Rencontres citoyennes : des retrouvailles édifiantes maillées de pics

Jeudi 22 Mai 2014 - 15:15

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La formule de ces échanges appelés « rencontres citoyennes » a intégré tout doucement l’arène politique du Congo Brazzaville et pris corps. À Etoumbi, dans la Cuvette-Ouest, et à Owando, dans la Cuvette, où a séjourné récemment le président de la République, Denis Sassou N’Guesso, le caractère essentiel de ces réunions publiques ne s’est pas démenti, en même temps que leur côté imprévisible.

À quelque chose près, ces rencontres informelles sont des occasions uniques, au cours desquelles, dans le cas des partis politiques, les militants s’adressent de vive voix à leurs dirigeants parfois sans fioriture. Pour le président de la République qui en fait l’expérience depuis plusieurs années, ce contact direct avec les forces vives du pays lui permet à n’en point douter d’apporter quelques notes utiles aux rapports officiels qu’il reçoit de ses collaborateurs à tous les niveaux. Les gens parlent…

Cuvette-Ouest

Etoumbi. 19 mai 2014. Salle de réunion de la sous-préfecture. 16h14. Après la cérémonie d’accueil du président de la République à laquelle ils ont tous tenu à assister quatre heures plus tôt, les autorités locales, les cadres, les notables et les sages de la Cuvette-Ouest, présents à Etoumbi, prennent d’assaut la salle de réunion de la sous-préfecture pour y échanger avec le chef de l’État. Les places assises sont limitées, les retardataires se consolent du différé virtuel offert par les porte-voix installés dehors. Ils ont droit à la parole comme leurs amis restés dans la salle.

Le ton est donné par le préfet Gilbert Mouanda-Maounda, qui salue le désenclavement de son département et tance en passant « ces gendarmes du monde qui veulent en imposer aux plus faibles ». A-t-il peut-être, en y mettant un peu la forme, voulu entrer de plain pied dans le débat sur le changement de la constitution qui défraie la chronique ? On peut y croire. Il énonce ensuite rapidement la préséance de la rencontre et prend place. À son tour, le ministre Georges Moyen, intervenant en sa qualité de président du comité de suivi de la municipalisation accélérée de la Cuvette-Ouest, se dit satisfait du processus de modernisation en cours dans cette partie du pays d’où il est originaire. Il reconnaît que beaucoup reste encore à faire et en appelle, lors d’éventuelles discussions sur l’avenir du pays, à s’inspirer de la sagesse et du discernement.

À sa suite, un représentant des notables, un délégué des jeunes et celui des sages ont été les plus expressifs sur le débat constitutionnel : « Monsieur le président de la République, la Cuvette-Ouest est unie derrière vous. N’ayez aucune crainte d’aller de l’avant, de changer la constitution de 2002. » Le délégué des jeunes remet au chef de l’État un cahier dont la page de garde porte ces écrits : « Projet de nouvelle constitution de la République du Congo. Contribution du département de la Cuvette-Ouest ». Rien n’a filtré sur le contenu de ce cahier. Applaudissements…

Frontières, agriculture, réseau routier, parc d’Odzala

Entouré du ministre de l’Intérieur, Raymond Mboulou, du ministre chargé de l’Aménagement du territoire et des Grands travaux, Jean Jacques Bouya, ainsi que du préfet, devant plusieurs autres membres du gouvernement, le président de la République ouvre le débat en lingala après avoir remercié ses interlocuteurs des cadeaux qui lui ont été apportés : « Que celui qui a quelque chose à dire ne s’empêche pas de parler librement ; que personne ne pense avoir tort de dire ce qui lui tient à cœur ; que nul ne craigne d’être envoyé en prison pour ce qu’il aurait déclaré ici. » Ainsi lâchée, la parole a été prise par une vingtaine d’intervenants.

Pendant un peu plus de deux heures, ces derniers se sont exprimés autour de problèmes d’intérêt national et local : la porosité des frontières congolaises avec « la présence régulière de soldats et officiers gabonais » à l’intérieur du territoire congolais ; les suites de l’Opération de police « Mbata ya Bakolo » ; le Fonds de soutien à l’agriculture ; l’entretien routier ; la délocalisation du siège du Parc national d’Odzala. Des préoccupations sur lesquelles le président de la République a accordé la parole aux ministres concernés.

