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Patrick Sevaistre : une nouvelle donne dans la relation UE-Afrique

Dimanche 30 Mars 2014 - 4:15

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De manière inattendue, après plus de dix ans de longues et difficiles négociations, l’accord de partenariat économique (APE) entre l’Union européenne et les seize pays d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) vient d’être bouclé au niveau technique. Il devrait donc être officiellement conclu fin mars à l’occasion du prochain sommet des chefs d’État de la Cédéao

Patrick SevaistrePatrick Sevaistre a commencé sa carrière au Conseil national du patronat français en tant que chargé de mission Afrique, après quoi il a rejoint le groupe Tetra Pak en tant que directeur Afrique francophone. Par la suite, et après avoir été successivement à l’OCDE en tant qu’administrateur principal en charge de la création des réseaux de l’entreprise en Afrique, puis à Bruxelles en tant que responsable du programme européen de promotion des investissements en Afrique australe, il a été directeur général d’Afrique Initiatives SA. Il est aujourd’hui conseiller du président du Conseil des investisseurs français en Afrique, consultant spécialisé dans le développement du secteur privé en Afrique et chercheur associé à l’Institut Thomas-More.

Une attitude plus souple et moins dogmatique de Bruxelles a permis de lever les points de blocage sur le rythme et l’ampleur de la libéralisation progressive des échanges : au lieu de 80% sur quinze ans, comme défendu jusque-là par les Européens, l’ouverture du marché africain couvrira 75% seulement des produits sur vingt ans. De leur côté, les pays de la Cédéao ont finalement accepté la clause de la nation la plus favorisée. Cette disposition garantit à l’UE qu’aucune de ses marchandises exportées ne sera défavorisée par rapport aux exportations d’une autre nation par un droit de douane plus élevé.

Le processus perdure depuis douze ans. L’APE ouvre de manière asymétrique et graduelle le marché de la région (300 millions d’habitants) aux industries et services de l’UE. En retour, l’Europe accepte les produits et les services provenant de la région sous réserve de l’observance des normes de qualité. De même, il est convenu d’une contribution financière de l’UE (6,5 milliards d’euros entre 2015 et 2019) dans le cadre d’un programme d’accompagnement de la mise en œuvre de l’APE.  Ce programme – le Paped, Programme APE pour le développement de l’Afrique de l’Ouest – est un programme quinquennal glissant formulé et élaboré par l’Afrique de l’Ouest pour permettre à la région d’identifier ses besoins en matière d’aide au développement afin qu’elle puisse engranger les dividendes de l’APE et en atténuer les effets négatifs. Outre la compensation du manque à gagner fiscal, la contribution financière de l’UE porte essentiellement sur la mise à niveau des entreprises et le renforcement des filières agricoles ainsi que sur le financement des infrastructures régionales (énergie, transport, TIC…).

Si un APE est ainsi officiellement signé avec la Cédéao, l’Afrique centrale sera la prochaine région visée par l’UE pour signer un APE régional avant la fin de mandat de l’actuelle Commission. Cette annonce a un déjà impact positif sur la reprise des négociations APE avec la région Afrique centrale : une réunion ministérielle des huit pays qui négocient l’APE régional (Cémac + RDC + Sao Tomé) est prévue à cet effet le 28 mars à Kinshasa. À cette occasion, les négociateurs de la région Afrique centrale devraient se mettre d’accord sur un nouveau calendrier de négociation avec Bruxelles. Ils devraient également se mettre d’accord sur le contenu et le montant du programme d’accompagnement qui sera proposé à Bruxelles – le Prada, Programme régional d’accompagnement du développement dans le cadre de l’APE en Afrique centrale.

À l’instar du Paped en Afrique de l’Ouest, le Prada a pour objectif spécifique de renforcer les capacités des pays engagés dans l’APE, y compris leur secteur privé, pour leur permettre de tirer profit des opportunités offertes par l’accord et minimiser ses impacts négatifs potentiels. L’imminence de la conclusion d’un APE en Afrique de l’Ouest, puis demain en Afrique centrale, met fin à un dialogue de sourds entre l’UE et l’Afrique et devrait mettre un terme au profond malaise qui s’est aujourd’hui installé entre les deux parties. En effet, jamais, depuis que la Communauté européenne existe, les relations entre l’Europe et les pays ACP n’ont connu une telle période de confusion et de perplexité.

