Ciné droit libre : un festival au-delà des frontières

Samedi 5 Août 2017 - 11:23

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On a du mal à associer cet homme souriant, jovial et sympathique à ses films tranchants, au festival à la programmation la plus mordante d'Afrique. Abdoullaye Diallo porte à lui seul plusieurs casquettes : directeur du Centre national de presse Norbert-Zongo à Ouagadougou, président du festival Jazz à Ouaga, réalisateur de documentaires (« Borry Bana, le destin fatal de Norbert Zongo », « une révolution africaine », « Sur les traces du Bembeya Jazz »,  « Télé Guerre », etc.).

Les Dépêches de Brazzaville :  D'où vient l’idée du festival Ciné Droit Libre ?

Abdoullaye Diallo : L’histoire du festival Ciné Droit Libre est entièrement liée à l'affaire Norbert Zongo. C'est lui qui m’a recruté dans la maison de presse et j'ai travaillé sous sa direction, alors j'étais directement concerné. La maison de presse était une association de la société civile qui s'occupait des relations avec la presse, de défendre la liberté de la presse, de former des journalistes, de renforcer leur capacité à contribuer à la démocratie...

Dans mes activités, j'étais souvent en contact avec deux amis : Luc Damiba qui était le coordinateur du réseau national de lutte anti-corruption et Gidéon Vink, coopérant hollandais. Et ensemble on a tourné le documentaire « Borry Bana le destin fatal de Norbert Zongo ». Le film sort en 2003 et est immédiatement censuré au Burkina. Pour le montrer à la population, nous avons décidé de le donner aux pirates sur le marché pour le multiplier et le diffuser ; ils ont gardé le film 2 jours et… ils ont refusé ! Ils nous ont expliqué qu’ils ne voulaient pas prendre de risque !

Aucune chaîne de télé, aucun cinéma n'a accepté de montrer ce film. Même le CCF a refusé. Le Fespaco 2005 (Festival panafricain du cinéma de Ouagadougou, principale biennale du cinéma sur le continent - NDLR) a aussi censuré le film. Mais à cette époque, je dirigeais déjà le centre de presse dénommé  Norbert-Zongo  et je l'ai programmé « chez moi » pour le « Fespaco off », c’est-à-dire une manifestation privée en marge du festival - NDLR).

Et tous les journalistes invités au Fespaco sont venus chez nous. À 17h, notre petit espace était déjà blindé d’un monde fou ! Toute la presse s'est jetée dessus. Ce film parle aux gens et la population burkinabé ne l’avait pas vu. C’était très important pour nous qu'elle le voie et donc nous avons décidé de lancer un  festival pour contourner la censure ! Et en juin 2005, nous avons lancé la première édition avec les films censurés au Fespaco. Cette première édition fut  un succès avec un nouveau concept : un thème, un film, un débat …

Nous avons programmé le film Borry Bana dans la salle du CBC (Conseil burkinabé des chargeurs) en face du siège du Fespaco – une salle où le  Fespaco programme les séries télé. Mais, à l'époque, j'ai manoeuvré pour atteindre mon but : nous avons signé un contrat avec le CBC pour la location de la salle « pour une projection » - sans préciser de quel film. Contrat signé, l'argent versé... le jour de la projection le directeur apprend que c’est Borry Bana qui est programmé. En colère, il me reproche de l’avoir trompé mais je prétends que je n'étais pas au courant. Il panique complètement et me demande d'annuler et là je lui dis que la loi est de mon côté, que j'ai des avocats, que toute la presse est à mes côtés, qu'il aura une grosse amende à payer et que la presse va le déchirer - il capitule et on projette le film au grand public ! (Abdoulaye rit de bon cœur de ses souvenirs…).  C'était un triomphe !! Ensuite, on le projette aussi à l'université dans une salle archi-comble : c’était la naissance de Ciné droit libre !

LDB : Comment Ciné droit libre se finance ?

AD : Depuis la première édition, nous avons la chance de recevoir le soutien de plusieurs ambassades à Ouagadougou :  Pays Bas, Danemark, Suisse, États-Unis... L'ambassade des Pays-Bas nous a accordé un financement pour les trois premières éditions et cela nous a permis de nous développer. Nous travaillons en partenariat avec Amnesty International. Dès la 2e édition, nous avons décidé d'associer des artistes comme Smockey, Sams'K le Jah, Awadi, etc. et depuis nombre d’artistes sont passés à Ciné Droit Libre. À partir de 2007, nous avons lancé une décentralisation dans les quartiers, loin du centre-ville dans les zones non loties et ensuite dans sept villes à l’intérieur du pays.

LDB : Depuis, le festival s’est étendu dans d’autres capitales de l'Afrique de l’Ouest !

AD : Nous avons ressenti qu’il y avait une grande demande, surtout parmi les jeunes, de savoir la vérité sur leur continent et son histoire. On s'est lancé en 2008 à Abidjan, ma ville natale, en 2011 une première tentative à Dakar. À partir de 2014, on s’est réellement installé à Dakar. En 2016 Bamako et cette année 2017 à  Niamey et Nouakchott.

LDB Toutes les éditions sont-elles identiques ?

AD : On travaille sur la même thématique dans toutes les villes. Cette année, le thème était « l’extrémisme violent » et presque les même films principaux reviennent partout. Selon le contexte local on varie la programmation.

LDB : Quel sera le prochain thème ?

A.D : Ce sera la migration à lancer à Dakar du 20 au 23 septembre.

 LDB : Qui sont vos partenaires ?

AD : À Dakar, le studio Sankara, la structure d’Awadi. À Bamako, nous avons créé un club Ciné Droit Libre et travaillons avec la Maison de la Presse,  À Niamey, le réseau  Alternatives, la maison de la presse et le studio Kountché et à Nouakchott, le festival Assalamalekoum, Cependant à Niamey et Nouakchott les prochaines éditions ne sont pas encore 100% assurées.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Propos recueillis par Sasha Gankin

Légendes et crédits photo : 

Légende image 1: Abdoulaye Diallo (à g) et le rappeur malien Master Soumy au Ciné droit libre à Nouakchott Légende image 2: Affiche de l'édition 2017 du Ciné droit libre à Noukchott

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