Santé : le personnel médical accusé de gérer des pharmacies illicites

Lundi 12 Mai 2014 - 17:00

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La vente illégale des médicaments fait partie des interdictions prescrites dans le code de déontologie médicale. Selon cette réglementation, le personnel soignant ne doit, sous aucun prétexte, vendre aux patients des médicaments même si ceux-ci serviront à leur guérison. Qu’en est-il sur le terrain ? Le personnel médical respecte-t-il cette consigne ? Si les réponses sont mitigées chez le personnel qui se retrouve sur le banc des accusés, les langues sont plutôt déliées chez nombre de patients qui se considèrent comme des victimes. Enquête.

Selon de nombreux témoignages, la vente des médicaments a été intégrée comme une pratique normale et sans risque de sanction chez certains agents de santé et ce, à travers les différents centres hospitaliers du Congo. Des patients n’ont pas hésité à nous signaler ce qu’ils ont vécu à l’hôpital de base de Makélékélé, le premier arrondissement de Brazzaville.  

« Lorsqu’on est admis à l’hôpital et que le médecin te prescrit une ordonnance, l’infirmier qui l’accompagne revient te proposer, à un prix plus bas qu’en pharmacie, sa gamme de produits qu’il cache dans son sac ou même dans les poches de sa blouse. L’infirmier te convainc en te disant que le produit est rare et qu’on ne peut même pas le trouver dans les pharmacies. Étant dans le besoin, on est obligé d’acheter », explique Aloïse qui vient de sortir de l’hôpital de Makélékélé avec son fils qui y a été admis pendant une semaine.

Nos investigations nous ont révélé que bien des patients sont manipulés par des infirmiers avides d’argent qui, malgré les mises en garde du ministère de tutelle, continuent d’entretenir leurs réseaux qui les ravitaillent en médicaments. « Le mois passé, ma fille était hospitalisée ici. Comme je n’avais pas suffisamment d’argent pour acheter le produit en pharmacie, mon voisin de lit m’a indiqué une infirmière qui pouvait me vendre des médicaments à bon prix. C’est comme ça que ça se passe ici. Tout le monde sait que dans les hôpitaux on vend les médicaments, on détourne les patients. Quand le médicament prescrit ne se trouve pas en pharmacie, les infirmiers, et parfois même le médecin, te conseillent une pharmacie précise. Au cas contraire, ils te proposent le médicament que tu recherches à un bon prix », raconte une jeune femme.

Les responsables s’indignent, impuissants

Le directeur général de la Santé, le professeur Alexis Elira Dockekias, qui s’est dit profondément touché, avoue être au courant de ces pratiques. Selon lui, des efforts ont été faits, mais en vain, et il s’agit d’un problème d’éthique au niveau de la santé.

« Le coulage que vous entendez est partout car chacun veut s’enrichir surtout lorsqu’on met les moyens au service public. À partir de là vous devez comprendre que des autorités, comme nous, qui essayent de restaurer l’éthique, sont broyées par le processus, par la contrefaçon à tous les niveaux parce que les gens veulent s’enrichir sur les produits de santé au détriment des malades », a-t-il déploré. Et d’ajouter : « Malgré les efforts qui sont faits par l’État pour essayer de relever le niveau de salaire des agents pour tenter d’apporter le bien-être à la population, les gens resteront toujours dans la contrefaçon qui est devenue une habitude et même tolérée. Tant qu’on la tolère, elle va se poursuivre, Parce que ceux qui luttent contre la contrefaçon ne sont pas nombreux et ils sont écrasés par cette machine infernale. Mais, nous allons continuer à mener notre bataille malgré tout ce qu’on peut recevoir comme coup. »

Au nombre des solutions envisagées

Pour mettre fin à cette pratique, le directeur général de la Santé estime qu’il est impérativement important de mettre en place le système de couverture sanitaire universelle adapté à la situation du pays. En effet, « grâce à la couverture sanitaire universelle, le Congo peut mettre à la disposition de sa population les services de santé dont elle a besoin sans que le coût de ces services n’expose l’utilisateur à des difficultés financières ».

