Egypte : le canal de Suez commémore ses 150 ans

Lundi 11 Novembre 2019 - 15:00

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Inaugurée avec faste le 17 novembre 1869 en présence de l’impératrice des Français, Eugénie, la voie maritime fête son cent cinquantième anniversaire dans la discrétion, une célébration a minima qui tranche avec sa longue et chaotique histoire, au cœur des turbulences du Moyen-Orient.

Conçu à l’initiative de Ferdinand de Lesseps, entrepreneur et diplomate français, le projet colossal visant à relier mer Rouge et Méditerranée a nécessité dix ans de travaux (1859-1869), auxquels ont participé un million d’Egyptiens, selon les autorités d’aujourd’hui. Des dizaines de milliers d’entre eux sont morts au cours de ce chantier titanesque, estiment les experts.

Long de 164 km, le canal de Suez n’est « pas l’apanage d’une nation : il doit sa naissance et il appartient à une aspiration de l’humanité », lançait en 1864 Ferdinand de Lesseps, quelque quatre mille ans après les premiers projets de canal des pharaons.

Trait d’union maritime entre l’Europe et l’Asie, cette voie a permis de ne plus avoir à contourner un autre continent - l’Afrique -, via le redoutable Cap de Bonne-Espérance. Mais elle a aussi connu plusieurs guerres et des années d’inactivité.

Cette histoire a été marquée tout particulièrement par l’année charnière 1956 : le 26 juillet, Gamal Abdel Nasser, tout juste élu président, nationalise alors le canal de Suez.

Son annonce est le prélude à une crise internationale qui voit trois mois plus tard Israël puis la France et la Grande-Bretagne (deux pays qui possèdent près de la moitié de la société qui gère le canal) attaquer l’Egypte.

Ligne de front pendant les guerres israélo-arabes de 1967 et 1973, le canal de Suez a été endommagé et fermé plusieurs fois, puis déminé et remis en état.

Aujourd’hui, la voie maritime, sans cesse transformée et élargie pour accueillir des navires toujours plus gros, est un atout économique majeur -plusieurs milliards de dollars de recettes chaque année-, par laquelle transite environ 10% du commerce maritime international.

Située en bordure du Sinaï, elle est ultrasécurisée, sous le contrôle de l’armée égyptienne, qui combat depuis 2013 une insurrection djihadiste dans le nord de cette péninsule.

Si le président actuel, Abdel Fattah al-Sissi, a inauguré en grande pompe le « nouveau canal de Suez » en 2015 - un doublement d’une partie de la voie d’eau -, aucune grande célébration n’est prévue pour les 150 ans.

Les fêtes somptueuses, banquets et autres fantasias (parades équestres) donnés lors de l’inauguration, en 1869, appartiennent aux livres d’histoire : les événements marquant l’anniversaire sont limités.

« Le Canal de Suez : une aventure franco-égyptienne »

Un timbre à l’effigie de Ferdinand de Lesseps a été édité en Egypte et en France. Un colloque sur le canal comme « lieu de mémoire » est prévu le 13 novembre, à la bibliothèque d’Alexandrie (nord).

Un musée du canal doit, par ailleurs, voir le jour à Ismaïlia dans les locaux historiques de la Compagnie du canal de Suez, mais les travaux sont encore en cours.

« Chacun écrit l’histoire à sa manière », explique l’ambassadeur de France en Egypte, Stéphane Romatet, pour qui le canal est une « aventure franco-égyptienne ».

Mais « l’histoire du canal pour les Egyptiens commence plutôt en 1956 » et pour les Français « plutôt en 1869 », indique-t-il.

Arnaud Ramière de Fortanier, de l’Association du souvenir de Ferdinand de Lesseps et du canal de Suez, estime que le sujet reste « un peu délicat ».

« L’affaire de 1956 s’est mal passée » pour les Français, rappelle ce représentant de l’association dépositaire de la mémoire de l’ancienne compagnie du canal nationalisée.

Plutôt que parler d’anniversaire, les autorités égyptiennes préfèrent aujourd’hui souligner les performances du canal. Dans une économie qui peine à se remettre de la crise engendrée par les années d’instabilité politique après la révolte de 2011, ses revenus sont la bienvenue.

En août, l’Autorité du canal de Suez (SCA) a annoncé avoir atteint 5,9 milliards de dollars pour l’année budgétaire 2018-2019, soit une hausse de 5,4% sur un an. L’objectif est de parvenir à 13,2 milliards de dollars en 2023.

Répondant à une politique de grands travaux, le nouveau tronçon creusé en 2014 et 2015 a facilité le croisement des convois et diminué le temps de transit des navires.

Les autorités donnent régulièrement de nouveaux records de tonnage. En août, 6,1 millions de tonnes ont transité par le canal en une journée.

« Le tonnage a bondi », confirme Jean-Marie Miossec, professeur à l’Université Paul-Valéry Montpellier-III et spécialiste du transport maritime. Selon lui, l’augmentation du tonnage est aussi liée à « l’accroissement des trafics de conteneurs entre l’Asie et l’Europe, l’Europe et le sous-continent indien ».

« En agrandissant le canal, les autorités égyptiennes offrent une potentialité accrue, en particulier pour la taille des navires et la vélocité du transit », explique-t-il.

Mais la SCA a augmenté ses tarifs après l’agrandissement, ce qui a rendu le canal « moins compétitif sur les lignes Extrême Orient-Côte est de l’Amérique du Nord », précise Jean-Marie Miossec.

 

 

Nestor N'Gampoula et AFP

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