Beethoven-Henri-Germain Pella-Yombo : « Nos artistes, bien que talentueux, sont abandonnés à eux-mêmes »

Samedi 27 Septembre 2014 - 8:00

Abonnez-vous

  • Augmenter
  • Normal

Current Size: 100%

Version imprimable

Promoteur-manager du Groupe Pella Yombo (GPY), Beethoven-Henri-Germain Pella-Yombo dit avoir créé les Sanzas de Mfoa, les trophées des créateurs culturels, dans le souci de combler un vide. Il reconnaît dans un entretien exclusif accordé aux Dépêches de Brazzaville que ce sont nos comportements qui ont fait perdre au Congo ses lettres de noblesse en matière de création culturelle

Les Dépêches de Brazzaville : Vous êtes le promoteur-manager de plusieurs concepts, dont les Sanzas de Mfoa, les trophées des créateurs. Pourquoi les avoir créés et quelle sont leur philosophie ?
Beethoven-Henri-Germain Pella-Yombo : Les Sanzas de Mfoa sont un concept qui a vu le jour dans le souci de combler un vide en matière de trophées d’encouragement dans le domaine de la créativité culturelle. Nos artistes sont un peu comme abandonnés à eux-mêmes bien qu’étant talentueux. Vous savez que la culture congolaise en général et la musique en particulier faisaient la fierté du Congo dans toute l’Afrique au début des indépendances jusqu’à il y a vingt ans. Depuis, les artistes, qui sont prolifiques pourtant en matière de création, ne sont pas soutenus. C’est pourquoi au niveau du GPY nous avons pensé créer une émulation autour de leurs créations, comme cela se fait sous d’autres cieux, pour qu’il y ait comme une évaluation annuelle au cours de laquelle on fait honneur aux artistes par la reconnaissance de leur travail. Cela non seulement les galvanise, mais fait aussi en sorte que chaque année ils continuent à y croire et à être fiers de leurs métiers, parce que c’est de ce métier qu’ils vivent et avec lequel ils font parler du Congo.

Quelles innovations apporterez-vous à la prochaine édition ?
La prochaine édition des Sanzas de Mfoa, le trophée des créateurs, aura lieu le 6 février 2015 à l’Institut français du Congo. Dans cette douzième édition, il y aura beaucoup de choses. Habituellement, nous faisons tout en musique, mais cette fois nous pourrons tout faire en sculpture, en dramaturgie ou en musique. Telle est la grande innovation que nous allons apporter. Nous avons l’ingéniosité d’apporter de la détente dans notre vie et l’ambition de toujours accompagner le rêve des autres et nous avons la volonté de mener notre Congo bien-aimé aux fonds baptismaux, mais tous ces concepts ne sont possibles qu’avec l’appui de sponsors. C’est pourquoi nous remercions les autorités de la République, les mécènes, les sponsors, qui à chaque fois quand nous nous adressons à eux, pensent que le Congo est un bien commun pour lequel chacun de nous doit faire un effort et apporter sa contribution afin que le pays soit présent au concert des nations. Le chef de l’État lance une interpellation, dont j’ai fait une devise du GPY, lorsqu’il demande aux pouvoirs publics, aux mécènes, aux promoteurs culturels et aux artistes à redonner âme et vie à la culture congolaise. Depuis chaque année, nous rendons actuelle cette interpellation en promouvant çà et là notre identité culturelle à travers le monde ou en faisant honneur et reconnaissance à nos artistes sur le plan national. C’est vrai qu’il ne faut pas fermer la porte aux autres cultures, mais le Congo est un pays fragile où l’acculturation emporte facilement ses citoyens, parce qu’ils sont facilement manipulables. Ils aiment tout ce qui vient d’ailleurs, ce sont des erreurs que nous avons tous commises. Que nous, qui avons commis ces erreurs par le passé, nous remettions en cause, fassions un examen de conscience, nous associions aux activités, à la promotion où à la créativité locale pour que les Congolais sur le plan national soient d’abord les meilleurs. Il faut qu’on arrête avec les comportements qui nous ont caractérisés pendant longtemps, où quand il y avait une activité culturelle nous faisions venir des étrangers et pensions que les Congolais devaient apporter des fauteuils dorés à ceux qui viennent d’ailleurs. Nous devons nous ressaisir, parce que les nôtres ont du potentiel. Car sous d’autres cieux ils font partie des meilleurs, pourquoi chez nous devraient-ils continuer à jouer les seconds rôles ?

