Tchichellé Tchivela : « L’écrivain est libre d’avoir son propre miroir intérieur »

Mardi 21 Mai 2019 - 18:30

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Les Dépêches de Brazzaville (L.D.B.) : Que représentent pour vous les Editions Présence Africaine ?

Tchichellé Tchivela (T.T.) : Les éditions Présence Africaine ont toujours représenté pour moi quelque chose d’important dans l’émancipation de l’Afrique d’aujourd’hui. Cela a été d’abord la conscience de la nécessité d’affirmer la présence des Africains et la volonté d’exprimer leurs pensées, d’autres diraient leur philosophie, dans ce monde où beaucoup avaient tendance à nier leur existence, à les négliger, à les mépriser. Ils ont voulu démontrer, que eux aussi, ces Africains que l’on avait tendance à mépriser existaient, et qu’ils étaient ensuite capables de penser, de réfléchir, de raisonner par eux-mêmes et que pour cela, ils n’avaient pas besoin de maîtres venus de l’étranger.

Ces revendications ont été portées par le premier congrès de 1956 mais force est de constater que les manifestations culturelles du genre du premier congrès de 1956 ne s’organisent plus maintenant depuis 1966 après Dakar. Celles qui ont eu lieu notamment à Alger et à Lagos ont été organisées dans un esprit fort différent de celui des premiers congrès de Paris et Dakar. Autant dire que l’esprit qui a présidé à l’organisation du congrès de 1956 a fait long feu.

 

L.D.B. : Pourquoi avoir choisi de vous faire éditer par Présence Africaine?

T.T. : Tout d’abord, étudiants en France, nous avons apprécié la contribution efficace que les éditions Présence Africaine ont apportée au combat des Africains pour l’indépendance de leurs pays. Ensuite, cette maison a été créée et dirigée en toute indépendance par les Africains. Je pensais, et je continue à penser peut-être à tort, que le responsable des éditions  Présence Africaine serait plus sensible à mon discours africain tel que je voudrais l’exprimer dans mes ouvrages. En effet, certains des premiers romans d’auteurs africains que j’avais eu à lire, m’avaient donné l’impression qu’ils avaient été écrits plutôt par des Blancs ayant séjourné en Afrique parce qu’ils utilisaient des expressions toutes faites, des mots que les Africains n’utilisent pas.

J’ai ce souvenir que Senghor avait reproché à Camara Laye, auteur de Dramous, cette tendance à utiliser des expressions qu’un Africain ne dit pas. Fort de cela, je m’étais fait une conviction et je devrais faire en sorte que mes personnages soient de vrais Africains, qu’ils s’expriment comme de vrais Africains, des Africains authentiques, et surtout qu’ils soient reconnus comme tels dans mes ouvrages.

L.D.B. : Vous parlez souvent de vérité quand il est question d’écriture…

T.T. : Les auteurs latino-américains que j’ai découverts, par hasard, m’ont appris deux ou trois choses. La première, c’est que l’on pouvait écrire des romans valables dans des langues non européennes sans perdre l’authenticité ni la vérité. La deuxième est que les canaux esthétiques de la France, de l’Europe n’étaient pas des lois universelles auxquelles tous les écrivains de tous les pays devraient se soumettre. L’écrivain était libre d’avoir son propre miroir intérieur dans lequel il se regarderait, et d’éclairer son univers librement. Cette liberté de création, d’inspiration, m’a beaucoup aidé à devenir moi-même, à écrire ce que je suis en train d’écrire jusqu’à présent.

L.D.B : Tchitchelle Tchivela est votre nom d’écrivain…

T.T. : Mon père a été surpris que je me fasse appeler, en tant qu’écrivain, Tchivela. À vrai dire, c’était le pseudonyme qu’il utilisait sous la colonisation pour dénoncer les exactions que les administrateurs coloniaux faisaient sur les Africains. Il avait pris ce pseudonyme pour échapper aux représailles. Cela ne l’a pas empêché d’être jugé, condamné au bagne mais il a eu la vie sauve et la liberté au fait que Brazzaville était gaulliste et que Dakar, par où il devait passer, était vichyste. Les Français de Brazzaville n’entendaient pas soumettre leurs sujets au jugement des Français vichystes. C’est pour cela que l’on ne l’a pas envoyé. Sinon, il était destiné au bagne de Cayenne.

L.D.B : Votre mot de la fin ?

T.T. : Les éditions Présence Africaine et la revue du même nom ont été un centre de rencontres et de débats où se sont retrouvés les Noirs, les Africains de toutes origines, de l’Afrique, des Amériques, des Antilles et d’ailleurs. Présence Africaine a eu le mérite, selon moi, de propager les résultats de ces débats et des congrès. De faire en sorte que les messages et les conclusions issus de ces débats, aident les Africains, là où ils se trouvaient, à cultiver avec la houe de leurs rêves l’idée qu’ils se faisaient de l’Afrique nouvelle libre et prospère qu’ils voulaient bâtir. Ça, c’est une grande contribution avec la participation au combat de l’indépendance de Présence Africaine.

 

 Verbatim

« Présence Africaine est la mère qui a mis au monde beaucoup de grands écrivains africains qui ont acquis une réputation internationale sans avoir été édités par d’autres maisons dites grandes. »

 

 

Propos recueillis par Marie Alfred Ngoma

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