Design : Sandrine Ebène de Zorzi, « nos pièces ont quelque chose que les productions industrielles n’ont pas »

Samedi 4 Avril 2015 - 10:45

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Avoir chez soi des meubles signés d’un designer, c’est ce qu’on aime. Et quand ce designer remarquable est de chez nous, on aime encore plus. Basée à Paris, la Franco-Congolaise Sandrine Ebène de Zorzi fait partie de ces designers dont le savoir-faire et l’engagement auprès des artisans congolais (RDC) force l’admiration. Zoom sur un créateur dans l’air du temps !

Les Dépêches de Brazzaville : Sandrine, comment peut-on vous présenter à nos lecteurs ?

Sandrine Ebène de Zorzi : Et bien je suis franco-congolaise, née à Kinshasa. Je suis ébéniste, je vis et travaille à Paris. J’ai été formée à l’École Boulle et j’ai travaillé aux ateliers de restauration du Musée du Louvre avant de me mettre à mon compte.

L.D.B : À quel moment la déco, l’ébénisterie, le design moderne de mobilier entrent-ils dans votre vie pour que vous en fassiez votre métier ?

S.E.Z : Très tôt et très tard ! Enfant, je me revois en train de démonter les chaises du salon ! Et puis l’imaginaire, le Congo, mon pays natal avec ses arbres immenses… c’est la matière, le bois, qui m’a attirée tout d’abord vers l’ébénisterie. Mais il a fallu attendre des années avant de concrétiser cette passion et d’en faire mon métier.

L.D.B : Parlez-nous de votre marque Ebènesand ? Quelle est sa spécificité ? En quoi se diffère-t-elle d’autres marques dans l’industrie du design ?

S.E.Z : À vrai dire il s’agit plus d’un projet que d’une marque. Et ce projet consiste à questionner à la fois la forme du design occidental et la disparition des savoir-faire artisanaux africains. Il s’agit d’un dialogue, ou d’un entre-deux. Faute de moyens, les artisans congolais travaillent sans machines, les « mains libres » comme ils disent. Les pièces que nous produisons sont ainsi des oeuvres uniques qui échappent, justement, au monde industriel.

L.D.B : Quel est votre approche du design contemporain ? Et comment concevez-vous vos créations, consciente de votre attachement apparent pour le Congo ?

S.E.Z : Pour le moment ce qui m’intéresse c’est la réappropriation, puis la réinterprétation par des savoirs- faires traditionnels des formes du design moderne occidental. Un travail sur des matières brutes, sans dessins et sans outils. C’est une forme de no-design en fait !

Les créations sont le résultat de toute une série d’ajustements, de discussions et de décisions prises ensemble, les artisans et moi. Ce que j’aime c’est le renversement des valeurs qui est proposé : fabriquée avec peu de moyens, nos pièces ont quelque chose que les productions industrielles n’ont pas. Un supplément d’âme peut-être ! Dans un film sur l’art africain, le cinéaste Chris Marker montre comment la technique et l’outillage occidental ont appauvri l’artisanat sur notre continent. Je pense que c’est vrai, la technique bride l’imagination, la créativité, nous fait aller au plus vite ou au plus simple. Ebenesand, c’est autre chose, chacune de nos pièces est considérée comme une oeuvre, une sculpture.

L.D.B : Le marché du design contemporain est très dominé par de grandes enseignes et des noms déjà connus. Comment des « jeunes » designers comme vous arrivent à se frayer un chemin et à vivre ?

S.E.D.Z : On y arrive à pein e! C’est un métier difficile. Mais les grandes enseignes ne sont pas nos concurrents. Quand on va voir un ébéniste ou un designer pour une commande, c’est pour quelque chose de spécifique, de singulier, de personnel, pas pour retrouver les produits standardisés de la grande consommation.

L.D.B : Avec votre marque, vous avez fait un travail remarquable en revisitant la chaise DSW des Eames grâce à une collaboration avec un ébéniste de Kinshasa. Cela a donné lieu à la chaise « Kiti Makasi ». Pourquoi avez-vous choisi cet objet particulièrement ? Était-ce plus simple pour vous de travailler sur une valeur sûre du marché ?

S.E.D.Z : C’est encore une question de dialogue. Pour la Kiti Makasi, je suis en effet allée à la rencontre de l’ébéniste kinois Michel Vamba Tiwete avec, en main, une coque de la célèbre chaise DSW des Eames. Nous avons travaillé ensemble à partir de cette coque puis je l’ai laissé faire. La solution qu’il a mise en oeuvre pour réaliser cette chaise, avec des bois tropicaux, est celle du lamellé-collé. Nous sommes partis avec cela, deux essences de bois, du Kambala et du Tola. Puis nous avons réalisé une première série de Kiti Makasi. On a regardé, on a discuté, on a ajusté, puis une deuxième série a été réalisée. Et ainsi de suite... Le processus de création est là : on est dans une sorte de no-design, comme je disais tout à l’heure. Au final, on ne retrouve pas vraiment le travail des Eames, ce n’est pas cela qui compte, le choix de la DSW n’est qu’un prétexte au dialogue.

