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Au cinéma ce soir

Samedi 23 Novembre 2013 - 9:15

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À Brazzaville, des salles de fortune pallient une certaine misère cinématographique

Les changements dans notre société sont aussi visibles dans le domaine du cinéma. L’irruption fulgurante des technologies modernes de communication, téléphone portable et ordinateur en tête, a peut-être accentué les mutations. Le fait est que dans Brazzaville où les salles de cinéma d’antan, Vox, Vogue, Rio, ABC, Ébina, etc. étaient des références, les jeunes et les adolescents d’aujourd’hui ont du mal à se représenter ce qu’était une « vraie » salle de projection. Même les horaires relèvent pour eux d’une vraie préhistoire de la chose.

Avant, on allait au cinéma le soir. Les horaires de projection, « en matinée » ou en soirée, allaient de 16 à 23 heures. On entrait dans la salle de cinéma, salle sombre avec des travées correctes, placées d’ailleurs en fonction du prix du billet acquitté (les prix les plus bas étant réservés à ceux qui pouvaient, tout en étant dedans, être mouillés en cas de pluie !). Les constructions voulaient en effet réserver une partie ouverte de la toiture pour justifier la discrimination, mais qui s’en souciait ?

Les films étaient projetés sur grand écran : une toile tendue ou le mur du fond peint en blanc. L’acoustique était particulièrement soignée : les haut-parleurs, avant les enceintes hi-fi, étaient dirigés vers les spectateurs pour ne pas perdre une miette des dialogues. Le film était projeté par des manipulateurs dont c’était le travail attitré : de vraies vedettes de quartier. On n’hésitait d’ailleurs pas à les houspiller par leur nom en cas de cassure de film ou de non-remplacement à temps d’une bobine.

Ou en cas de confusion dans les séquences, ce qui arrivait souvent. Car les bobines, qui pouvaient peser jusqu’à une douzaine de kilos chacune, devaient être remplacées sur le projecteur sans que le spectateur se rende compte qu’on passait de la bobine 1 à la bobine 6 quand il y en avait plusieurs pour le même film. Les projections de soirée prévoyaient deux films : on passait de l’un à l’autre avec, en intervalle, la projection de la publicité ou ce qu’on appelait alors « les actualités », sorte de journal télévisé… Les films étaient annoncés par des affiches géantes qui, à elles seules, valaient vraiment le regard.

Aujourd’hui, c’est le grand contraste

La situation d’aujourd’hui est, bien évidemment, tout autre. En lieu et place des salles de cinéma d’antan, structures bâties en dur et constituant de vraies entreprises payant l’impôt et ayant des salariés pour la projection, le nettoyage, la vente de glaces et autres friandises dans et autour de la salle, on a aujourd’hui de petites industries de la débrouillardise. Les salles de projection sont installées aujourd’hui dans toutes sortes de bâtisses : en tôles, dans une maison inachevée, la chambre ou le salon ou sous une bâche.

À l’intérieur, plus question de projecteur ni d’écran. Un téléviseur de dimension modeste posé sur une table ordinaire et branché à un lecteur de DVD suffit. Même l’électricité ne pose pas problème, car le tout peut fonctionner à la batterie alternative. Délestages et autres coupures, connais pas ! Les spectateurs ne sont plus les adolescents ou les jeunes cadres de jadis, mais de jeunes enfants, adeptes de l’école buissonnière et de films interdits ou réservés. Ils viennent d’autant plus facilement au cinéma que les prix sont à leur portée : 25 FCFA, 50 FCFA maximum.

Les affiches à l’entrée sont d’ailleurs des copiés-collés des couvertures de DVD en projection. Ou, carrément, un bout de carton où les programmes sont gribouillés à la craie. Surtout lorsque la projection ne concerne pas un film, mais la retransmission des matchs de football. Les championnats de première division d’Espagne, d’Angleterre, d’Italie, d’Allemagne et de France sont les plus prisés. Mais tout est bon à projeter, des productions à bas coût nigérianes aux films piratés qui ont la préférence.

Relevant de l’économie de l’informel, ces projections sont devenues des sources supplétives de revenus pour bien des familles. Car le gain est assuré et l’investissement de peu de frais. Il suffit d’un téléviseur (pas même à écran plasma) et d’un lecteur DVD (souvent ceux de la famille), et de quelques bancs rustiques. Pour les retransmissions des événements importants, on s’adjoint les services d’une antenne parabolique. Mais là aussi les frais sont amortis facilement et, de toute façon, ils entrent dans le budget du père de famille quand l’occupation du cinéma est laissée au fils le plus débrouillard.

Lucien Mpama

Légendes et crédits photo : 

Photo 1 : L'ex-cinéma Ébina. (© DR) ; Photo 2 : L'entrée d'un vidéo-club de quartier. (© DR)