Selon lui, cette couverture universelle est le concept le plus efficace que la santé publique puisse offrir. Elle constitue le meilleur moyen de consolider les acquis en santé et un puissant facteur d’égalité sociale et d’équité. « Quand l’équité sera restaurée ainsi, dans un système bien suivi, je ne suis pas sûr que quelqu’un sortira encore des médicaments de ses poches dans la mesure où l’on sait que ces médicaments sont garantis dans les hôpitaux, les officines et les laboratoires. Qu’il s’agisse du public ou du privé, ce système permet un égal accès aux soins avec la possibilité de mettre fin à ces pratiques qui nous font honte », a-t-il précisé.

L’autre défi à relever…

…C’est l’abandon des postes par des médecins au profit des cliniques privées. Une pratique que le directeur général de la Santé a déplorée alors que le pays a de grands défis à relever dans ce domaine précis de la santé. Pour lui, il s’agit, là encore, d’un problème d’éthique pour les médecins et de responsabilité pour les gestionnaires d’hôpitaux et particulièrement au niveau des Ressources humaines. « Aujourd’hui, les médecins en fin de formation sont laissés à l’oisiveté. Près de 85% des médecins qui sont actuellement à l’extérieur du pays sont partis se former à leurs propres frais parce qu’on les laisse dans l’oisiveté. Nous subissons les conséquences du non recrutement. Donc, il y a un problème de ressources humaines malgré les efforts du gouvernement », a reconnu le directeur général de la Santé.

Pour y remédier, Alexis Elira Dockekias a fait savoir que le ministère de la Santé avait proposé aux responsables d’hôpitaux de travailler avec les jeunes médecins au chômage ou doctorants.

À la population, le directeur général de la Santé a demandé de garder espoir sur le système sanitaire congolais, car « il est l’un des meilleurs en Afrique en termes d’infrastructures à construire ». Aux agents de santé, il a recommandé un sursaut pour retrouver l’éthique et corriger le mental s’il est détruit. « Si les valeurs de la santé sont détériorées c’est un crime. Par conséquent, on doit se ressaisir dans la modestie avec le peu de moyens qu’on a, pour que nous atteignions l’émergence », a-t-il conclu.

La pharmacie hospitalière : un département d’interface

Pour le directeur général de l’hôpital de base de Makélékélé, le Dr Antoine Loubassou, que nous avons également abordé, la vente illicite des médicaments par les agents de santé ne prendra fin que si l’on arrive à instaurer le principe de la pharmacie hospitalière.

Il s’agit d’une pharmacie installée à l’intérieur d’un hôpital et chargée de mettre à la disposition de ses clients hospitalisés des médicaments et des consommables. Une telle structure évite la concurrence qu’on qualifierait de déloyale avec les pharmacies privées, parce qu’avec la subvention de l’État, les médicaments sont cédés moins chers à la pharmacie hospitalière que dans les officines privées.

La mission de la pharmacie hospitalière est d’arriver à mettre à la disposition des patients, et sur prescription du médecin, tout ce qu’il faut. « Cela signifie qu’après avoir établi le diagnostic d’un malade, on lui donne les médicaments sans lui prescrire une ordonnance. De sorte qu’à la fin, donc une fois le malade guéri, on lui donne une facture. C’est comme ça que les hôpitaux occidentaux fonctionnent. Actuellement, nos autorités sont en train de travailler pour l’assurance maladie universelle dans laquelle est inclue la pharmacie hospitalière, car sans la pharmacie hospitalière, il ne peut y avoir d’assurance maladie universelle », a précisé le directeur général de l’hôpital de base de Makélékélé, spécialiste en santé publique.

