Patrick « Pitchou » Mouaya ouvre la boîte à souvenirs

Mardi 5 Mai 2020 - 10:00

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Près de quatre ans après sa retraite sportive, Patrick Mouaya, 36 ans, revient sur son parcours de joueur, de Pointe-Noire à Halle. Surnommé "Jaap Stam" au Congo et "Asamoah" en Allemagne, l’ancien défenseur international n’a rien perdu de sa jovialité et de son sens de l’humour.

Les Dépêches de Brazzaville : Pitchou, pour ouvrir ta boîte à souvenirs, commençons par la fin de ta carrière professionnelle et cet hommage organisé il y a quatre ans presque jour pour jour…

Pitchou Mouaya : Dès que j’y pense, je ressens une immense émotion, j’en ai la chair de poule. J’étais heureux et fier de voir à quel point j’avais marqué les esprits mais aussi triste que mon histoire de joueur s’achève. J’ai passé sept ans à Hallescher, j’y ai vécu la montée en 2012, la lutte pour le maintien dans le monde professionnel. C’était très fort pour l’homme et le Congolais que je suis (voir encadré).

LDB : Toi le Congolais, tu es ainsi devenu un des joueurs emblématiques de l’histoire de ce club d’Allemagne de l’Est, où la situation des étrangers n’est pas toujours facile…

P.M : On peut même dire que c’est compliqué pour les hommes de couleurs. Quand j’ai quitté Oberneuland, mon premier club en Allemagne, pour rejoindre Hallescher en 2009, on m’avait dit « Patrick, là où tu vas, c’est compliqué pour les Noirs ». Mais rapidement, par mon engagement pour le club et par mon comportement sur le terrain, j’ai vite été adopté par les supporteurs locaux.

Bon, quand tu les vois au début, ça impressionne un peu : ils ont la tête rasée, tout de noir vêtu, des tatouages partout. Le genre à te faire peur quand tu les croises la nuit. Mais quand je taclais un adversaire, toute la tribune chantait en mon honneur. A chaque fois qu’ils organisent leurs Ultra Saalefront Fest (ndlr : la fête des ultras du club), ils m’invitent.

LDB : Et tu y vas ?

P.M : Bien sûr, j’y vais.

LDB : C’est un peu étrange de côtoyer ces gens-là, non ?

P.M : L’important, c’est de les avoir fait évoluer dans leur opinion. Je sais que j’ai ouvert des portes, que les mentalités ont un peu changé. J’ai été le premier joueur noir et d’autres ont suivi, dont Francky Sembolo qui était venu nous aider à nous maintenir en 2013-2014 (ndlr : 8 buts en 14 matches).

LDB : A Halle, le public te surnomme « Asamoah ».

P.M : Oui, en référence à Gérald Asamoah, le premier noir de la Nationalmannschaft (ndlr : l’équipe d’Allemagne, de 2001 à 2006). Moi, je suis le premier à avoir joué ici (rires)

LDB : Tu as d’autres surnoms : Pitchou, mais aussi Stam.

P.M : Oui, au Congo, mon surnom de footballeur, c’est Jaap Stam, comme le défenseur international hollandais.

LDB : Revenons donc à l’époque de « Jaap Stam » et de tes premiers pas de de footballeur. T’en souviens-tu ?

P.M : Oui, je m’en souviens. C’était avec l’Union Sport Mbingui. Nous étions l’équipe la plus jeune du championnat, une super génération. C’était après la guerre de 1998, l’équipe était réfugiée à Pointe-Noire. Son hôtel était derrière la maison de mon père. L’international Yoko Welles m’avait pris sous son aile, j’aillais courir avec lui à l’entraînement.

Un jour, le coach Christian Mouendengo m’a intégré à l’équipe pour l’entraînement. Ensuite, le club a voulu rentrer à Brazzaville. Alors que certains joueurs négociaient des conditions pour suivre, moi, j’ai dit oui directement.

LDB : Donc le jeune Ponténégrin met le cap sur la capitale ?

