Interview:Thievy Bifouma : « Je prends mes responsabilités pour dire tout haut ce que tout le groupe pense tout bas »

Mercredi 21 Mars 2018 - 19:15

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Après avoir quitté le stage, dans la nuit de mardi à mercredi, pour protester contre les conditions d’organisation du regroupement, Thievy Bifouma se livre aux Dépêches de Brazzaville. Sans mâcher ses mots.

Les Dépêches de Brazzaville (L.D.B.) : Thievy, les Diables rouges se sont entraînés, ce matin, sans toi, car tu as décidé de quitter le stage. Pour quelles raisons ?

Thievy Bifouma  (T.B.): Je n’ai pas voulu cautionner cette parodie de stage. Ce regroupement d’Amiens a été organisé dans des conditions indignes du football professionnel. Pour moi, c’est un manque de respect total vis-à-vis des joueurs. Je suis international depuis presque quatre ans et je n’ai jamais vu un tel amateurisme. Mon départ n’est pas contre le staff technique qui subit comme nous cette situation, mais contre le ministère des Sports qui a organisé ce stage.

L.D.B. : Les retours font état, en vrac, d’un hôtel inapproprié (ndlr : situé en face de la gare d’Amiens), du match contre la Guinée Bissau remplacé par une opposition face à la réserve du RC Lens, des joueurs obligés de quitter le Campanile pour 24 heures… Confirmes-tu toutes ces informations ?

T.B. : Oui, tout à fait ; c’est incroyable, mais c’est vrai. Face à la gravité de la situation, je veux montrer mon désaccord et interpeller tout le monde. Les autres nations, dont nos futurs adversaires, s’entraînent sérieusement et nous, on annule notre match amical au dernier moment alors que certains pays vont en jouer deux. Non, ce n’est pas possible. Vous vous rendez-compte que le club de Jordan Massengo joue un match capital pour le maintien, vendredi soir, et que nous le retenons pour rien, puisqu’il n’y aura pas de match ?

L.D.B. : Il semblerait que l’annulation vienne de la partie congolaise. En connais-tu les raisons exactes ?

T.B. : J’ai cru comprendre qu’on a refusé de payer les frais d’organisation. C’est incroyable. Je sais que le pays traverse une crise financière, mais on parle de dix mille euros. Si on ne peut pas payer une somme comme celle-là pour préparer les éliminatoires, autant le dire et déclarer forfait. Nous voulons rejouer une CAN pour effacer les récents échecs ; pour y arriver, il faut se préparer dignement, sinon on ne pourra pas redresser la barre.

L.D.B .: Ce stage s’ajouterait à une grogne née du non-paiement des primes du match face à l’Ouganda, en novembre dernier. Est-ce vrai ?

T.B. : C’est exact, les instances nous doivent des primes. Je ne veux pas rentrer dans le détail, mais je le confirme. Le barème signé entre les joueurs et le ministère des Sports n’a pas été respecté. Certes, les accords avaient été obtenus sous la direction du ministre Opimbat, mais nous estimons qu’un changement ministériel ne remet pas en cause les conditions. Nous représentons notre pays, pas le ministre des Sports. Nous avons tous des proches au pays, nous savons que les temps sont durs et nous n’étions pas contre une discussion pour évoquer le sujet. Mais nous refusons la méthode : une décision unilatérale de la part des instances. Quand je suis venu en sélection, et je pense que c’est le cas pour plusieurs coéquipiers, c’est parce que ce genre de problèmes n’existait plus dans le football congolais.

L.D.B. : Plusieurs clubs auraient demandé à leur joueur de rentrer puisque le match amical n’a plus eu lieu.

T.B. : Oui. Franchement, pour nous, professionnels, c’est la honte vis-à-vis de nos employeurs, de nos coéquipiers. Là, ça va trop loin. Je pense aussi à la délégation qui est arrivée de Brazzaville, à qui on n’a même pas mis un bus à disposition lors de son arrivée à Roissy. Vous imaginez qu’après huit heures de vol, on les met dans le RER et dans le train avec leurs bagages et le matériel. Mais pour économiser quoi ? Quelques centaines d’euros pour affréter un bus entre Roissy et Amiens. Non, ce n’est pas possible, moi, je ne cautionne pas cela. C’est trop honteux.

L.D.B .: Cette démarche peut paraître individuelle…

T.B. : Non, vraiment, je fais cela pour le groupe. Je prends mes responsabilités pour dire tout haut ce que tout le groupe pense tout bas. On ne peut pas continuer comme cela. Personne ne veut revivre les conditions de l’avant 2012.

L.D.B .: Peut-on penser à un boycott plus général pour les prochains matchs ?

T.B. : Ce n’est pas le but. Je ne vois pas d’issue qu’une prise de conscience générale. On crève l’abcès avec ce stage, on remet les compteurs à zéro et on remet en place une organisation digne d'une sélection nationale.

L.D.B. : Pas de retour à Amiens pour toi ?

T.B .: Non. Mon club est au courant. Je suis avec un préparateur physique jusqu’à ce week-end et je rentre en Turquie.

L.D.B. : Pour finir, on a entendu parler d’un match de remplacement contre Lens, refusé par le groupe…

T.B. : Oui. J’étais déjà parti, mais le groupe a refusé. On quitte nos clubs pour jouer une sélection et finalement, on nous sort un match contre une équipe de Lens bis avec des amateurs qui vont nous attendre le couteau entre les dents. Nous ne sommes pas venus pour ça.

 

 

Propos recueillis par Camille Delourme

Légendes et crédits photo : 

Thievy Bifouma dénoncant les conditions d'organisation du stage d'Amiens, qu'il a quitté hier (CD/ADIAC)

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