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Souveraineté fiscale : les limites du marché commun

Vendredi 8 Mars 2019 - 15:45

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Dans la construction du marché commun régional, la souveraineté fiscale impose les limites à l’intégration économique des États membres. Le cas de la fiscalité des services du numérique dans l’Union européenne (UE) et des services dans l’Union africaine (UA) pose la question de la convergence régionale.

En effet, depuis 2016, pour autofinancer ses activités, l’UA a fixé la taxation des importations des États membres à 0,20%,  les nuits d’hôtels à 2 dollars,  les billets d’avion à 10 dollars et une taxe additionnelle de 0,005 dollars par SMS échangé sur le continent pour porter ses recettes à 2,7062 milliards de dollars. Ces mesures qui aggravent les déficits des balances commerciales sont rejetées par plusieurs États, laissant l’UA dépendre à 74% de l’aide extérieure.

Dans l’UE, où le taux d'impôt sur les sociétés moyennes des multinationales du numérique, notamment des Gafa (Google, Amazon, Facebook et Apple), n'est que de 9% contre 23% pour les autres entreprises, le rapport d’Orbis database (2017) a chiffré les pertes fiscales subies par chaque État membre, liées à la pratique de l’optimisation fiscale par ces entreprises. Cette pratique consiste, pour elles, à fixer leur siège social dans un paradis fiscal européen et à transférer leurs gains vers ce paradis. L’Allemagne a perdu 889 millions d’euros de 2013-2015, dont 79,19% liés aux activités de Google et 20,81% à celles de Facebook. Le Royaume-Uni a perdu 819 millions d’euros dont 71,18% dû par Google et 28,22% par Facebook. En France, cette perte est de 741 millions d’euros dont 73,41% lié à Google  et 26,59% à Facebook.

Pour rétablir l’équité fiscale, la Commission européenne (CE) proposa, dès le 21 mars 2018, une Taxe sur les services numériques (TSN) de 3% du chiffre d'affaires sur la vente de données personnelles, la vente d'espaces publicitaires en ligne ciblant les utilisateurs selon les données qu'ils ont fournies, et les services permettant les interactions entre utilisateurs et facilitant la vente de biens et services entre eux. La taxe sera due par les entreprises réalisant un chiffre d'affaires mondial annuel supérieur à sept cent cinquante millions d’euros, dont cinquante millions imposables dans l'UE. Environ cent cinquante entreprises sont concernées dont la moitié est américaine, un tiers asiatique et un tiers européen.  La taxe rapporterait cinq milliards d’euros par an aux États de l’UE, dont cinq cents millions à la France.

La CE a retenu le principe de « présence numérique », celle des algorithmes, biens immatériels des entreprises du numérique, lorsque les produits tirés de la fourniture de leurs services numériques dans un État membre excèdent sept millions d’euros par an et/ou si le nombre d'utilisateurs du service dépasse cent mille et/ou si le nombre de contrats avec les utilisateurs est supérieur à trois mille.

La TSN vise à réduire la concurrence fiscale dans le marché intérieur entre les paradis fiscaux ou États ayant des faibles taux d’imposition qui attirent davantage les entreprises du numérique et les enfers fiscaux ou États ayant des taux d’imposition fortement élevés et qui attirent moins les entreprises de la nouvelle économie.

C’est pourquoi, le projet de la CE est diversement accueilli par  les pays de L’UE. Les paradis fiscaux comme l'Irlande qui accueille les sièges de Facebook et de Google, ou du Luxembourg qui accueille Amazon, et qui fondent leur attractivité économique sur une fiscalité très avantageuse, le rejettent en bloc. D’autres pays comme l’Allemagne préfèrent une taxe minimale mondiale qui fasse un consensus entre les nations pour ne pas déstabiliser le commerce mondial, à condition que cette taxe soit fixée par l’ Organisation de coopération et de développement économiques comme le souhaitent les Etats-Unis.

En absence de consensus entre les États, la France a décidé d’appliquer unilatéralement cette TSN sur les activités du numérique réalisées sur son territoire, afin que les géants du domaine qui pratiquent l’optimisation fiscale n’échappent aux impôts et taxes dans ce pays. Ce choix trouve ses fondements dans la politique fiscale européenne elle-même qui repose sur la procédure spéciale dite d'approbation, où l’avis non contraignante de la CE est requis avant que chaque État n’adapte les règles communes à son territoire. Par conséquent, la CE où siègent les ministres de l'Économie des États membres, est appelée à consulter le parlement européen et il appartient à chacun d’eux de décider des règles fiscales locales sans préjudice pour l’UE.

Ainsi, la souveraineté fiscale des États membres pose les limites de l’intérêt général dans les communautés économiques, lorsque l’intérêt particulier est menacé. Dans la convergence fiscale, l’équilibre entre le général et le particulier est la clé de l’exercice harmonieuse de la souveraineté.

 

 

 

Emmanuel Okamba, maître de conférencesHDR en sciences de gestion

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