Martin Ziguélé : Et si le soleil se levait à l’Ouest ?

Dimanche 30 Mars 2014 - 3:00

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L’Europe et l’Afrique, c’est un peu l’histoire d’un vieux couple. Cette histoire a commencé dans la douleur il y a plusieurs siècles, par le commerce triangulaire. Elle s’est poursuivie par la colonisation puis s’est remodelée après les indépendances des pays africains. Aujourd’hui, les deux continents, liés par des accords de partenariat, se sont engagés dans la construction de relations politiques, diplomatiques et économiques sans cesse plus denses

Martin Ziguélé est un homme politique centrafricain, président du Mouvement de libération du peuple centrafricain, président de l’Alliance des forces démocratiques de la transition, candidat aux élections présidentielles en 2005 et 2011, ex-Premier ministre de la Centrafrique (avril 2001 et mars 2003), ancien directeur national de la Banque des États de l’Afrique centrale, consultant, expert en assurance.

Ayant modestement participé à la gestion des affaires publiques dans mon pays, je veux partager ma vision du rôle que doit jouer l’Europe en Afrique et des bénéfices réciproques qui doivent découler de leurs relations. Mes interrogations portent sur les points suivants : quel rôle l’UE peut-elle jouer en faveur de la paix en Afrique ? Quelle doit être sa politique face aux conflits en Afrique ? Quel peut être le contour d’une nouvelle politique de l’Europe pour la croissance en Afrique ? Quels nouveaux partenariats nouer pour atteindre les OMD ? L’UE peut-elle aider l’Afrique à devenir un nouveau géant économique mondial ? Comment le modèle européen peut-il être utile à l’Afrique ?

L’Afrique est un kaléidoscope de 54 États indépendants, institutionnellement jeunes, qui font face à deux situations paradoxales. D’un côté, l’Afrique est un continent relativement peu peuplé, avec un milliard d’habitants en 2012, population constituée à 60% de jeunes de moins de trente ans. Le taux de croissance démographique annuel y est de 2,3%. Selon les projections démographiques, la population africaine aura doublé avant 2050. Cependant, cette population vit dans une grande pauvreté. D’un autre côté, l’Afrique est le continent de l’avenir. C’est le continent le plus riche en matières premières tout en étant le poumon écologique de la planète, car les forêts africaines couvrent environ 22% du continent et constituent une pièce maîtresse dans la protection de la biodiversité et la maîtrise des gaz à effet de serre au niveau mondial. La croissance économique de ces dix dernières années y est en moyenne de 5%, et les marges de croissance sont réelles.

Beaucoup reste à faire, et la responsabilité du retard de l’Afrique est d’abord imputable aux Africains que nous sommes. Pendant trop longtemps et aujourd’hui encore, des politiques inefficaces et non inclusives ont été et continuent d’être menées. Plusieurs années de politiques d’ajustement structurel drastique, conduites sous la férule du FMI et de la BM, ont permis de désendetter l’Afrique et d’impulser une croissance nouvelle. Mais pour la très grande majorité des Africains, l’amélioration des agrégats économiques ne se traduit pas encore par une réduction de la pénibilité de leur vie quotidienne : l’accès à l’eau, à l’électricité, aux soins de santé constitue une gageure, et les équipements collectifs demeurent cruellement insuffisants.

La croissance ne permet pas encore de créer des emplois pour une jeunesse toujours plus nombreuse et mieux éduquée. L’agriculture africaine ne nourrit pas son homme et l’industrie reste symbolique dans la plupart des pays africains. Les guerres civiles, rébellions et autres mouvements violents continuent à se développer et il est évident que sans la paix, il n’y aura pas de développement. Concernant l’accès aux marchés mondiaux : le succès des économies africaines viendra d’une intégration graduelle à l’économie mondiale. Sur l’innovation en matière de politique sociale : les investissements dans l’éducation, la santé et le secteur public sont la condition du maintien d’une croissance rapide. Voilà le cap. L’Afrique n’y parviendra que si le cadre macroéconomique reste durablement préservé de cette plaie africaine qui annihile tous les efforts de développement : l’instabilité politique résultant des situations de conflits.

Quel rôle l’UE peut-elle jouer en faveur de la paix en Afrique ? Quelle doit être la politique européenne face aux conflits en Afrique ?

