Interview. Alexandre Livingstone Smith : « Ce sera une équipe d’archéologues de très haut niveau»

Samedi 25 Janvier 2020 - 17:00

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Professeur à l’Université libre de Bruxelles, l’archéologue de l’AfricaMuseum collabore avec ses homologues d’un peu partout en Afrique subsaharienne dont le professeur Igor Matonda de Kinshasa. Lors de cet entretien avec Le Courrier de Kinshasa il parle notamment du travail sur terrain avec cet historien de formation qui participe à toutes les missions internationales et est en passe de devenir un archéologue chevronné à la tête d’une future équipe prometteuse.

Alexandre L. Smith manipulant des poteries en étude à l’AfricaMuseum (Adiac)Le Courrier de Kinshasa (L.C.K.) : Pourriez-vous vous présenter à nos lecteurs  ?

Alexandre Livingstone Smith (A.L.S.) : Je m’appelle Alexandre Livingstone Smith, je suis archéologue ici au Musée royal de l’Afrique centrale. Je donne également cours à l’Université libre de Bruxelles (ULB). Je travaille en collaboration avec des universités en Afrique du Sud et, selon les projets, je collabore aussi avec des collègues un peu partout en Afrique subsaharienne.

L.C.K. : Entretenez-vous aussi des collaborations avec des universités en RDC  ?

A.L.S. : Oui, par exemple avec celui de Kinshasa. Mais en parlant de collaboration, il faut reconnaître que la RDC toute seule est un territoire gigantesque, c’est presque aussi grand que l’Europe ! Et, dans toute la RDC, il y a très peu d’archéologues mais les internationaux ne sont pas très nombreux non plus. Si l’on prend tout le monde ensemble, peut-être que l’on arrive à une dizaine d’archéologues. Une dizaine de personnes pour travailler sur un territoire grand comme l’Europe ce n’est pas donné. L’on se réjouit qu’Igor Matonda, professeur à l’Université de Kinshasa, ait fini sa thèse il y a deux–trois ans. Il est historien de formation mais il a suivi une thèse combinée en archéologie et en linguistique ici en Belgique. Il est retourné au pays et a participé à toutes les missions internationales organisées depuis. Par ailleurs, il faut savoir que notre principal intérêt, cela vaut autant pour les Belges, les Allemands que les Français, c’est à la fois de faire connaître le pays et aussi d’aider nos partenaires locaux à faire du terrain pratique, s’entraîner et faire de l’apprentissage.

L.C.K. : Cet intérêt naissant des Congolais pour l’archéologie est encourageant pour faire avancer la recherche de l’intérieur car la filière n’attire pas...

A.L.S. : Je me demande si ce n’est pas à attribuer aux conditions socio-économiques car nous avions un ami et collègue qui disait avoir passé le clair de sa vie à se débrouiller au lieu de s’occuper de développer l’archéologie. Je crois que les conditions étaient tout simplement difficiles à soutenir. Peut-être que dans le contexte actuel les choses iront mieux. Mais dans tous les États, que ce soit au Congo, en Belgique ou ailleurs, la culture, la recherche, l’éducation, ne sont pas nécessairement les priorités de financement. L’on constate souvent que les gens ne sont pas très bien pas payés, ils n’ont pas de financements conséquents si bien que ce n’est pas facile de mener des recherches. Et dans un pays comme le Congo, tellement grand et tellement complexe, ce n’est pas toujours facile pour les quelques personnes qui s’intéressent à l’histoire de se lancer dans les fouilles archéologies. C’était d’ailleurs là l’origine d’un micro-financement que nous avions fait avec le professeur Igor Matonda à partir de Kinshasa. Nous entendions souvent dire que les chercheurs de l’Afrique subsaharienne sont toujours obligés, par manque de financements locaux, de se mettre en cheville avec les financements internationaux. Et donc, quelque part, de se soumettre à des impératifs de recherche extérieure. De ce fait ce sont les européens, les américains, etc., qui décident de ce qui doit être fait. Les archéologues congolais, par exemple, ne peuvent que suivre. C’est ainsi qu’avec le bénéfice de nos recherches qui n’avait pas été réattribué, dont nous pouvions disposer, nous avons réalisé un projet de recherche sur l’histoire et l’archéologie de Kinshasa dans les alentours qui ne coûte pas cher à monter.   Des poteries des collections en étude à l’AfricaMuseum (Adiac)

L.C.K. : De manière générale, l’essentiel des résultats des missions internationales, servent-elles à compléter les collections  ? Que revient-il au Congo hormis les publications faites à propos ?

A.L.S. : Tout le matériel reste la propriété de l’État congolais. Il arrive ici pour étude, consolidation et restauration éventuellement. Et, les publications se font avec nos collègues congolais, une fois l’étude terminée tout retourne en RDC. Tout ce qui est fouillé aujourd’hui en RDC est la propriété inaliénable de la RDC. La colonisation, c’est fini ! La collaboration est franche honnête. Rien à redire au niveau intellectuel. Le seul défaut qui demeure c’est que ce n’est pas encore une collaboration d’égal à égal au niveau des moyens et de l’infrastructure que chacun devrait y mettre.

L.C.K. : Quelle est la découverte la plus notable de ces dernières années en RDC  ?

A.L.S. : Je parlerais d’une des choses les plus incroyables découverte ces dernières années au Congo, car il n’y en a pas une seule mais plusieurs et à plusieurs endroits. C’est par exemple le fait que, depuis l’embouchure du fleuve, jusque passée la région de Kisangani, tout le long du fleuve et des rivières, l’on trouvait à une certaine époque, entre 2 000 et 2 500 ans, une certaine homogénéité dans les traditions culturelles. Ces traditions apparaissent notamment à travers les poteries trouvées sur toute cette zone. Elles avaient toutes à peu près les mêmes formes et les mêmes décors, avec des variantes mais surtout un semblant de parenté évident à telle enseigne que depuis longtemps, les linguistes essayent de prouver que les premiers villageois de la forêt, les premiers occupants, sont des bantu. Si l’on considère cela dans une perspective nationale, avec toutes les divisions qu’a connues le Congo dans son histoire, se rattacher à cette période-là serait fort pratique. L’on peut facilement montrer que l’on a une tradition parente dans cette zone-là, évidemment l’on va dépasser les frontières du Congo. L’on peut aisément prouver qu’il y a un ensemble culturel commun dans toute cette énorme zone et que les divisions régionales sont venues par la suite. Il y a comme un héritage commun, c’est important de le mettre en valeur.

L.C.K. : Qu’est-ce qui peut être le mobile d’un projet de recherche archéologique en Afrique ou au Congo  ?

A.L.S. : La plupart du temps, c’est la première occasion qui fait l’affaire. Lorsque l’on travaille dans un projet d’archéologie en Afrique, beaucoup de gens demandent s’il y a des choses à trouver comme si l’Afrique n’avait pas d’histoire. La réalité c’est que partout où l’on va, l’on fait des découvertes. C’est vrai qu’il y a toujours un projet qui donne la raison, la motivation ou l’explication du financement mais ce qui est sûr lorsqu’on y va, l’on trouve. C’est très, très réjouissant parce que l’on est souvent surpris malgré tout parce que l’on peut trouver des choses inattendues et cela modifie notre vision de l’histoire.  

Propos recueillis par

Nioni Masela

Légendes et crédits photo : 

Photo 1 : Alexandre L. Smith manipulant des poteries en étude à l’AfricaMuseum (Adiac) Photo 2 : Des poteries des collections en étude à l’AfricaMuseum (Adiac)

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