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Gouvernance de l’Union africaine : vers l’émancipation du continent ?

Mercredi 18 Avril 2018 - 15:15

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Le 30e sommet de l’Union africaine (UA) tenu du 29 au 30 janvier 2018 à Addis-Abeba, en Ethiopie, a généralisé l’application de la taxe de 0,20% sur les importations à tous les États membres pour autofinancer ses activités. Loin de faire l’unanimité, cette taxe adoptée depuis 2016 révèle les dimensions de l’impasse d’une gouvernance perfectible :

1) idéologique : l’organisation panafricaine créée le 23 mai 1963 à Addis-Abeba par trente-deux Etats, sous le nom d’Organisation de l’unité africaine, devenue depuis le 9 juillet 2002 l’UA, souffre d’une tare congénitale : l’opposition des fédéralistes guidés par Kwamé Nkrumah (1909-1972) souhaitant créer une nation africaine, avec transfert de la souveraineté des États à l’UA, contre les souverainistes, éclairés par Léopold Sédar Senghor (1906-2001), défendant une Afrique des États indépendants qui coopèrent entre eux pour décoloniser le continent. Le triomphe des souverainistes de 1963 à 2002 fit de l’UA une hyper bureaucratie au service du néocolonialisme. Les fédéralistes qui pourvoient le libre échange depuis 2002 ne font pas mieux, faute de leadership efficace ;

2) éthique : le président de l’UA cumule sa fonction avec celle qu’il exerce dans son pays d’origine. Élu par ses pairs pour un an seulement, sans être évalué par le mécanisme d'auto-surveillance de l’UA datant de 2003 qui atteste de ses performances dans son pays, il travaille par intermittence et dirige l’UA par correspondance en s’appuyant sur le président de la Commission, élu pour quatre ans. L’élection depuis 2018 d’un vice-président dans chacune des six unions économiques régionales par le même processus, n’enracine pas les valeurs de la démocratie. Alors qu’un président permanent, élu pour cinq ans par les parlementaires africains, serait plus crédible ;

3) financière : le budget global de l’UA est passé de 219 millions de dollars en 2010 à 800 millions de dollars en 2018. Il est financé à 26% seulement par les États membres et à 74% par les donateurs (Union européenne, Etats-Unis, Chine et Banque mondiale). La part du fonctionnement représente 36,10% du total et celle des investissements 63,90%. Les membres financent le fonctionnement à 99,50% et les investissements à 7,50%. Les donateurs qui financent le fonctionnement à 0,50% et les investissements à 92,50% fixent les orientations stratégiques de l’UA. La Commission consomme 83,98% du budget total et les organes spécialisés 16,02%. Les salaires et pensions représentent 51,80% des dépenses de la Commission contre 48,20% pour les programmes spéciaux. Le parlement consultatif consomme 51,33% du budget des organes spécialisés, la Cour de justice 28,90%, la Commission des droits de l’Homme 13,69%, le Conseil économique, social et culturel 6,08% ;

4) décisionnelle: les membres ont décidé, en 2016, d’augmenter leur contribution statutaire annuelle à 65% sur cinq ans. Mais, sur les 325 millions de dollars de contributions dues par an, seulement 67% sont recouvrés, car 55,56% des membres sont quasi défaillants. Les principaux contributeurs (Afrique du Sud, Algérie, Egypte, Libye et Nigeria) participent chacun à 12,9%.

C’est pourquoi, en 2017, les membres décidèrent d’autofinancer la totalité du budget par les recettes fiscales sans s’accorder sur les moyens. Le rapport du Conseil exécutif (2012) proposait une taxe de 0,2% sur les importations pour 325 millions de dollars par an et sur les exportations pour 129,8 millions de dollars par an. En 2017, se sont ajoutées les taxes de deux dollars sur les nuits d’hôtels et de dix dollars sur les billets d’avion pour les vols en partance ou à destination de l’Afrique qui génèrent 730 millions de dollars par an. Une taxe additionnelle de 0,005 dollar par SMS échangé sur le continent qui rapporte 1,6 milliard de dollars par an. Soit au total 2,7062 milliards de dollars.

Ces mesures risquent d’aggraver les déficits des balances commerciales des États et d’appauvrir les consommateurs africains, alors qu’il aurait été plus équitable de taxer davantage les matières premières et autres services exportés. Une taxe d’exportation de 0,5% sur les hydrocarbures rapporte 602 millions de dollars par an et celle de 0,2% sur les polices d’assurance génère 220 millions de dollars par an. Le développement du commerce interafricain, estimé entre 14% et 28% d’ici à 2021, produit 35 milliards de dollars de recettes par an. Soit au total 35,822 milliards de dollars.

Ainsi, les conflits d’intérêt entre les membres font de l’UA une hyper bureaucratie, incapable de s’émanciper de sa tutelle, alors qu’elle dispose d’importantes ressources fiscales mobilisables. L’émancipation de l’UA exige qu’elle devienne plus un outil d’intégration économique et monétaire que politique, assurant sans complexe, son autonomie financière et une saine administration.

Emmanuel Okamba,maître de conférences HDR en sciences de gestion

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