Sur les frontières et « Mbata ya Bakolo » : le ministre de l’Intérieur et de la Décentralisation rassure que les discussions sont en cours avec les États voisins, notamment le Gabon, la RDC et l’Angola pour régler les problèmes qui se posent. Il a noté « quelques failles » observées « effectivement » à la frontière avec le Gabon, indiquant par contre qu’avec l’Angola, les choses sont rentrées dans l’ordre depuis le dernier incident de Kimongo au mois d’octobre 2013. Il a aussi précisé que mise à part l’opération de police en cours, la reconduction à la frontière de sujets étrangers de diverses nationalités en situation irrégulière a commencé en 2012 à Ouesso, dans la Sangha, à Oyo, dans la Cuvette et à Pointe-Noire. Dans le cas des ressortissants de la RDC, en dehors des résidents irréguliers, il y a eu plusieurs retours volontaires depuis le déclenchement de Mbata ya Bakolo. « Que ceux qui hébergent ou emploient des sujets entrés irrégulièrement au Congo régularisent leur situation », a-t-il conclu.

Le Fonds de soutien à l’agriculture (FSA) : le ministre de l’Agriculture et de l'Élevage Rigobert Maboundou s’est expliqué sur l’usage fait des crédits alloués au FSA et la différence qui existe entre ce fonds et le Crédit agricole. Le premier est constitué de fonds que l’État a disposés pour soutenir l’activité agricole des particuliers sur présentation d’un projet jugé sérieux. Le second peut être un prêt consenti par une banque. Les deux sont des prêts remboursables et non des subventions. Pour ce qui est du FSA, le ministre a reconnu que « les différents prêts consentis au démarrage de celui-ci n’ont pas servi au secteur ». D’où, d’après ses explications, l’expérimentation d’une nouvelle phase de ce fonds qui passe par « une transition du paysannat à la modernisation de l’agriculture », par la dotation d’équipements (tracteurs, charrues, pulvérisateurs). L’accent est mis sur les cultures vivrières (maïs, bananes, pomme de terre, manioc), le tout appuyé par la formation des agriculteurs. Sur la production du café et du cacao, Rigobert Maboundou a évoqué la pépinière de 170.000 plants et aussi la formation des spécialistes.

L’entretien routier : le ministre de l’Équipement et des Travaux publics, Émile Ouosso, a rappelé le démarrage « depuis le 25 avril de l’ouverture de plusieurs chantiers routiers à travers le pays ». La Cuvette-Ouest, a-t-il dit, n’est pas en reste. Des routes en terre, qui seront couvertes de latérites concernent plusieurs axes allant de Mbomo, Oloba et de Kellé, Oyabi vers la frontière du Gabon. En tout, plus de 300 km. « Depuis cinq ans, ce sont au moins 800 km de route en terre réhabilités dans ce département et au moins 8.000 dans tout le pays. » Émile Ouosso a noté quelques retards dans le déblocage des fonds publics et la réserve des opérateurs privés adjudicataires lorsqu’ils ne sont pas payés à temps.

Denis Sassou N’Guesso

Après cette première phase d’échanges qui a duré trois heures, le chef de l’État est revenu sur une série de questions restées sans réponse : la délocalisation du siège du Parc d’Odzala : « Bon ordre a été remis », a-t-il tranché. La transhumance des hommes politiques ? Aucun nom n’a été cité dans la salle, mais à la réponse à cette « dénonciation » d’un intervenant presque en transe, Denis Sassou N’Guesso a eu recours à une anecdote : « Ceux qui retournent leurs vestes, j’ai déjà bu cela jusqu’à la lie. Le coq n’est surpris que quand il se retrouve avec une corde au cou ; celle du pied est dans son habitude. » Auteur de « Le manguier, le fleuve et la souris », il a visé la page 75 de cet ouvrage qu’il était, dit-il, en train de relire. À cette page se trouve la description de « la souris » qui vous ronge le pied.

Quel usage fait-on des routes en construction ?

