Interview. Marcel Guitoukoulou : « Je suis radicalement opposé à la révision constitutionnelle »

Mercredi 12 Février 2014 - 15:45

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En qualité d’acteur politique, le Dr Marcel Guitoukoulou a saisi l’occasion de cet entretien, lors d’un séjour en début d’année à Kinshasa, pour transmettre ses vœux aux Congolais mais bien plus, livrer son avis sur les débats politiques de l’heure. Il a estimé d’entrée de jeu que « 2014 constitue une étape essentielle vers le changement, maître mot qui guide toutes les attentes des Congolais aujourd’hui ». Et le docteur d’ajouter : « Les belles paroles de notre hymne national qui disent : en ce jour, le soleil ressurgit et notre Congo resplendit » sonnent comme un appel à l’espoir pour l’ensemble de notre pays ».

Docteur Marcel GuitoukoulouLes Dépêches de Brazzaville : De plus en plus, le débat sur la révision ou non de la Constitution du 20 janvier 2002 s’amplifie dans les milieux politiques congolais. Quel est votre point de vue sur cette question  ?

Marcel Guitoukoulou  : Je suis radicalement opposé à la révision constitutionnelle. D’ailleurs, la question ne devrait pas se poser d’autant plus que la Constitution est la règle, c’est la fondation de l’édifice Congo. S’il faudrait chaque fois craqueler la fondation, l’édifice va finir par s’écrouler. C’est une Constitution qui a été édictée par la majorité actuelle, voulue par le président de la République. Même si, personnellement, je ne partage pas les fondamentaux de ce texte constitutionnel, mais en tout cas pour une fois j’en suis gré au président de la République parce que cette Constitution ouvre aux Congolais la voie à une transition politique apaisée. Et je l’appelle de tous mes vœux parce que pour une fois dans notre pays nous avons la possibilité de voir s’installer le processus de l’alternance au pouvoir. La Constitution stipule que le chef de l’État ne peut briguer un troisième mandat mais aussi qu’avec plus de 70 ans, il ne peut plus concourir. À l’impossible nul n’est tenu. Ceci revient à dire que je compte sur  son esprit patriotique pour ne pas embraser le pays, d’autant plus qu’il est, à en croire tous ses discours, très attaché à la paix. Or, la paix c’est aussi le respect de la Constitution et un gage de bonne volonté et d’ambiance positive pour les affaires que nous donnons aux investisseurs étrangers. Nous ne devons pas donner l’impression d’un pays toujours sur le qui vive, à la remorque d’une éventuelle contestation. Mais, ce débat, je l’espère, n’anime que certains états-majors et esprits mal intentionnés. Je pense que le président de la République est plus bienveillant et sait que nul n’est indispensable. Il a fait ce qu’il a pu, au peuple congolais de le remercier. Moi, je le remercie vivement en considérant tout ce qu’il y a eu de bon et de mal. Je pense que le la vie est comme cela mais là, le moment est venu de dire : « j’ai servi mais aussi, il faut que je passe la main ».

LDB : Partagez-vous le constat de certains observateurs qui pensent que l’opposition congolaise est désunie  ?

MG  : L’opposition congolaise n’existe pas. Car si elle existait, depuis quelques années déjà, elle aurait réussi au moins à dire au peuple congolais qu’il y a un projet alternatif. À ce jour, ce sont des voix disparates qui se réclament de l’opposition. Ce que j’appelle opposition moi, c’est l’ensemble des forces politiques qui veulent vraiment bâtir le changement. Un changement fondé sur la rupture, le dépassement de soi et qui remette l’homme au centre de la gestion des affaires. Pour l’instant, ce discours je ne l’entends pas. Tout le monde se lance dans un débat constitutionnel y compris au sein de l’opposition qui devrait avoir intérêt à ce que les textes soient respectés comme tels. C’est désolant de constater que certains dans l’opposition chantent également le même refrain du changement constitutionnel ce qui vient conforter l’idée très répandue dans la population que les hommes politiques ne servent que leurs propres intérêts parce que, à y regarder de près, au sein de l’opposition actuelle, beaucoup sont également frappés par l’article de la Constitution qui stipule qu’au-delà de 70 ans, l’on ne peut pas aller aux élections présidentielles. Donc, je demande à tous ceux qui pensent que l’heure de l’alternance politique est arrivée, que l’heure de la rupture a sonné de faire bloc ensemble.

LDB : Dans pareil contexte pensez-vous qu’il soit possible de gagner des batailles politiques  ?

MG : Si les sons des cloches sont divergents, il y en aura toujours qui feront vibrer les cœurs des Congolais et l’on espère bien que c’est le cas.

