Conférence scientifique : problématique de la sauvegarde des langues vernaculaires au Congo

Lundi 28 Septembre 2020 - 16:45

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Le sujet sur « La situation linguistique dans le département de la cuvette en République du Congo » a fait l’objet d’un débat éclairé, entre le Pr Yvon-Pierre Ndongo Ibara, Pr titulaire CAMES de linguistique au Cerello à la faculté des lettres, arts et sciences humaines (Flash) de l’Université Marien Ngouabi (UMNG), et le public attiré par le thème débattu, le 26 septembre dernier, au Mémorial Pierre Savorgnan de Brazza (PSB).

Dans son mot de circonstance, la directrice générale du Mémorial PSB, Bélinda Ayessa, à qui revient l’initiative d’organiser ces conférences scientifiques qui enrichissent plus d’un participant, a fait savoir que des travaux antérieurs sur la question indiquent que le réservoir de langues qu’on trouve dans cette région du Congo offre un florilège de sous-groupes dont le Pr Ndongo Ibara va s’atteler à monter les interférences. En effet, avec l’acribie linguistique qu’on lui connaît, a poursuivi Bélinda Ayessa, l’intervenant se propose de présenter la situation des langues parlées dans une ère géographique précise en soulignant les classifications et les survivances face au français ou au lingala.

« L’on comprend dès lors, aisément, que les politiques d’enseignement ou de diffusion des langues dépendent de ce que leurs locuteurs acceptent ou non de proposer à la pratique du plus grand nombre de personnes portées à la découverte d’autres visions du monde. De ce point de vue, la corrélation entre la langue, la culture et l’identité s’opère dans une perspective de pluridisciplinarité qui démontre les richesses de nos terroirs. Tels me semblent être les grands enjeux d’une articulation des langues en leurs classifications et en leur évolution », a déclaré Bélinda Ayessa.

Prenant la parole sous la modération du Pr Edouard Ngamountsika, Pr titulaire CAMES de linguistique, le conférencier du jour, le Pr Yvon-Pierre Ndongo Ibara, a fait savoir que soixante ans après les indépendances des pays africains, il est rare d’observer que les Etats africains ont construit des approches de politiques linguistiques durables pour promouvoir et faire valoir leurs cartes d’identités culturelles, les langues africaines. Ainsi, il n’est pas difficile d’observer que les langues locales perdent de jours en jours des locuteurs, d’estime sociale et leurs jours de survie sont comptés.

La République du Congo n’a pas encore une étude détaillée et mise à jour sur la situation linguistique en dépit des travaux de l’Atlas (1987) et Jacquot (1971). Toutefois, il est constaté des avancées dans les descriptions des langues du Congo (voir l’échantillon présenté dans la bibliographie des langues du Congo). C’est dans cette optique que nous avons estimé judicieux d’ouvrir le chantier des études pour une mise à jour de la cartographie linguistique du Congo en nous penchant ici sur la situation linguistique dans le département de la Cuvette. Il est donc question de répertorier le nombre de langues et dialectes parlés dans le département de la Cuvette ; identifier les travaux existants dans chacune des langues répertoriées ; présenter l’état de ces langues face au français et au lingala ; enfin montrer les perspectives de sauvegarde de ces langues via une stratégie de recherche ciblée par thématique.

Les familles invitées à l’apprentissage des langues vernaculaires aux enfants

Présentant géographiquement l’aire du département de la cuvette, le Pr Yvon-Pierre Ndongo Ibara a fait savoir que ce département couvre une superficie de 58507 km² pour neuf districts. Il s’agit des districts suivants : Owando, Makoua, Boundji, Mossaka, Loukoléla, Oyo, Ngoko, Ntokou, Tchikapika. Ce département, est traversé par plusieurs rivières (Likwala, Kouyou, Alima) et le fleuve Congo. Les populations qui habitent cette aire géographique sont désignées comme appartenant au groupe ethnique Mbosi. Ce groupe ethnique a pour sous-groupes : Akwa, Koyo, Likuba, Likwala, Mbochi, Mboko, Moye, Ngare, Bwenyi. Parmi ces sept langues, deux sont parlées dans le département de la cuvette-ouest notamment le Mboko et le Ngare en partie.

S’agissant des perspectives, le Pr Ndongo Ibara, pense qu’il faut encourager les études sur la littérature orale par : collecte des contes mbosi, collecte des proverbes mbosi, collecte des expressions et devinettes mbosi, transcription des corpus oraux des chants mbosi ; encourager les études sur l'anthropologie linguistique mbosi, le mariage coutumier, le conseil de famille, les lignages familiers, l'onomastique mbosi (anthroponymie, toponymie, hydronymie, oronymie, odonymie, etc.) ; encourager les études comparatives dans le groupe pour une meilleure politique linguistique pour ce département ; encourager les études sur la lexicologie mbosi… Le laboratoire Centre de recherches en linguistique et langues orales (Cerello), pourrait être mis à contribution dans ce combat de la sauvegarde des langues maternelles nationales. Par ailleurs, il serait également souhaitable que les actes liés à l’évangélisation, au catéchisme, et à l’alphabétisation soient réalisés en langues maternelles, a-t-il souhaité.

Pour le Pr Ndongo Ibara, les effets secondaires du modernisme couplés avec l’exode rural frappent à plein fouet ces langues à tel point que ces dernières sont en danger permanent de disparition. Ces langues tiennent sur un fil, le substrat linguistique qui est exprimé par le canal des différents codes éthiques qui régissent la société traditionnelle mbosi (code d’Ekongo, code d’Olee, code de Kyebé-Kyebé, code d’Ikyè, etc.). 

Pour le sénateur congolais, ce débat aussi enrichissant et important ne peut pas s’arrêter comme ça. « C’est un débat très important. Nous ne pouvons exprimer ce qu’il y a au fond de nous que par les langues. Certes, chaque famille peut apprendre à son enfant à parler la langue maternelle, mais il y a des familles aujourd’hui qui ne parlent plus des langues maternelles… C’est peut-être le moment d’étudier comment d’un côté encourager les langues maternelles pour qu’elles ne disparaissent pas, et en même temps encourager celles qui permettent de communiquer avec tout le monde, à savoir : le lingala, le kituba et le français. Parce qu’on peut aussi décoloniser le français. Le suisse, le belge, le canadien, qui parlent français, ne pensent pas français, ils pensent suisse, belge, canadien », a commenté le premier questeur du Sénat, Edouard Okoula.

Bruno Okokana

Légendes et crédits photo : 

Photo : les professeurs Yvon-Pierre Ndongo Ibara et Edouard Ngamountsika lors de la conférence (crédit photo/ ADIAC)

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