P.M : Oui, c’était une occasion en or de jouer en première division. J’habitais chez un membre du staff. L’équipe s’entraînait sur le terrain devant le stade Massamba-Débat. D’ailleurs, pour ma première saison de première division, les matches se jouaient à D’Ornano.

LDB : Et ton premier match, alors ?

P.M : C’était donc en 2000 contre l’Interclub. Je me souviens, à l’époque, j’aimais dribbler et je prenais des risques. Mes « grands » Ya Willy et Ya Cyril (ndlr : Loubeto et Mounkou) m’avaient dit « toi, tu fais deux contacts au maximum, sinon on va te taper » (rires). Donc j’avais simplifié mon jeu : je prends, je donne, je prends, je donne… C’était une grande fierté de commencer si tôt en première division.

LDB : Ta carrière était donc lancée ?

P.M : L’année suivante, il y a eu beaucoup de départs donc j’ai pris de l’importance et je suis devenu capitaine. Par la suite, je suis retourné à Pointe-Noire, à la Jeunesse sportive les Bougainvillées, où j’ai connu Francky Sembolo. Puis, je suis venu à Saint-Michel de Ouenzé, du président Ndenguet, avec cette finale 2005 interrompue contre Diables Noirs. Avec cette disqualification, je pars en Europe sans avoir disputé le moindre match interclub en Afrique.

LDB : Comment s’est passé ce transfert en Allemagne ?

P.M : Un ancien international congolais, Joe Tsika assistait à cette fameuse finale de 2005 et me dit que son club allemand, Oberneuland cherchait un attaquant et un défenseur. Il pensait que j’avais toutes les qualités. J’ai aussi parlé de mon ami Francky Sembolo, qui évoluait alors au Coton Sport de Garoua. Au début, Francky n’y croyait pas trop : il disait que les vrais manageurs allemands ne venaient pas au Congo (rires). Mais le club lui a envoyé un billet d’avion pour Kinshasa. Dès le lendemain, nous avions rendez-vous à l’ambassade d’Allemagne pour le visa, puis nous enchaînions par un test concluant. Tout était carré, on était impressionnés, on découvrait la rigueur allemande.

LDB : Le début d’une belle histoire pour vous deux, puisque, depuis, vous n’avez plus quitté l’Allemagne.

P.M : Oui, d’abord en quatrième division, puis jusqu’en Liga 3 pour moi et jusqu’en Bundesliga 2 pour Francky. Notre seul regret, finalement, est d’être arrivé un peu trop tard, à 24 ans. Quand j’ai passé un test à Mönchengladbach, qui évoluait en première division, ils ne m’ont proposé qu’un contrat amateur pour que je fasse mes preuves avec l’équipe réserve. Mais je n’avais plus le temps, donc après Oberneuland, je suis allé à Hallescher où j’ai pu atteindre le monde professionnel avec la montée en Liga 3 en juin 2012.

LDB : En Allemagne, même dans les divisions inférieures, l’approche du football est très professionnelle.

P.M : Déjà en quatrième division, les matches sont retransmis par la chaîne du club. Quand tu passes en Liga 3, tes matches sont diffusés à la télévision chaque week-end et même à l’extérieur, tu joues devant des centaines, voire des milliers de supporteurs. Les grosses entreprises locales soutiennent le club de la ville, ce qui se ressent sur les infrastructures, le suivi médical…

LDB : Malgré ta retraite en 2016, après deux grosses blessures (fracture tibia-péroné en 2013 puis ligaments croisés en 2015), tu es resté au club comme scout (recruteur) et comme entraîneur.

P.M : Oui. En fait, le club avait tout anticipé : j’ai passé mes diplômes pour commencer à entraîner les équipes de jeunes, d’abord les U9 et maintenant les U17. Comme j’étais blessé, c’est l’assurance qui avait pris en charge cette formation, mais le club m’a trouvé un emploi chez un de nos gros sponsors. C’est toujours pareil en Allemagne : cadré, anticipé, organisé.

LDB : Et tu te vois continuer à entraîner en Allemagne ?

