Afrique : la restitution des objets d’art, une quête de justice et de mémoireLa question du retour des œuvres d’art en Afrique reste méconnue du grand public en France. La réalisatrice franco-sénégalaise Mati Diop a porté ce sujet en haut de l’affiche avec le film Dahomey paru en septembre 2024, où elle raconte comment vingt-six trésors royaux de l’ancien royaume du Dahomey quittent Paris pour être rapatriés définitivement vers leur pays d’origine, la République du Bénin. Un vent de changement souffle, avec des voix qui réclament justice et réparation, mais aussi la réactivation d'une mémoire collective trop longtemps oubliée. Au-delà des objets, la mémoire Le pillage des biens culturels africains est un héritage douloureux de la colonisation. Statues sacrées, masques rituels, manuscrits anciens… : autant de fragments d'une identité volée. Réduits au statut de curiosités exotiques ou d’icônes du marché de l’art, ces objets ont alimenté les collections des musées occidentaux, perpétuant une vision déformée de l'histoire africaine. Selon le rapport de Felwine Sarr Bénédicte Savoy, on estime que 500 000 objets africains sont conservés dans des galeries européennes, et en France, 240 musées ont des collections africaines de ce type. La plupart des objets ne sont pas exposés. Prendre un exemple précis peut aider à comprendre les enjeux et les attentes. Les "Bo des Agojiée" sont des amulettes des Amazones du Danxomè, conservées dans les réserves du Musée du quai Branly - Jacques Chirac à Paris. Elles ont été arrachées aux corps des guerrières tombées au combat, lors de la bataille de Cotonou en 1890. Professeure de sociologie à l’Université Paris Nanterre et spécialiste de la restitution, Saskia Cousin mène des enquêtes avec et auprès des personnes héritières des communautés spoliées. Avec sa doctorante Madina Yéhouétomè, originaire d’Abomey, elle est partie pour la rencontre de la reine Tasi Hangbé, des responsables de cultes et des descendantes des Agojiée. Ces dernières ont gardé la mémoire de ces amulettes, de leurs noms, de leurs pouvoirs et de significations profondes. Ce ne sont pas de simples "objets", mais des porteurs de mémoire, des témoins de l'histoire et de la culture béninoise. Pour ces amulettes comme pour tant d’autres matrimoines et patrimoines, la restitution est essentielle pour permettre à leurs héritières de se réapproprier une part de leur histoire et de construire leur avenir avec plus de sérénité. Si certaines familles demandent ces objets depuis plusieurs décennies, l'organisation en Afrique et aux Antilles pour une réclamation officielle remonte à une vingtaine d'années. « Il y a toujours eu des réclamations, les premières datent des spoliations… En 2005, Christiane Taubira a porté officiellement la demande de restitution de la famille des descendants du roi Gbéhanzin, spolié lors du sac d’Abomey en 1892 », a rappelé Saskia Cousin. Dans les pays concernés, des musées nationaux aux activistes, en passant par les intellectuels et les artistes, les voix s'unissent pour exiger la restitution de ces biens culturels. Un dialogue constructif entre l'Afrique et l'Occident est essentiel pour trouver des solutions justes et équitables. Les musées occidentaux et le marché de l’art doivent reconnaître l'importance de cette restitution et s'engager à coopérer. Cependant, des difficultés juridiques persistent. Les législations nationales et internationales sont complexes et peu adaptées à la question de la restitution. Des solutions innovantes pour un avenir partagé ? Depuis 2022, les Allemands, Suisses et Néerlandais ont restitué des milliers de biens aux pays spoliés, en particulier le Nigeria. La France attend toujours le vote d’une loi-cadre. Et d’ici là, d'autres formes de coopération peuvent être envisagées. Les expositions temporaires, les prêts de longue durée, la création de musées virtuels..., autant de pistes à explorer pour permettre aux Africains de se réapproprier leur patrimoine. La coopération scientifique et technique peut favoriser la valorisation de ces œuvres, alors que l’Afrique se dote de nouveaux musées. Il est également important de soutenir la recherche sur l'histoire et la provenance des objets, afin de faciliter leur retour. La restitution des biens culturels africains spoliés est une étape essentielle pour construire un avenir plus juste et plus respectueux. C'est un acte de réparation, mais aussi un moyen de renouer avec un passé trop longtemps occulté. Noël Ndong |