Puis il a parlé des routes pour dire que d’ici la fin de l’année en cours, tous les chefs-lieux des départements seront reliés à Brazzaville par route bitumée à l’exception du département de la Likouala ; qu’à la fin de l’année 2015, la RN 1 reliant Pointe-Noire à Brazzaville sera terminée ; le prolongement de la RN2 vers Ouesso sera achevée. Et de tirer le chapeau à la génération à laquelle il appartient : « Notre génération a beaucoup donné, nous accomplissons notre part de mission historique avec beaucoup de conviction depuis 50 ans, sans la peur au ventre, affrontant les risques, il nous suffit de bénéficier du soutien du peuple ; ce qui est le cas et nous le ressentons dans tout le pays. »

Mais le président de la République constate que malgré les efforts consentis par le gouvernement, et contrairement à leur vocation, ces voies bitumées, nombreuses déjà dans le pays, ne servent pas encore à acheminer comme il se doit les produits issus des activités agropastorales dans le pays. Il s’interroge en passant : « Quel usage faisons-nous de ces routes, d’autant qu’on peut circuler sur de bonnes distances sans voir fleurir des produits sortis de nos terres arables ? »

Cuvette

A l’instar de sa voisine de l’ouest, la Cuvette a réservé un accueil solennel au chef de l’État. Dans la salle comble où est convoquée la rencontre citoyenne, les déclarations s’enchaînent. Le préfet Pierre Cébert Iboko Onanga parle du moment bienvenu pour « penser à l’avenir du département et du Congo ». Pour ne pas se prononcer sur la question cruciale, qui sans doute occupait sa pensée à ce moment, il demande au président de la République, au terme de cette « rencontre citoyenne », de dire quelque chose qui maintienne un espoir parmi les habitants de la Cuvette.

Lorsqu’il intervient à son tour, un jeune, parlant au nom de tous ses compagnons du département, livre un message à la fois incitatif et suggestif : « Monsieur le président de la République, allez plus loin, allez au-delà de 2016 », puis aussi : « S’il vous plaît monsieur le président de la République, ne nous décevez pas, n'abandonnez pas, ne ruinez pas nos espoirs en l’avenir, ne nous exposez plus à la division… »

Les femmes à haute voix !

Plus exigeante et aussi inattendue a été cette femme à la voix forte, qui en a sans doute heurté certains. Au nom des femmes de la Cuvette, cette oratrice a indiqué : « En dehors de vous, monsieur le président de la République, personne ne nous rassure, même pas ceux qui vous entourent maintenant. » Elle a répété cette lourde sentence à deux reprises, arrachant salves d’applaudissements et cris excités de l’assistance. « Prenez donc vos responsabilités et si la Constitution du 20 janvier devient un obstacle, il faut la changer sans hésiter », a poursuivi la représentante des femmes qui, pour terminer, a remis au président de la République un cahier puis un stylo, supports avec lesquels, entouré d’ experts en la matière, confiait-elle, Denis Sassou N’Guesso devra réfléchir à un nouveau projet de Constitution.

Sur le même engagement, se sont prononcés les sages de la Cuvette : « Les jeunes veulent le changement, les femmes veulent le changement de la Constitution, les sages de plusieurs départements l’ont déjà fait avant nous. Ecoutez-les donc ! »

Vers une consultation référendaire ?

Les sages de la Cuvette sont allés dans ce sens : « En démocratie, c’est le peuple qui décide. Il est question maintenant de lui poser une question simple. Est-il pour ou contre l’adoption d’une nouvelle constitution ? », proposait leur délégué. On peut penser la même chose lorsqu’on écoute le président de la République faire allusion à l’arbitrage du souverain primaire. Ce fut encore le cas le 19 mai à Owando. Mais avec ce bout de phrase à valeur d’avertissement : « Aucun autre peuple, ou aucun autre dirigeant ne dictera au peuple congolais ce que sera l’avenir de son pays et de ses institutions », puis égalementi : « Jamais, je ne permettrai que la paix et la tranquillité chèrement acquises soient troublées dans le pays. »

Gankama N'Siah

Légendes et crédits photo : 

photo 1: la tribune (photo Adiac); photo 2: les ministres et l'assistances (photo Adiac); photo 3: Denis Sassou N'Guesso et la constitution (photo Adiac); photo 4: la femme d'Owando (photo Adiac)