalement, n’ont pas intérêt que l’Afrique s’émancipe. Même quand on fait la Francophonie, c’est le culte de la langue française. Il y a le mépris des autres langues qui sont dans la Francophonie. Le Wolof, le Breton est dans la Francophonie, mais on ne fait jamais la promotion des autres langues sinon que de la Francophonie. Les Aimé Césaire sont toujours considérés comme la périphérie, alors qu’ils sont du département français, donc, sont Français et écrivent en français. La Francophonie ne tient pas compte de cela, parce qu’ils ont la peau noire. Nous ne nous en plaignons pas puisque nous avons notre Présence Africaine. Nous avons écrit ce qu’il fallait écrire, nous avons développé nos thèses.

Les Anglais sont différents. Ils ont favorisé le Liberia, le Ghana, le Nigeria. Même les Diomo Kenyatta depuis 1938 ont fait des textes qu’ils ont publiés, alors que la France jamais ne publie une thèse africaine.

Tous les États africains quels qu’ils soient devraient donner 0,5% de leur budget à Présence Africaine afin qu’elle se modernise et publie davantage les Noirs.   

 

Léopold Congo-Mbemba, lauréat du Prix Louise-Labé 2004

Né en 1959, dix ans après la création de la maison d’éditions, Léopold Congo-Mbemba est l’un des auteurs congolais édité par Présence Africaine, au même titre que Tchicaya U Tam’si, Henri Lopes, Jean Malonga ou Alain Mabanckou.

Le natif de Brazzaville, diplômé de philosophie (DEA de l'Université de Paris IV Sorbonne), a été co-directeur de la collection « Poètes des cinq continents » aux éditions L’Harmattan, puis a ensuite travaillé à la Géode (cité des sciences et de l’industrie, au parc de La Villette à Paris), avant d’entrer, en 2001, comme membre associé pour l’Afrique francophone dans l’académie mondiale de la poésie, une entité créée par l’Unesco et dont le siège est à Vérone (Italie). Depuis de nombreuses années, il organisait différents événements en lien avec la poésie, notamment en milieu scolaire.

Vaincu par une longue maladie en 2013, il laisse plusieurs recueils poétiques dont Ténors-Mémoires, paru en 2002 chez Présence Africaine et récompensé du Prix Louise-Labé en 2004.

Propos recueillis par Bruno Okokana

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