Patrimoine : la France pose les jalons de la restitution d’œuvres d’art à l’Afrique

Jeudi 22 Novembre 2018 - 14:50

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Le président français, Emmanuel Macron, recevra le 23 novembre une feuille de route qui donnera lieu, le moment venu, à une telle restitution, considérée comme un acte de justice par de nombreuses personnes tant en Europe qu’en Afrique.

Le rapport dresse un inventaire précis des dizaines de milliers d’objets que les colons ont ramené du continent africain entre 1885 et 1960. Il recense « au moins 90 000 objets d’Afrique subsaharienne dans les collections publiques françaises ». Le Musée du Quai Branly est le plus concerné, avec 70 000 œuvres, dont deux tiers « acquises » durant la période 1885-1960. Soit 46 000 objets potentiellement concernés par des restitutions. Les pays les plus concernés sont le Tchad (9 200 œuvres), le Cameroun (7 800) et Madagascar (7 500). Il s’agit, selon les experts, de 85 à 90 % du patrimoine africain qui serait aujourd’hui hors du continent.

En ce qui concerne le périmètre de la spoliation, il engloberait les biens pillés, volés, butins de guerre, mais aussi ceux, très nombreux, acquis à des prix dérisoires, sans commune mesure avec le marché de l’époque, par les marchands, militaires, missionnaires, voyageurs…

Le rapport propose un changement législatif majeur du code du patrimoine pour permettre des restitutions de collections se trouvant dans les musées français à des États demandeurs, mais les collections privées ne seraient pas concernées. Tout le monde convient de dire qu’une éventuelle évolution de la législation française aurait inévitablement des répercussions dans d’autres anciennes puissances coloniales, pour les œuvres africaines, mais aussi le patrimoine d’autres régions.

Notons qu’une convention de l’Unesco contre l’exportation illicite de biens culturels, adoptée en 1970, permet d’organiser sporadiquement des restitutions mais elle ne s’applique pas rétroactivement. Malgré cela, les anciens pays colonisateurs, dont les grands musées craignaient de devoir rendre certains de leurs trésors, ont traîné les pieds pour la ratifier : la France ne l’a fait qu’en 1997, le Royaume-Uni en 2002, l’Allemagne en 2007 et la Belgique en 2009.

La démarche vers la restitution a commencé lorsque le président français avait annoncé, le 28 novembre 2017, la mise en œuvre dans un délai de cinq ans de restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain, reconnaissant l’anomalie que constitue sa quasi-absence en Afrique subsaharienne. Depuis lors, ces propos ont généré de grandes attentes chez certains Etats. En France, Emmanuel Macron avait confié à deux universitaires français et sénégalais, Bénédicte Savoy et Felwine Sarr, le soin de procéder à de vastes consultations, même si la loi française ne permet pas à ces milliers d’objets d’art de quitter le pays.

La remise symbolique privilégiée

Pour contourner cette difficulté, le rapport Savoy-Sarr suggère une modification du code du patrimoine en y introduisant un article qui stipulerait que des restitutions d’objets africains transférés pendant la période coloniale française pourraient être prévues dans le cadre d’un « accord bilatéral de coopération culturelle » entre « l’État français et un État africain ». Et d’après le texte, pour que le processus puisse s’enclencher, il faudrait qu’« une demande émane des pays africains concernés, grâce à l’inventaire » qui leur sera envoyé, avant « une remise solennelle », hautement symbolique, des listes des biens spoliés.

La procédure engagée par la France dans le cadre de la restitution prochaine d’œuvres d’art à l’Afrique est saluée par plusieurs pays africains, dont le Bénin qui avait contribué à lancer le dossier avec sa demande concernant les statues royales du Palais d’Abomey. Cotonou s’est notamment félicitée que « la France soit allée au bout du processus, entérinant une vision nouvelle entre elle et ses anciennes colonies ». « Nous ne sommes pas dans une démarche de réclamation brutale » mais « dans un processus d’accompagnement », a indiqué Ousmane Aledji, chargé de mission du président Patrice Talon pour les projets culturels et touristiques.

Pour l'heure, il faut faire remarquer que certains experts qui préconisaient une politique de prêts longs et renouvelables des œuvres, éventuellement sous le contrôle de l’Unesco, estiment que le changement du code du patrimoine pourrait ouvrir une boîte de Pandore parce que des conservateurs en France pourront dénoncer les surenchères idéologiques sur la colonisation.

En Belgique, Guido Gryseels, le directeur général du musée de l’Afrique de Tervuren, l’ancien musée royal de l’Afrique centrale fondé au 19e siècle par Léopold II pour offrir aux Belges une vitrine des « bienfaits » de la présence belge au Congo, au Rwanda et au Burundi, a dit être d’accord à la restitution symbolique d’œuvres d’art. « Je suis favorable à un renforcement des capacités des musées africains, et à une discussion sur des prêts à long terme et des expositions itinérantes. En premier lieu, les musées européens doivent digitaliser leurs inventaires et les mettre à disposition de musées africains », a-t-il déclaré.

Les débats vont actuellement bon train dans les anciennes puissances coloniales. C’est le cas du Royaume-Uni mais aussi de l’Allemagne, dont l’empire colonial s’est étalé de 1884 à la fin de la Première Guerre mondiale. Berlin réfléchit depuis plusieurs années aux œuvres d’art issues de ses anciennes possessions comme le Cameroun et la Namibie. Au Royaume-Uni où le British Museum détient une importante collection de bronzes du royaume du Bénin pillée par l’armée britannique en 1897, et dont le Nigeria réclame le retour, le musée s’est également dit ouvert à l’idée de les renvoyer dans leur pays d’origine, mais seulement sous forme de prêt. Quant au leader de l’opposition travailliste, Jeremy Corbyn, il a promis de rendre les œuvres d’art volées à leurs pays d’origine s’il devenait Premier ministre.

 

Nestor N'Gampoula

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