Depuis un certain temps GPY n’organise plus de productions scéniques. Est-ce parce que les concepts la Nuit du Congo à… et les Sanzas de Mfoa vous rapportent assez d’argent ou est-ce parce qu’ils vous coûtent trop cher et que vous ne pouvez plus les organiser ?
Comme je viens de le dire, nous avons commis des bêtises à un moment donné. Pendant plus de trente ans, j’ai produit des musiciens venant d’Europe et d’Afrique au détriment de mes compatriotes. Et pourtant, le Congo a des artistes talentueux dans tous les domaines des arts et des lettres (peinture, sculpture, musique et autres). C’est nous-mêmes qui ne les avons pas encouragés pendant longtemps. Souvenez-vous que pendant le monopartisme, des artistes comme Tchicaya U Tams’i, Letembet Ambily, Tati Loutard, Henri Lopes étaient vantés et lus çà et là. Des artistes musiciens comme Jean Serge Essous, Pamelo Mounka, Youlou Mabiala, Rapha Boundzéki, Aurlus Mabélé étaient adulés également çà et là. Aujourd’hui, les Zao, Roga-Roga sont de véritables porte-étendards de la musique congolaise. Dans le domaine de la peinture et de la sculpture, nous avons des artistes comme Moukala, Mouanga, Rhodes Makoumbou qui sculptent et qui peignent efficacement. Il manque seulement qu’au niveau de l’État il y ait un cadre d’encouragement, d’organisation pour que le domaine de la culture soit attractif sur le plan de la créativité. Nous avons un amorphisme en matière d’organisation des spectacles parce qu’il n’y a plus d’engouement pour les spectacles. Et je mets quiconque au défi de réussir, car tous les spectacles qu’on organise depuis bientôt cinq ans sont des fiascos. Les jeunes promoteurs qui viennent dans le métier, et auxquels je souhaite d’ailleurs la bienvenue, n’ont pas de méthode. On ne peut pas de sa poche organiser un spectacle à plus de 60 millions sachant que les Congolais n’ont pas d’enthousiasme pour les concerts. Tu n’organiseras jamais un concert de musique où il y aura cinq mille personnes qui viendront pour payer des droits à 10 000 ou 20 000 FCFA, j’en mets ma main à couper. Tu n’organiseras pas une soirée de représentation théâtrale où le droit d’entrée est à 10 000 FCFA et que tu t’attendes à recevoir 500 Congolais, non, et ainsi de suite.

Que faire alors ?
Il faut recadrer, formaliser, organiser les choses pour que les Congolais retrouvent un engouement pour nos arts et nos lettres. C’est un travail que l’État devrait faire, et nous qui avons une petite expérience en la matière apporterions simplement notre expérience afin que les choses se dynamisent. C’est à l’État que revient la décision de créer ce cadre-là. Nous sommes un pays jeune, il ne faut pas qu’on dise que la musique ou la culture sont du domaine du privé. Les arts et les lettres sont le mode de vie d’une société. C’est comme le pétrole qui est un bien du sous-sol congolais et les autres minerais. Il faut qu’on protège le domaine culturel en l’organisant, car il n’est pas organisé, alors que nous avons les moyens de le protéger et de le faire valoir. Il faut avoir le courage de reconnaître que ce sont nos comportements à nous qui ont fait que nos arts et nos lettres perdent leurs lettres de noblesse. Voilà pourquoi, fort des écoutes et des interpellations que j’ai eues çà et là, j’ai accouché du concept des Sanzas de Mfoa et de la Nuit du Congo à…, pour créer des espaces aux artistes congolais. Pour les Sanzas de Mfoa, c’est l’honneur aux créateurs dans le domaine des arts et des lettres que nous rendons visible.

Bruno Okokana