Interview. François Makanga : « Le Musée royal d’Afrique centrale est un lieu incontournable »

Lundi 9 Décembre 2019 - 12:00

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Guide à l’AfricaMuseum depuis un an, le jeune comédien afro-descendant parle de ce lieu pour lequel il avait autrefois un regard distancié. Dans cet entretien accordé au Courrier de Kinshasa, il explique la difficulté que l’on a à comprendre l’enjeu du lieu quand on en n’a pas forcément la connaissance requise. Pour sa part, la foule d’informations scientifiques, historiques et anthropologiques qu’il renferme l’a mené à mieux comprendre la terre dont il est originaire, le Congo.

Le guide François Makanga devant la vitrine de la corde à proverbes lega, tribu du Maniema dont il est originaire (Photo Adiac)Le Courrier de Kinshasa (L.C.K.) : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs  ?

François Makanga (F.M.) : On m’appelle François Makanga. Belge d’origine congolaise, je suis né à Bruxelles en 1483, plutôt en 1983 (petit rire). J’ai encore en tête 1483, l’année de la découverte du royaume Kongo. Je le sais depuis décembre 2018, quand je suis devenu guide à l’AfricaMuseum. Et, en dehors de cela, je suis acteur comédien et je fais des études de journalisme.

L.C.K. : Nous avons suivi la visite guidée centrée sur l’histoire du Congo que vous avez animée pour des écoliers. Peut-on en connaître le fil conducteur ?

F.M. : Le fil conducteur de cette visite c’est que pour plusieurs générations de Belges, cet ancien Musée royal d’Afrique centrale a créé en Belgique et en Europe une certaine idée de ce qu’était un Africain ou une Africaine, légitimée par les sciences et les arts. En 2019, cela permet de confronter l’histoire prétendument vue, officielle de ce Congo, de ses paysages et de sa nature avec la mémoire des peuples qui durant cinq cents ans ont vu l’arrivée de l’Occident, le Portugal puis la Belgique et les conséquences de la colonisation ainsi que du progrès apporté. C’est un peu confronter quelle était l’histoire officielle et quelles étaient les mémoires connexes dans l’histoire commune entre le Congo et la Belgique. Tant celles des coloniaux que des Congolais qui avaient vécu ces cinq cents années de faits politiques marquants qui parfois ici ne sont pas enseignés dans les écoles au niveau de l’histoire officielle et ne sont pas toujours connus de la plupart des citoyens.

L.C.K. : En tant que guide, comment arrivez-vous à faire la part entre votre ressenti personnel et les informations que vous devez transmettre sur le musée  ?

F.M. : En travaillant ici, nous avons la chance d’avoir accès à des quantités d’informations sur une quantité de domaines. Le rôle du guide c’est de trouver une grille de lecture, d’analyse qui dépend certes de son cursus. J’ai des collègues historiens de l’art, journalistes, moi je suis comédien, acteur, forcément ce sont des Belges qui ont aussi un rapport privilégié avec le Congo, certains y sont nés ou leurs parents y ont vécu ; le mélange de ces aspects permet de créer une grille de lecture. C’est cela que l’on tente de faire ressentir à différents publics de différents âges et différentes personnalités qui ont différents liens par rapport au Congo.

L.C.K. : Quel est votre rapport personnel au musée  ?

F.M. : Mon rapport au musée commence d’abord avec le parc de Tervuren qui est l’un des plus beaux de Belgique, du Brabant Flamand. C’est un lieu où je venais tout petit avec mes parents en été. Pour moi, Tervuren c’était le symbole du parc, l’été, les promenades, la tyrolienne. Mais comme tout le monde, la plupart des Belges, j’ignorais véritablement l’histoire de ce lieu. Et surtout quelle était son implication sur le cheminement et le destin de ma propre famille. Mon père est venu ici en Belgique pour chercher une meilleure éducation pour ses enfants en 1977. Au fur et à mesure de mes recherches identitaires personnelles, comme le connaîtront la plupart des Belges qui ont une double identité, j’ai appris que ce lieu était incontournable. Surtout parce qu’il renfermait des informations scientifiques, historiques et anthropologiques qui me permettaient de mieux me comprendre, comprendre la terre d’où je venais. C’est pour cela que l’opportunité s’est présentée, j’ai répondu à l’appel du musée qui était à la recherche de guides avec des connaissances transversales et j’ai été sélectionné.     François Makanga assurant une visite guidée scolaire (Photo Adiac)

