Les Dépêches de Brazzaville



Africare: zoom sur le processus d’une évacuation sanitaire de l’Afrique subsaharienne vers l’étranger


Les Dépêches de Brazzaville (L.D.B.): Comment se déroule une évacuation sanitaire ?

Dr Achraf Sokari (A.S.) : La réactivité et la capacité à fournir une réponse rapide et adaptée sont au cœur de notre métier. Lorsque nous sommes contactés, il s’agit forcément d’une urgence. Elle devra donc être gérée dans les 6 heures. Ensuite, rigueur et savoir-faire sont de mise pour composer l’équipe la plus appropriée au type de l’évacuation sanitaire qui se présente. 

L.D.B. : Quels sont les différents types d’évacuations sanitaires ?

Dr A.S. : Nous en proposons différentes sortes selon les cas : si le patient doit être intubé, ventilé ou non ; si un infirmier, un médecin réanimateur ou un médecin urgentiste sont nécessaires ; si le transport s’effectue par avion de ligne ou nécessite l’affrètement d’un avion sanitaire. Toutes ces situations appellent à des prérequis différents à prévoir avant de lancer la mission de la prise en charge du patient en son lieu de départ jusqu’à l’hôpital de destination. Pour ce faire, les équipes doivent systématiquement vérifier plus d’une quinzaine d’éléments d’une check-list spécifique.

L.D.B. : À quel prix proposez-vous un plateau d’évacuation sanitaire ?

Dr A.S. : Tous les clients nous mettent en concurrence. Il est donc important, au-delà de bien maîtriser le métier, d’avoir accès aux prestataires qualifiés et compétitifs et d’être en mesure d’optimiser les différentes étapes. Nos prix sont évalués selon notre capacité à bien savoir-faire, avec la rapidité et la rigueur indispensables. Ils sont fixés en fonction de l’urgence et des moyens mis en œuvre dans un juste rapport qualité/prix. C’est ainsi que nous avons la possibilité d’évacuer un patient par différents types d’aéronefs notamment des Falcons, des Hawker’s et des Embraer dédiés aux évacuations médicales.

L.D.B. : Lors d’une évacuation sanitaire, quels sont les points sur lesquels vous êtes le plus vigilent ?

Dr A.S. : Trois personnes composent l’équipe : moi-même qui suis directeur général et médecin urgentiste spécialisé dans la médecine de voyages et aéronautique, un infirmier, et un logisticien qui gère les appels et la collecte précise pour l’établissement d’un rapport médical détaillé avant l’évacuation. Nous fonctionnons avec des formulaires que le médecin traitant local remplira soigneusement. Ceci permettra de définir le matériel nécessaire (type et quantité d’oxygène, besoin d’une intubation, etc.), le vol le mieux adapté (avec ou sans stops techniques de refueling), les moyens de transport terrestre jusqu’à l’hôpital de destination, une fois l’admission obtenue dans la structure la mieux appropriée pour accueillir le patient selon sa pathologie. Un aspect que nous gérons aussi, et que nous appelons : « programmation de parcours de soin ».

L.D.B. : En temps de crise sanitaire à travers le monde, comment organisez-vous vos opérations ? 

Dr A.S. : En temps normal, les évacuations par avion sanitaire ou « air ambulance » ont lieu lorsqu’il s’agit de situations d’urgence absolue nécessitant une civière et la délivrance d’oxygène durant le vol, ce qui n’est pas faisable dans les vols commerciaux. Les vols commerciaux étant limités en ce moment, nous sommes sollicités pour des conditions médicales pas forcément apparentées à des urgences vitales. 

Actuellement, nous mettons en œuvre des évacuations depuis tous les pays d’Afrique, du Moyen et du Proche-Orient, vers les plateaux médicaux européens, du Maroc et de la Tunisie et parfois de la Turquie. Il nous arrive aussi, mais plus rarement, de les organiser vers et à partir d’autres régions du monde (Etats-Unis, Amérique latine). Voilà pour le plan médical.

Sur le plan administratif, la PAF, la police aux frontières, exige aujourd’hui un certain nombre de démarches importantes pour accéder au territoire. Nous nous assurons que le patient a déjà le visa requis, si nécessaire, pour sa destination, ou nous l’aidons à l’obtenir en urgence. Nous vérifions que les autorités locales de son pays ont bien donné le feu vert pour son voyage, et que nous avons toutes les autorisations de survol et de décollage. Enfin, nous évacuons également beaucoup de cas de covid-19. Durant tout le vol nous aménageons une bulle d’isolation qui permet de voyager avec une personne atteinte de la covid-19 dans des conditions de sécurité optimale pour l’équipage de l’avion et pour le staff médical. Dans ces cas, nous sommes soumis, au départ et à l’arrivée, à des protocoles spécifiquement développés par les administrations et les structures de soins.

L.D.B. : Pouvez-vous partager avec nous une évacuation sanitaire ?

Dr A.S. : Nous avons organisé très récemment une évacuation de Brazzaville vers Paris. Il s’agissait d’un malade immunodéprimé ayant subi une transplantation de greffe rénale. Mais le patient a attrapé la covid-19, et la moindre infection pouvait engager son pronostic vital : c’est ce qui a motivé son évacuation en urgence. En moins de six heures, nous avons pu mobiliser l’équipe et trouver une ambulance avec accès au tarmac. Le vol a duré 7 h 30, le malade a voyagé dans une bulle d’isolation et le rapatriement s’est déroulé dans des conditions optimales avec oxygénothérapie et traitement appropriés durant le vol.

 

 


Propos recueillis par Marie Alfred Ngoma

Légendes et crédits photo : 

1- le Dr Achraf Sokari ; 2- l'affiche