Art: Sindika Dokolo, collectionneur d’art engagé

Samedi 4 Avril 2015 - 10:55

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Avec quelques 3 200 pièces issues de 50 pays différents, Sindika Dokolo détient la plus grande collection africaine d’art et s’élève comme l’un des gardiens des trésors éparpillés du continent. C’est aussi à lui que l’on  doit le premier Pavillon africain de la Biennale de Venise en 2007. En mars dernier, Dokolo a prêté une partie au Portugal pour l’exposition «You Love Me, You Love Me not», un affichage unique dont le nom évoquant les relations particulières entre l’Angola et le Portugal. Un tel geste lui a valu de recevoir, le 18 février, la Médaille du mérite au nom de la Mairie de la capitale portugaise.

Qui est ce passionné d’art ? Sindika -«l’envoyé» en Kikongo- Dokolo est né en 1972 à Kinshasa, à l’époque de la mise en place de l’égalitarisme, pendant la révolution culturelle lancée par Mobutu prônant l’authenticité, visant le renforcement de la cohésion nationale en gommant les traces de la colonisation. Il confesse qu’un tel contexte n’est pas étranger à sa vocation. Sa situation familiale non plus. Son père, Augustin Dokolo, premier africain à créer une banque sur le continent, était lui-même collectionneur, et sa mère danoise et ancienne infirmière emmenait le petit garçon au musée. Dokolo grandit en Belgique, suit ses études à Paris et commence à réunir des œuvres dès l’âge de 15 ans. En 2003, il rachète une partie de la collection de l’Allemand Hans Bogaktz et, un an plus tard,  lance avec l’artiste angolais Fernando Alvim une collection à Luanda, à laquelle il associera ensuite le critique d’art Simon Njami. Entre temps, Sindika Dokolo a fait fortune dans le ciment, le pétrole et les télécoms, et s’est mariée à Isabel Dos Santos, femme d’affaires et fille aînée du Président angolais. Chaque année depuis dix ans, il estime agrandir sa collection de 100 à 200 pièces.

L’art pour rendre justice

Passionné, engagé et stratégique, Sindika Dokolo entend rassembler la plus grande collection africaine d’art contemporain en évoquant la légitimité historique, une manœuvre doublée d’un objectif plus vaste : restituer. Dans les colonnes du journal Le Monde, il explique le plan d’action pour rendre les pièces volées à l’Angola pendant la colonisation puis, quelques décennies plus tard, acquises, de bonne foi, par de nouveaux propriétaires : «soit mes avocats, soit une indemnisation au prix exact auquel ils les ont achetées». Il explique l’objectif derrière l’offensive «Il faut qu’en Angola, on prenne conscience de la valeur de nos racines».  Ce discours fait écho au message lancé en 2013 à l’occasion du New York Forum Africa. Dokolo invitait les Africains à reprendre le contrôle du débat autour de l’esthétique africaine, «qu’ils refassent le marché, que ceux qui le peuvent commencent à collectionner», mais aussi à adopter une certaine exigence de la part du marché de l’art.

En accordant un positionnement politique à sa collection, Dokolo entend réveiller les consciences, exposer l’art africain aux Africains et déploie un champ d’action allant dans ce sens. Sa Fondation, déjà à l’initiative de la Triennale de Luanda, de plusieurs résidences artistiques en Angola et de nombreuses dizaines d’expositions, a établi ses règles. Il s’agit entre autre d’instaurer un système de réciprocité via une charte stipulant de rendre disponible gratuitement les œuvres d’art dans les musées du monde entier, à la condition que les mêmes musées organisent en Afrique, sous n’importe quelle forme, le même système d’exposition. Ainsi, Sindika Dokolo redéfinit lui-même auprès du magazine Jeune Afrique les missions d’un collectionneur de son augure : «Je me considère davantage comme un acteur politique dans le domaine de la culture que comme un mécène ou un promoteur d’artistes.  Cela fait de ma collection un regard africain sur la création africaine, mais également sur le monde de l'art et sur l'esthétique de notre siècle en général».

 

 

Morgane de Capèle

 

 

Morgane de Capèle

Légendes et crédits photo : 

Sindika Dokolo; (Crédits photo: DR)