Le partenariat stratégique UE-Afrique doit s’intensifier dans les domaines de la sécurité et de la défense et s’inscrire dans la durée, dans la droite ligne de la stratégie commune signée entre l’UE et l’UA en 2007. Le plan d’action correspondant, la « Facilité de soutien à la paix pour l’Afrique », a été financé par l’UE : un milliard d’euros. Il prévoit la création d’un corps de réaction rapide, la Force africaine en attente, constituée de cinq brigades. Ce projet, pour des raisons inconnues, est manifestement resté à l’état de gestation, alors même que les crises se multiplient en Afrique. Les dirigeants africains doivent se poser les vraies questions : comment faire de nos armées nationales des forces professionnelles de défense ? comment l’Europe devra-t-elle aider l’Afrique à construire des armées performantes ?

La sécurité de l’Europe se joue aussi en Afrique sur le terrain de la lutte contre la drogue. Les cartels, sud-américains pour la cocaïne, asiatiques pour l’héroïne, utilisent le continent noir comme relais vers l’Europe. La Guinée-Bissau, le Liberia, la Sierra Leone sont devenus les plaques tournantes de ces trafics. Depuis la crise libyenne, l’Afrique est devenue un des sanctuaires du terrorisme islamiste radical.

Quel peut être le contour d’une nouvelle politique de l’UE pour la croissance en Afrique ? Quels nouveaux partenariats pour atteindre les OMD ?

En aidant les pays africains à construire un développement fondé sur le secteur privé, l’UE stimulera sa propre croissance : les deux milliards d’Africains annoncés en 2050, s’ils disposent d’un pouvoir d’achat adéquat, seront les consommateurs dont l’industrie européenne aura besoin demain. Pendant les trente années qui ont suivi les indépendances africaines, la construction des infrastructures était assurée par les partenaires (BM, BAD, UE, etc.). Les États ne peuvent pas faire face isolément aux investissements colossaux nécessaires. Dans le cadre de la réalisation de ces grands travaux d’investissement, un accent particulier sera mis sur le partenariat public-privé euro-africain.

L’appui à des politiques de développement centrées sur l’économie réelle

L’agriculture est le fondement du développement d’un pays. L’agriculture africaine a des besoins majeurs en matière de réformes foncières, de mécanisation des processus aratoires, de modernisation des circuits de commercialisation, etc. L’Europe a beaucoup fait pour soutenir l’agriculture africaine, mais des besoins importants restent insatisfaits.

La majeure partie des investissements passés et présents en Afrique subsaharienne est le fait d’entreprises attirées par l’exploitation des ressources naturelles. Cependant, la plus grande richesse de l’Afrique réside dans l’homme. J’espère que les crédits financiers européens, revus à la hausse pour les secteurs de l’éducation et de la formation, viseront également le secteur de la santé. L’engagement pris par les gouvernements africains de consacrer au moins 10% de leur budget à la santé n’est globalement pas tenu. Le développement du capital humain reste donc une priorité. Les richesses naturelles africaines ne seront utiles aux Africains que si nous acquérons les connaissances et les technologies nécessaires pour la transformation de ces immenses ressources. L’aide européenne devrait donc être recentrée sur l’investissement dans ce domaine.

Un capital humain formé en Afrique, moyen de réduction du flux migratoire vers l’Europe

L’Afrique doit parvenir à former la majeure partie de ses futurs cadres sur place. Aujourd’hui, les étudiants en fin de cycle et ceux qui souhaitent s’engager dans des domaines qui n’existent pas dans les universités africaines n’ont d’autre choix que de se tourner vers l’Europe. Beaucoup d’entre eux choisissent d’y demeurer au terme de leurs études. Cette situation pénalise l’Afrique. L’Europe y perd aussi, car elle se retrouve avec de nouveaux arrivants sur un marché de l’emploi étroit. Par ailleurs, un travail doit être entamé sur le contenu pédagogique des systèmes éducatifs africains : la formation professionnelle y est très peu développée ; la prise en compte précoce du souci de professionnalisation fait défaut. Les universités africaines ont certes essayé de copier la réforme des cycles universitaires licence-master-doctorat, mais les réalités étant différentes, elles auront plus à gagner en inventant leur propre système.

Dans la plupart des cas, la gestion de la chose publique est insatisfaisante, et la répartition de la richesse nationale inéquitable. L’Afrique attend de l’Europe qu’elle la soutienne pour instaurer de véritables États de droit. Le renforcement des capacités des ONG et des associations civiles, ainsi que la promotion d’organes de presse libres, doivent être les axes majeurs de cette coopération. La transparence dans la gestion de la chose publique est incontournable.

L’Europe et l’Afrique doivent renforcer leur coopération pour leur développement commun. Leur partenariat est d’abord le partage d’une vision de la vie, basée sur des règles saines et réciproques. Il s’agit, de part et d’autre de la Méditerranée, de créer des sociétés développées, pacifiques, libres et démocratiques, afin de garantir la paix et la sécurité sur ces deux continents et dans le monde.

Martin Ziguélé