LDB : De l’Europe où vous résidez, comment faites-vous pour rester en phase avec les groupements politiques, avez-vous des accointances utiles  ?

M. G.  : Je n’ai d’accointances avec personne mais cela ne m’empêche pas d’échanger avec certains acteurs politiques congolais résolument tournés vers le changement. Il y a même à l’intérieur de la majorité présidentielle des acteurs politiques qui veulent le changement avec lesquels il m’arrive aussi d’échanger. Le changement concerne l’ensemble de la population congolaise, moi je ne laisse personne au bord de la route. Que ce soient des militants du PCT, du MCDDI, de l’Upads, de l’UDR Mwinda, etc., s’ils veulent le changement, je suis prêt à discuter avec eux mais sur la base de la rupture. C’est elle qui doit consacrer la fin d’un système dans lequel je considère qu’aujourd’hui les raisonnements de la majorité et de l’« opposition » se télescopent dans un choc des intérêts. C’est cela qui fait que la démocratie soit prise en défaut dans notre pays.

LDB : Songez-vous à postuler comme candidat à la présidentielle de 2016  ?

MG : L’avenir nous le dira.

LDB : Votre organisation politique est-elle territorialement représentée comme le recommande la loi congolaise sur les partis politiques  ?

MG : Nous sommes en conformité avec la loi congolaise mais, à ce jour, je me situe au-dessus de l’organisation politique. Je me positionne comme quelqu’un qui veut rassembler le pays, affronter la réelle politique, droite ou gauche, majorité ou opposition, là n’est pas le problème. La seule majorité qui compte c’est celle du peuple qui souffre et pleure que cela change et y aspire.

LDB : Votre parti politique prendra-t-il part aux élections locales et sénatoriales qui seront organisées cette année au Congo  ?

MG  : Certainement.

LDB : Quelle lecture faites-vous de la marche générale du Congo actuellement  ?

MG : J’aimerais m’appesantir sur le mot paix. D’abord parce que le président de la République l’affectionne beaucoup, dans tous ses discours il en parle. Dans sa dernière adresse pour les vœux au peuple congolais, il a osé le mettre en garde contre toute tentative qui menacerait la paix. Ce sur quoi je suis d’accord parce que personne aujourd’hui ne veut revivre les évènements douloureux dans lesquels le pays était plongé autrefois et dans lesquels j’ai été acteur de l’autre côté cherchant à bâtir la paix. Je vais remémorer ce passage de ma contribution citoyenne au peuple congolais parce que l’on a tendance à l’oublier. J’ai apporté ma pierre à l’édification de la paix dans le pays en aidant à l’organisation du dialogue national sans exclusive. À l’occasion j’avais dû rencontrer et convaincre les différents protagonistes de la crise politique congolaise de se mettre autour d’une table, notamment le président Sassou que j’ai rencontré à Brazzaville, le président Lissouba à Londres et le Premier ministre Kolelas à Bamako, sans parler des autres membres de l’opposition. J’ai continué à contribuer pour la paix en mettant sur pied la consultation citoyenne des fils du pool qui a permis enfin au pasteur Ntoumi de quitter la rébellion pour devenir enfin un homme politique comme les autres. Je l’ai rencontré et établi les ponts avec le gouvernement jusqu’à ce que cette affaire soit conclue. Et cette paix, personne, moi y compris, ne veut qu’elle soit menacée par qui que ce soit, mais celle que nous connaissons à présent est très fragile. Car l’on ne peut parler de paix si le gouvernement ne répond pas aux besoins élémentaires des citoyens. Prenons le cas des infrastructures de santé, même s’il y a des efforts qui sont faits, nous le reconnaissons, ils arrivent tardivement et sont insuffisants. Aucun chef de famille ne peut se sentir en paix s’il est dans l’incapacité, par manque ou insuffisance de pouvoir d’achat, d’apporter le bonheur à sa famille, nourrir, vêtir, soigner et éduquer ses enfants. Tous ces besoins fondamentaux un peu laissés à l’abandon au profit d’une nomenclatura nationale qui éclos au profit d’un capitalisme de connivence qui crève le développement national. Tous ces facteurs sont de nature à menacer la paix. Pour ma part, c’est un jugement plutôt sévère même s’il peut y avoir un regard sur des réalisations que l’on ne peut nier. Mais combien coûtent-elles ? Est-ce qu’elles entrent dans le cadre d’investissements ou sont-elles de prestige ? Ce sont là des questions que l’on se pose.

Nioni Masela

Légendes et crédits photo : 

Photo : Docteur Marcel Guitoukoulou