L.C.K. : Depuis que vous êtes guide, vous y travaillez après sa rénovation. Votre perception du Musée de Tervuren a-t-elle changé comparée à celle d’avant  ?

F.M. : Je l’avais déjà visité avant, mais sincèrement, je me rappelais les animaux sans plus. Tout était très distancié et surtout je ne l’avais pas fait en visite guidée. J’avais un rapport très distancié avec ce musée, que j’imagine, ont la plupart du public quand ils le visitent. C’est difficile d’en comprendre l’enjeu quand on n’a pas forcément la connaissance et peut-être l’envie d’en apprendre plus sur lui.

L.C.K. : Un guide serait donc à votre avis comme une lumière qui permet de ne pas passer à côté de certains détails qui échappent à première vue  ?

F.M. : Oui ! Le fait d’avoir un œil, une lecture sur un lieu, quel que soit le musée, quels que soient les arts, cela reste quand même une certaine plus-value. Cela permet de repartir avec quelque chose, des clés de compréhension et pour la plupart cela crée une envie de creuser tel ou tel autre aspect. Le guide reste quand même indispensable même si d’aucuns disent que certains musées sont lisibles du premier coup d’œil sans lui. Mais ce lieu est tellement complexe, a une fonction tellement particulière qu’il faut quand même des personnes pour contextualiser, expliquer les différents niveaux d’histoire qui y sont racontés car plusieurs sont superposés dans les murs de ce lieu.

L.C.K. : Pour vous, s’il y avait lieu de parler de la magie de ce lieu dans son ensemble, qu’en diriez-vous  ?

F.M. : Je ne sais pas si cette magie s’applique à tous ! C’est peut-être juste pour une partie du monde, un continent, un pays. De la magie, il y en a eu effectivement dans le chef de ceux qui ont grandi avec cette imagerie de l’Afrique distancée de ses grands espaces, ses animaux,et ses grands espaces que l’on ne trouvait pas ici en Belgique et en Europe. Dans les yeux de ce public-là, il y a cette magie. Mais peut-être dans les yeux et dans le cœur d’une partie de la diaspora congolaise ou des Congolais qui sont intéressés par l’éveil, le réveil du pays et son histoire, de rêve il n’en est pas un ! Il s’agit plutôt d’un mauvais rêve, une création imaginaire qui a bloqué et figé les Congolais mêmes dans une certaine représentation d’eux-mêmes dans l’éternel réflexe que l’on a de se comparer à l’Occident. Et quelque part, ce musée est un lieu étalon qui a contribué à cela, ne fût-ce que par les sculptures qui y ont été entreposées. Donc, oui, quand on parle de magie, c’est toujours d’un côté du miroir et pas de l’autre. Quand bien même l’on parlerait de cet autre côté qui est en Afrique, ce lieu est forcément magique pour les tenants du pouvoir ; ceux qui ont grandi avec le mimétisme et le fait de vouloir ressembler à l’élite du Congo belge, celle de l’administration. C’est peut-être un lieu magique pour eux mais pas pour une partie non négligeable de la population congolaise.

 

Propos recueillis par Nioni Masela

Légendes et crédits photo : 

1- Le guide François Makanga devant la vitrine de la corde à proverbes lega, tribu du Maniema dont il est originaire / Adiac 2 - François Makanga assurant une visite guidée scolaire /Adiac

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