P.M : Je veux continuer à apprendre ici et à rendre au club tout ce qu’il m’a donné. Actuellement, un grand centre d’entraînement est en construction. Il sera livré en 2022 et le club compte sur moi dans l’organigramme. Et après, quand j’aurais l’expérience, j’aimerais aussi aider mon pays. Car, même si j’aime l’Allemagne, le Congo reste mon pays.

LDB : Justement, revenons sur ton parcours en sélection, qui a commencé très tôt.

P.M : Tu le sais, Camille, moi la sélection, c’est une longue histoire d’amour. J’ai commencé en U19 avec les coaches Kakou et Endzanga (Ndlr : Eugène et Henry), puis en U21, U23. J’ai participé à des éliminatoires olympiques, à la Coupe de la Cemac, les Jeux d’Afrique Centrale puis l’équipe première, à une époque où l’organisation laissait à désirer. On avançait les frais de transport et après, c’était la galère pour être remboursé. Mais je n’ai jamais hésité à servir mon pays.

LDB : Et as-tu déjà marqué un but en sélections ?

P.M : Non (grand fou rire). Moi, je suis typiquement le défenseur qui ne marque pas… En même temps, mon job c’était d’empêcher les autres de le faire, hein !

LDB : Et ta première convocation chez les A, t’en souviens-tu ?

P.M : La première fois, je suis resté sur le banc de touche… mais quel match ? On était coaché par le coach Endzanga et par le DT Alain Ngouinda.

LDB : Quels souvenirs gardes-tu de la sélection ?

P.M : J’ai conscience d’avoir été international pendant une période compliquée avec les voyages mal organisés, les primes non-versées, les hôtels de mauvaise qualité. C’était difficile d’être vraiment concentré sur les matches. Mais malgré cela, j’étais toujours fier lorsqu’une convocation arrivait au club. Même mes dirigeants à Halle était heureux pour moi, mais parfois ils étaient déçus et même énervés de voir dans quelles conditions on nous faisait voyager. Encore aujourd’hui, le pays me doit des billets d’avion… (éclat de rires).

Tu allais au Ministère, on te disait : « l’argent n’est pas sorti du Trésor ». Et au Trésor, les gens disaient que l’argent avait été décaissé. Alors, tu vas à la Fédération pour demander comme on fait. Là, on te dit « L’argent est encore au ministère ». On te balade comme ça en sachant que tu dois aller prendre ton vol Air France pour rentrer dans ton club. Parfois, on te demandait ton nom et ton numéro de compte, mais jusqu’à présent, on attend encore... Par la suite, on a vu que les choses s’étaient améliorées quand l’équipe est allée à la CAN 2015. On était contents, parce qu’on aime notre pays.

Il y a quatre ans, le stade de Halle se drapait de vert-jaune-rouge

Victime d’une rupture du ligament croisé en mai 2015, Pitchou Mouaya prend sa retraite en mai 2016 sans avoir rejoué en équipe première. A l’époque, il nous avait raconté, ému, l’hommage qui lui avait été rendu le 7 mai : « C’était vraiment très émouvant, j’en ai  eu la chair de poule rien que d’en parler. N’étant pas dans le groupe, je me suis installé en tribune, sans savoir ce qui m’attendais. Quand j’arrive dans le stade, je vois une banderole aux couleurs du Congo, avec inscription en français : « Un de nous pour toujours ». J’étais ému, mais ce n’était que le début, puisqu’à l’entrée des joueurs sur le terrain, toute la tribune s’est parée de vert-jaune-rouge, avec un tifo de mon visage et le chant que les supporteurs m’ont attribué depuis mon arrivée. On m’a ensuite expliqué que c’était la première fois que ça arrivait à Hallescher, qu’aucun joueur du club n’avait jamais eu le droit à un tel hommage ».

Camille Delourme

Légendes et crédits photo : 

Pitchou Mouaya avec le trophée de la Coupe de Saxe-Anhalt 2012 (DR) L'international congolais a connu toutes les sélections, ici les U21 (DR) Pour sa retraite, les supporteurs de Hallescher avaient paré une tribune du Erdgas Sportpark des couleurs du Congo (DR)

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