 L.D.B : « Kiti Makasi » a désormais plusieurs déclinaisons contemporaines. Comment avez-vous pensé le développement de cette œuvre revisitée et aussi cette collaboration avec Kinshasa sur un produit à la base plutôt américaine ?

S.E.D.Z : La forme de la Kiti Makasi change à chaque tentative : quelques détails disparaissent, d’autres apparaissent. Celle-ci est plus fine et étroite, celle-là est large et épaisse, mais chaque fois, c’est la rencontre unique d’une forme qui nous est familière avec la matière brute de la forêt tropicale. Ensuite, il y a tout le travail d’atelier : les assemblages, les piètements, et les finitions, qui sont réalisés dans la tradition des ateliers d’ébénisterie français, comme je l’ai appris avec mes maîtres de l’école Boulle, à Paris. Sa production est encore assez restreinte, nous n’avons commencé qu’en 2013 avec les premiers prototypes. Comme je disais, le fait de partir d’une coque thermo-moulée de chaise DSW est plus un prétexte qu’autre chose. Mon idée était de dire : et si Charles et Ray Eames avaient trouvé l’inspiration en Afrique ? Et si la Kiti Makasi était en fait l’ancêtre de la célèbre DSW ?

L.D.B : Comment « Kiti Makasi » est-il perçu sur le marché occidental ?

S.E.D.Z : Comme un ovni.

S.E.D.Z : L’artisanat local congolais est à travers votre démarche valorisé. Comment pensez-vous développer à long terme des collaborations avec les artisans congolais ?

S.E.D.Z : Le projet Ebenesand, depuis le départ, c’est de créer un atelier et un show-room à Kinshasa. Monter une équipe, importer des machines, faire de la formation. Le rêve serait de maîtriser toute la chaîne de production, de l’arbre à la chaise ou à la table basse. On y travaille, on y travaille petit à petit. Nous avons déjà acheté quelques hectares de forêt l’année dernière !

L.D.B : Sur les deux rives du fleuve Congo, très peu d’artisans sont reconnus. Pourtant, la main d’œuvre et les matières premières ne manquent pas. Qu’est ce qui explique cette situation selon vous ?

S.E.D.Z : Cela dépend des domaines je crois. Dans le bâtiment on le voit assez bien, le travail artisanal ne peut pas concurrencer les produits industriels en provenance de Chine ou de Dubaï. Il suffit de regarder la faible qualité de notre architecture. C’est vrai que c’est assez étonnant de voir le manque de considération du bois dans la construction en Afrique centrale et en RDC particulièrement (2e exportateur de bois derrière le Brésil!). Une richesse est là, inexploitée.

L.D.B : Qu’est-ce qui vous anime particulièrement ?

S.E.D.Z : La vie, les émotions, la musique, voir ma fille grandir, le travail, le goût du piment, l’odeur du bois, la voix de ma mère et l’amour de mon chéri ! Tout est énergie ! Les good vibes !

L.D.B : Chez vous, à la maison, le mobilier est plutôt ultra design, moderne, de brocante ?

S.E.D.Z : Un beau mélange ! J’ai quelques pièces de design américain ou scandinave mais aussi des meubles de brocantes bien massifs !

L.D.B : Quel est votre objet préféré ?

S.E.D.Z : Les chaises ! Toutes les chaises (ou presque…) !

L.D.B : Un astuce déco ou rangement bon à savoir ?

S.E.D.Z : Le paravent, c’est ma passion du moment ! C’est un passé de mode mais ça m’intéresse. On va essayer d’en fabriquer un dans les prochains mois.

L.D.B : Quels sont vos prochains projets ?

S.E.D.Z : On aimerait amorcer un développement plus centré sur l’Afrique et notamment à Kinshasa. Je serais vraiment fière si les Congolais adoptaient mes meubles! À Paris, beaucoup de choses en vue car en marge de ce projet Ebenesand je suis associée dans un atelier d’ébénisterie et de design, Atelier BEES. Nous faisons des agencements d’appartements sur mesure, un peu de scénographie aussi, pour des musée, et des pièces de mobilier bien sûr !

 

 

Propos recueillis par Meryll Mezath

Légendes et crédits photo : 

Photo 1: Les chaises Kiti Makasi d'Ebène Sand présentées avec une table basse; Crédits photo: DR Photo 2: Sandrine Ebène de Zorzi; Crédits photo: DR Photo 3: A Kinshasa, l’ébéniste Michel Vamba Tiwete a collaboré avec Sandrine Ebène dans la réalisation des prototypes de la chaise Kiti Makasi; Crédits photo: DR Photo 4: Kiti Makasi; Crédits photo: DR