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Awad, l’esclave évadé

Jeudi 30 Novembre 2017 - 11:40

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Le monde a été frappé d’émoi, suite aux révélations sur l’esclavage en Libye. En réalité, le phénomène n’a jamais cessé véritablement dans certaines contrées.  Dans son numéro du 21 août 1954, La semaine de L’AEF (actuelle Semaine Africaine) raconte l’histoire d’un esclave vendu à la Mecque et qui a réussi à s’évader. Cette histoire a été publiée dans Afrique nouvelle du 4 août 1954. Awad El Djoud, c’est de lui qu’il s’agit, avait été interrogé par D. Traoré, correspondant à Bamako de la revue citée ci-dessus.

Awad est né vers 1933. À l’âge de 9 ans, un certain Mohamed Ali ag Attakher le prend à son service. Il n’est pas payé  mais entretenu uniquement. En 1949, son patron décide de partir pour la Mecque. Awad l’accompagne avec quatre autres serviteurs. Il y a dans le groupe la femme de son maître et son homme de confiance. Le voyage de Bamako à Djeddah, en Arabie, dure près d’une année. De Bamako, ils vont à Gao. Par la route transafricaine, ils partent pour Niamey, Zinder et Kano. Là, ils restent trois mois. Puis trois mois à Fort-Lamy (N'Djamena, aujourd’hui) d’où ils partent par camion jusqu’à El Obeid (Soudan). À Obeid, ils prennent le train jusqu’à Port-Soudan et puis le bateau jusqu’à la Mecque. Une véritable expédition. Mohamed Ali et son monde séjournent dans la ville sainte pendant un an. Après un voyage à Médine, ils repartent pour la Mecque pour le pèlerinage de 1950. Les serviteurs sont bien traités, sans doute, pour mieux les prendre. Après le pèlerinage, Mohamed Ali envoie Awad chez Abdallah Fayçal, un chef de tribu, comme serviteur. Au mois de mai de la même année, Fayçal ordonne à son intendant d’aller vendre Awad au marché des esclaves à Djeddah. On le conduit en camion. Arrivé au lieu dit, on le fait entrer dans une grande salle où se trouvent déjà beaucoup d’hommes et de femmes. Il  reste là  un certain temps, mais décidé à s’enfuir.

Un jour, il demande au gardien de le laisser sortir pour fumer une cigarette. Il en profite pour fuir au consulat de France. En vain. Au bout de deux jours, il s’enfuit de nouveau, cette fois, chez le Vizir de Djeddah. Vizir est  équivalent à ministre, titre hérité de l’empire ottoman. Ce dernier  se contente d’obtenir de son maître qu’il le reprenne à son service. Ce qui fut fait. Awad rapporte que si les esclaves sont dociles et s’ils ne cherchent pas à s’enfuir, ils ne sont pas maltraités. Néanmoins, il a vu son maître rouer de coups de gourdin, jusqu’à le faire mourir, un esclave qui était soupçonné d’avoir volé et de vouloir s’enfuir. À cette époque, il affirme qu’il y a beaucoup de Noirs esclaves en Arabie, où il existe de nombreux marchés d’esclaves dans toutes les grandes villes. Les ventes se faisaient le soir vers 17 h. Les grands personnages passaient, choisissaient et discutaient le prix avec les propriétaires.       

Awad, pour le garder, son maître a tout fait. Il lui a même donné une femme arabe. Awad a refusé pour qu’elle ne fût pas une entrave à sa volonté de fuir. A la fin de 1953, son maître part pour la France. Sa femme autorise Awad de passer trois jours aux lieux saints. De là, il repart pour Djeddah. Il tente de se faufiler dans un bateau. Chaque fois, la police le refoule. Mais un jour, il réussit à porter les bagages d’un pèlerin guinéen. Une fois à bord, il se cache. Le bateau lève l’ancre. Il est enfin libre. Il vend ses vêtements pour payer le chemin de fer jusqu’à Khartoum. De là, il poursuit sa route vers le Soudan français (nom porté par le Mali de 1920 à 1958), s’arrêtant quelques fois pour travailler et gagner l’argent nécessaire pour continuer sa route. Il faut souligner, qu’il lui est arrivé, deux fois, au cours de son odyssée, de rester sept jours sans manger. Il s’attachait une serviette sur le ventre pour ne pas sentir la faim. En 1954, il arrive à Bamako, objet de toutes les curiosités.

En vérité, l’esclavage reste encore une réalité dans de nombreux pays dans le monde. Il est courant d’entendre parler, à ce sujet, d’esclavage moderne. Il y a donc, dans les protestations actuelles, une forme d’hypocrisie d’une désolante superficialité. En dépit des alertes lancées par les médias sur les conditions des Africains, Philippins, Vietnamiens et d’autres Asiatiques dans les pays arabes, et ceux du golfe persique en particulier, l’esclavage, dans ces contrées, est une  réalité endémique. Ne nous cachons pas derrière notre petit doigt. Les réactions actuelles sont superfétatoires. Les vrais héros ne sont pas toujours ceux que l’on croit.                                                         

 

 

 

 

 

 

 

 

Mfumu

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