Les Dépêches de Brazzaville



Belgique : le groupe d’experts sur le passé colonial a rendu son rapport


Le groupe d’experts était composé de Zana Etambala, Gillian Mathys, Elikia Mbokolo, Anne Wetsi Mpoma, Mgr Jean-Louis Nahimana, Pierre-Luc Plasman, Valérie Rosoux, Martien Schotsmans, Laure Uwase et Sarah Van Beurden. Son rapport a été rendu le 26 octobre et publié sur le site du Parlement belge. 

La Commission spéciale, indique le rapport, constitue la première initiative d’une ancienne métropole pour faire face à l’ensemble de son passé colonial et s’interroger explicitement sur les liens entre colonialisme et racisme. Le but de ce document, apprend-on, n’est pas de prendre des décisions mais d’éclairer celles qui reviennent aux membres de la Commission spéciale. Ainsi, fait-on savoir, les recherches et les rencontres qui ont eu lieu entre août 2020 et janvier 2021 s’inscrivent dans une démarche exigeante destinée à prendre conscience des conséquences à long terme du colonialisme. Comme le rappelle le rapport, cette démarche est triple. Premièrement, le travail des historiens permet d’appréhender avec le plus de justesse possible les réalités concrètes de la période coloniale ainsi que leur impact à long terme, que ce soit dans les anciennes colonies ou en Belgique. Ainsi, le premier volet du rapport distingue, d’une part, les questions qui suscitent un consensus parmi les historiens et, d’autre part, les questions qui demeurent à ce jour insuffisamment explorées ou controversées. Cette distinction permet de déterminer les priorités à privilégier sur le plan de la recherche historiographique. Ce premier volet permet, en outre, de faire le point sur l’importance et l’accessibilité des archives et, plus largement, de l’ensemble des sources consacrées à la période coloniale.

L’écoute des victimes

Deuxièmement, indique le texte,  l’écoute des victimes et de leurs descendants semble indispensable pour tenter d’avancer vers une société pleinement partagée où chacun puisse trouver sa juste place. C’est dans cette perspective que le deuxième volet du rapport se penche sur le travail de mémoire et de réparation qui peut être aujourd’hui entrepris dans le cadre de la Commission spéciale. Il propose une clarification des concepts utilisés dans le cadre des consultations initiales et met en valeur les options qui se présentent aux membres de la Commission pour favoriser un processus de sensibilisation, de dialogue et de participation à tous les niveaux de la société belge.

S’interroger le les liens entre colonialisme et racisme

Troisièmement, le rapport invite à s’interroger sur les liens qui existent entre le colonialisme et le racisme. Ce troisième volet, explique-t-on, rappelle que l’objectif du texte et de la Commission spéciale réside non pas seulement dans la description du passé colonial en tant que tel, mais aussi – et peut-être surtout – dans la prise de conscience des effets à long terme de ce passé. L’enjeu majeur de cette analyse concerne donc à la fois les générations passées, présentes et à venir.

Sur le plan méthodologique, indique le rapport, l’analyse reflète la structure proposée. Certains textes sont signés de manière individuelle, tandis que d’autres réunissent plusieurs auteurs. Chaque contribution engage la responsabilité de son/ses auteur(s) et non pas celle de l’ensemble des experts. Ce choix méthodologique, fait-on savoir, permet d’assumer l’existence de certains décalages sur le plan des perspectives adoptées par les uns et les autres.

Discipline historique Vs Justice transitionnelle

La première partie du document a été rédigée par les historiens et donne un aperçu de la recherche historique existante concernant le passé colonial de la Belgique. Dans cet aperçu, les experts identifient les faits et les données qui font consensus dans le monde scientifique, mais aussi les zones d’ombre qui subsistent, les épisodes encore méconnus et les points controversés et conflictuels. Les experts ne se limitent pas à la période coloniale proprement dite. Les conséquences du colonialisme ayant eu un impact durable, la partie historique du rapport s'intéresse également aux effets postcoloniaux et à l'influence persistante de la domination coloniale jusqu'à aujourd'hui. D’un point de vue géographique, cette partie historique est relationnelle. Elle examine la manière dont l'influence belge s'est fait sentir en Afrique centrale, la manière dont les connaissances sur l'Afrique centrale ont été édifiées en Belgique; l’empreinte que la colonie a laissée dans les structures politiques et économiques belges ; et la manière dont le colonialisme a produit des effets sociaux.

Pour sa part, la deuxième partie ne repose pas sur la discipline historique mais sur une expertise liée à la justice transitionnelle. Elle est consacrée non pas à l’histoire de la période coloniale belge, mais aux  questions liées à la mémoire de cette période, aux réparations et à la participation des citoyens. « Ancrée dans les sciences politiques, criminologiques et juridiques, cette partie a une portée à la fois théorique et pratique. Sur le plan théorique, elle recadre les notions clefs du débat (celles qui furent utilisées dans le texte mettant en place la Commission spéciale, mais aussi dans le cadre des consultations initiées par les experts depuis le mois d’août 2020). Sur le plan pratique, elle offre une vue d’ensemble sur les pistes envisageables pour entamer concrètement le travail de la Commission spéciale ».

 Enfin, la troisième partie couvre des approches souvent présentes dans le cadre des cultural studies, discipline à la pointe des recherches consacrées à la décolonisation. Le but de cette dernière partie est d’appliquer les questions posées par ces approches au cadre belge, indique le rapport.

Clarifier certains enjeux et exposer diverses options

Pour les experts, le but de ce rapport était de clarifier certains enjeux et d’exposer les diverses options qui se présentent  aujourd’hui aux membres de la Commission spéciale, car estiment-ils, les choix à venir seront déterminants pour  infléchir la mémoire officielle de la Belgique et tenter de favoriser un dialogue sur une question qui  demeure douloureuse. « La prise en compte des conséquences à long terme de la colonisation force à  ouvrir les yeux sur la ténacité des traces d’une période qui hante aujourd’hui encore non seulement  nombre de mémoires, mais aussi tant de vies concrètes. Face au poids du passé, la Commission spéciale  est une opportunité unique. La prise en considération du phénomène colonial dans la longue durée est  une étape cruciale pour la Belgique. Les analyses reprises tout au long du rapport montrent que la mise en œuvre de la Commission spéciale  fait face à trois défis majeurs. Le premier concerne la durée de son mandat. Le deuxième réside dans le  caractère inclusif de la démarche proposée. Le troisième concerne la transparence des étapes à venir », indiquent les experts. Pour ces derniers, la durée, l’inclusivité et la transparence se révèlent donc des conditions sine qua non pour réaliser l’une  des missions principales de la Commission, à savoir créer un changement sociétal pour mettre fin au  racisme et à la discrimination.


Patrick Ndungidi

Légendes et crédits photo : 

Une vue de la séance de remise du rapport à la Chambre parlementaire belge