À propos des pratiques décriées par les malades et qui ont cours dans sa structure, le docteur Loubassou commente : « Dans un hôpital vous trouverez toujours des agents qui le font. Notre rôle est de sanctionner et nous n’arrêterons jamais de sanctionner. » Pour rappel, explique-t-il : « La population, bien qu’étant dans un état de faiblesse, est aussi responsable de cette situation. Nous ne cessons de le dire aux malades que le meilleur médicament, c’est celui qui est vendu en pharmacie. Par le passé, nous avions déjà sanctionné des sages-femmes en maternité qui se livraient à ce genre de pratique. Elles avaient été mises à la disposition de la direction générale de la Santé. Il faut conscientiser la population. »

Quand l’accueil et le délai d’attente posent problème

Parmi les autres pratiques dénoncées par les patients et les usagers, il y a la qualité de l’accueil qui laisse à désirer ainsi que les prestations qui, d’après eux, se font en fonction du rang social ou des moyens du patient.

Un parent d'un malade témoigne : « Il y a quelques jours, je me suis rendu dans cet hôpital au chevet d’un parent. C’est ainsi que j’ai pu constater la mauvaise qualité de l’accueil, les prestations qui se font sans tenir compte de l’ordre d’arrivée, mais en fonction du rang social du patient », a indiqué une source. Avant de poursuivre, la voix nouée par la colère : « Ce qui m’a surtout irrité au niveau de cet hôpital, c’est que j’étais avec un parent très mal en point dans la salle d’attente. Le médecin s’est permis de recevoir deux autres personnes avant nous, sans respecter l’ordre d’arrivée pendant que l’état de mon parent empirait. »

Un autre usager d’ajouter : « J'ai un parent qui vient de subir une intervention chirurgicale. J’avoue que le temps que nous avons passé au niveau de cet hôpital a relevé du parcours du combattant. Car pour avoir un médecin, il faut faire beaucoup de va-et-vient et se montrer généreux avec les infirmiers chargés de faire les pansements et autres injections. »

Des exceptions dans la corporation

« Il y a trois mois, une de mes tantes était hospitalisée ici et j’étais à son chevet. Au début, nous avions eu tous les problèmes… Mais un jour, je suis tombé sur une infirmière qui nous a facilité la tâche durant tout le reste du temps que nous avons passé à l’hôpital, par la qualité de sa prestation et l’attention qu’elle a accordée au malade », a reconnu un ancien garde-malade.

D’après le directeur général de l’hôpital de base de Makéléké, les délais d’attente sont dus à l’insuffisance du corps médical et au rythme des départs à la retraite. La fermeture de deux hôpitaux de la place, Talangai et Blanche Gomez, ajoute au débordement décrié, qui est à l’origine de ces longues attentes. « Nous ne faisons pas attendre n’importe quel malade. Les infirmiers qui sont au niveau du triage sont sensibilisés de telle manière qu’ils ne fassent pas attendre un malade grave, blessé ou des malades dans un état comateux. Il y a, il est vrai, un problème d’insuffisance de médecins qu’il faut résoudre », a-t-il indiqué.

Dans la foulée, il faut signaler ce phénomène de circuits parallèles introduit dans la distribution des médicaments par des commerçants qui ne maîtrisent ni les conditions de leur préservation, ni les posologies ou les risques liés à certaines associations contre-indiquées de médicaments. Ces vendeurs illicites de médicaments comptent sur les ordonnances délivrées par les personnels médicaux des hôpitaux pour mettre au point leur traitement pour des symptômes spécifiques. Malheureusement certains médicaments distribués par le réseau national officiel se trouvent dans ce circuit de vente illicite.

Si rien n’est fait pour remettre de l’ordre, le mal se transformera en une véritable gangrène.

 

Yvette Reine Nzaba

Légendes et crédits photo : 

photo 1 : L’hôpital de base de Makélékélé. photo 2 : L'entrée de l’hôpital.