Les raisons de ce blocage n’ont pas tenu aux difficultés techniques ni à la complexité des textes, mais plutôt aux attitudes politiques, souvent maladroites et au final inefficaces qui ont pu laisser croire aux négociateurs ACP que les APE servent uniquement les intérêts européens et qu’il s’agissait d’une négociation d’un accord commercial – et non du volet commercial d’un accord de développement – alors qu’il s’agit avant tout d’un modèle de développement pour les pays ACP adapté à la concurrence mondiale et aux contraintes du système commercial multilatéral. C’est pourquoi, l’adoption par la Commission européenne d’une approche désormais plus pragmatique pour faire de ces accords une réelle opportunité de développement change radicalement la donne. C’est seulement ainsi que l’Union européenne réussira à conclure par le haut ces négociations absolument déterminantes pour l’avenir du partenariat UE-Afrique.

Les mesures d’accompagnement de l’APE

Les mesures d’accompagnement prévues par l’UE dans le cadre de l’APE interviennent en soutien de programmes proposés par l’Afrique (le Paped pour l’Afrique de l’Ouest et le Prada pour l’Afrique centrale) avec l’objectif de permettre à chacune des régions d’identifier ses besoins en matière d’aide au développement afin qu’elle puisse s’adapter au nouveau contexte créé par l’APE et en tirer profit tout en compensant les effets négatifs.

C’est pourquoi l’appui de l’UE portera sur deux grands thèmes : l’appui à l’absorption de l’impact fiscal net de l’APE et le renforcement de la compétitivité des secteurs de production concernés par l’APE (diversification et accroissement des capacités de production, développement du commerce intrarégional et facilitation de l’accès aux marchés internationaux, amélioration et renforcement des infrastructures nationales et régionales liées au commerce, amélioration du climat des affaires…).

Il est clair que le libre-échange entre l’UE et l’Afrique va en effet entraîner une perte de recettes fiscales pour le budget des États africains dont les ressources sont essentiellement fiscales, ce en raison de l’élimination ou de la réduction progressive des droits de douane même si l’application des taxes intérieures, TVA, droits d’accises et de redevances non concernés par la libéralisation et l’augmentation des exportations permettront une entrée de recettes. En outre, des pertes supplémentaires risquent d’intervenir en conséquence des effets de déviation du commerce (c’est-à-dire la déviation des importations en provenance des pays tiers, sur lesquelles des taxes à l’importation seraient encore prélevées).

Plusieurs études d’impact de l’APE dans les régions Afrique de l’Ouest et Afrique centrale ont évalué cette perte à travers différents modèles (cf. Modèle d’équilibre général calculable) et sur la base de différentes hypothèses. Mais l’accord avec la Cédéao est encore trop récent, et l’absence d’une offre d’accès aux marchés conjointement adoptée par les deux parties (cas de l’Afrique centrale) a conduit dans la plupart des études à des simulations dont les résultats ne sont pas concordants en termes de niveau des pertes.

Je ne sais pas si l’enveloppe prévue par Bruxelles (6,5 milliards d’euros sur cinq ans ; 2 à 2,5 milliards d’euros pour l’Afrique centrale) sera suffisante. Ce que je sais, c’est que l’UE s’est engagée à contribuer de manière substantielle à la perte fiscale nette et surtout à appuyer la mise en œuvre d’un vaste chantier de réforme fiscale permettant d’atténuer l’impact fiscal des APE, ce en passant d’une « fiscalité de porte » – qui n’est plus adaptée à la nouvelle donne mondiale  – à une fiscalité intérieure. Il est attendu de l’impact positif généré par cette réforme fiscale une augmentation des flux commerciaux et des effets dynamiques sur la croissance. La prise en compte de ces deux dimensions permettra d’apprécier l’impact net de l’APE.

Espérons que les programmes d’accompagnement (Paped et Prada) sont équilibrés entre la compensation du manque à gagner fiscal et le package « développement ». Espérons que la dimension développement sera préservée et que toutes les ressources extérieures disponibles ne seront pas affectées par l’absorption de l’impact fiscal…

Patrick Sevaistre