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WE'LI'I ? ou des bienfaits de la tradition (Suite du billet paru le 29 mai 2020)

Lundi 8 Juin 2020 - 14:02

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Autre surprise heureuse venue du Congo pendant le confinement : j’ai reçu l’enregistrement d’une magnifique pièce de théâtre aux allures de conte, et intitulée WE'LI'I ?.

La scène se déroule au pied du mythique mont Amaya M’okini. Un mont dont la cime – dit la légende –, brûle le souffle de la parole pour mieux éveiller le silence des signes qui font signe à qui sait voir et entendre.

Il m’est impossible de rapporter l’étendue de ce spectacle en quelques lignes. Je me contenterai ici, de décrire deux tableaux.

 

La rencontre des deux mondes

C’est un jour ordinaire. Muni de son arc et de son coupe-coupe, l’homme quitte son village. Il part à la chasse. Le vacarme de la nature, les cris de la faune et le piaillement têtu des oiseaux, voilà qui témoigne d’une forêt giboyeuse. Confiant, l’homme se met à tendre ses pièges au cœur de la forêt nourricière. Et voilà que dans son cheminement, son regard tombe sur plus d’une dizaine de corps réunis, qu’on dirait sans vie, couchés par terre, recroquevillés, et enveloppés dans leurs curieux accoutrements.

Tout initié l’aurait compris : il s’agit là des âmes égarées par le pouvoir des génies bienfaisants du monde invisible. Elles errent depuis de longues saisons, faute d’avoir trouvé le chemin du retour vers les vivants. Mais le chasseur, lui, n’est pas un initié. L’homme, angoissé de ce qu’il voit, implore l’esprit des ancêtres, leur demande secours et protection, et se précipite vers le village pour convoquer les habitants, afin que ceux-ci viennent constater l’invraisemblable réalité. Tout naturellement, le chef du village est consulté. Ces hommes, en compagnie de leur chef, se rendent sur les lieux. Mais les âmes égarées ont disparu dans la pénombre de l’existence. Le chasseur n’en croit pas ses yeux. C’était bien ici, sur ce terrain. Ces corps couchés, il les a bien vus. Mais les lieux demeurent étonnamment vides. Le chef du village, bien évidemment, sait. Mais d’abord il tient à éprouver le chasseur en lui posant une série de questions : – Qu’as-tu vu ? Lui demande-t-il. Le chasseur répond : – Chef, il y a des choses qui relèvent du ciel, d’autres qui relèvent de la terre. Mais ce que j’ai vécu dépasse l’entendement. Je me suis même approché de ces créatures, j’ai soufflé de la poudre, leurs corps semblaient encore chauds.

Le chef rassure l’homme ; et à travers lui, les hommes de son village. Rien à craindre, affirme-t-il, puisque ses rêves n’ont rien prédit d’inquiétant pour son peuple. Ce que le chasseur a vu relève de l’ordinaire : les créatures du monde invisible, de temps à autre, cherchent à rejoindre le monde visible.

Afin de libérer le chasseur du poids de son émotion, le chef du village l’initie. Les rites terminés, surgit des profondeurs de la forêt le tumulte du chant des âmes égarées. Elles demandent le chemin du retour. Mais pour y être accueillis, le chef du village leur intime de décliner au préalable leurs généalogies familiales et claniques.

Alors, la rencontre des deux mondes a lieu. Le monde invisible (celui des esprits) et le monde visible (celui des humains) se retrouvent dans l’allégresse des chants qui ponctuent l’instant…

 

Ayara, Ankira ou encore Ankila, l’arrivée des jumeaux

Nos traditions mentionnent trois types de naissance : les naissances normales ou l’accouchement ordinaire, les naissances anormales, généralement quand l’enfant vient par le siège, et les mises au monde mystérieuses, dont fait partie la naissance gémellaire. Puisque l’arrivée des jumeaux relève d’un mystère, ils sont par conséquent source de joie, de vénération, mais aussi de craintes, car les jumeaux sont porteurs de bonheur ou de malheur.

Dans WE'LI'I ?, les cérémonies d’accueil des jumeaux se passent non sans ferveur de la grand-mère. Tout semble bien se dérouler (imposition, nomination des enfants, offrandes, célébrations jaculatoires, …). Le village entier est dans l’effervescence de l’hommage… Mais voilà que le malheur soudain s’abat : la mère des jumeaux s’écroule et meurt. Indignation, chagrin, larmes, interrogations et cris de douleur inondent la scène.

Que signifie ce décès brutal de la mère ? Quelle coutume a-t-on oublié de pratiquer ? Que dit ce courroux des aïeux ? Et quel rituel accomplir pour faire revenir à la vie la mère des jumeaux ?  On fait appel au Ngâ Ndzobi. Celui-ci et son équipe officient longuement autour de la dépouille. Mais les conjurations du Maître Ndzobi demeurent sans effet. Il avoue, formel, que ce décès ne relève pas de sa science. Il propose à la famille de se tourner vers la prophétesse de l’Onkira, encore appelé Onkila. La prophétesse arrive entourée de ses danseuses parées de couleurs rouges cramoisies, de ses musiciens, mais aussi du Ngwomi, cet instrument joué uniquement à des occasions bien précises. L’invocation de l’esprit d’Onkira se fait par des chants et des danses, des incantations, des massages du corps de la défunte, etc.

En un moment décisif, la prophétesse, en transe, entonne le chant particulier des Ngou-ayara. La foule répond. Le chant enveloppe l’atmosphère et électrise la scène. La prophétesse, comme plongée dans un état second, rassemble des forces miraculeuses qui éveillent et ressuscitent la mère des jumeaux. La voici maintenant qui danse aux côtés de la prophétesse, bientôt rejointes par tout le groupe ...

Bravo à Esther Ahissou Gayama, directrice de la troupe Alima N’tsiè. C’est elle qui a écrit et magistralement mis en scène ce spectacle.

Bravo et applaudissements nourris à tous les artistes pour leur interprétation, un franc soleil d’émerveillement !

WE'LI'I ? est un spectacle qu’il faut voir et revoir. Bref, mes félicitations à toute l’équipe.

 

 

Mwènè Okoundji

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Édition Quotidienne (DB)

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