Les Dépêches de Brazzaville



Burkina-Faso : la Cour africaine reconnaît le déni de justice du pays dans l’affaire Norbert Zongo


Dans son arrêt du 28 mars 2014, la Cour africaine signale que le Burkina-Faso « n’a pas agi avec la diligence due dans la recherche, la poursuite et le jugement des responsables des assassinats de Norbert Zongo et de ses trois compagnons [et a par voie de conséquence violé] les droits des requérants à ce que leur cause soit entendue par les juridictions nationales » (en violation des articles 7 et 1 de la Charte africaine).

Hormis cela, la Cour a considéré que les autorités de ce pays ont violé le droit à la liberté d’expression des journalistes (en violation de l’article 9 de la Charte africaine et 66.2 du traité révisé de la CEDEAO), dans la mesure où sa « défaillance (...) dans la recherche et le jugement des assassins de Norbert Zongo a suscité des peurs et des inquiétudes dans les milieux des médias ». En attendant certainement de se prononcer sur les demandes de réparation, la Cour a laissé trente jours aux deux parties pour lui soumettre leurs arguments sur la question.

Le président du MBDHP (Mouvement burkinabé des droits et de l’homme et des peuples), Chrysogone Zougmoré, a souligné qu’il s’attendait que la Cour reconnaisse la responsabilité du Burkina-Faso dans cette affaire. « L’assassinat de Norbert Zongo reste un point sombre de notre histoire politique récente, et l’État, pour n’avoir pas fait preuve de la célérité nécessaire dans le traitement d’une affaire aussi symbolique, est responsable du déni de justice des familles des victimes, a-t-il déclaré. La Cour africaine vient de le lui rappeler. Il s’agit là d’une victoire d’étape pour les défenseurs des droits humains et démocrates du Burkina, qui depuis bientôt 16 ans, réclament vérité et justice pour Norbert Zongo et ses compagnons assassinés. L’arrêt de la Cour africaine constitue également une victoire de la justice régionale dans le combat en faveur de la lutte contre l’impunité. »

Pour sa part, Sheila Muwanga Nabachwa, vice-présidente de la FIDH, et point focal pour l’Afrique de l’Est de la Coalition pour la Cour africaine, a affirmé : « Les conclusions de la Cour dans l’affaire Norbert Zongo revêtent une importance particulière en ce qu’elles touchent à la question de l’effectivité de la justice nationale et à celle de la liberté d’expression des journalistes, deux problématiques qui dépassent les seules frontières du Burkina. Cet arrêt rappelle clairement la responsabilité première qui revient aux États de garantir l’accès à la justice et de protéger les libertés fondamentales ».

Pour Mabassa Fall, représentant de la FIDH auprès de l’Union africaine, « cet arrêt prouve, une fois de plus, que la Cour africaine constitue un moyen de recours essentiel pour les victimes de violations des droits humains qui n’obtiendraient pas justice devant leurs juridictions nationales, mais aussi que les ONG et les individus ont un rôle indéniable à jouer dans le renforcement de l’effectivité de la justice régionale ».

Alors que les autorités burkinabè ont indiqué devant la Cour africaine, que le délai de prescription du traitement de l’affaire Norbert Zongo, par les juridictions nationales, sera atteint au 31 août 2016, la FIDH et le MBDHP appellent de nouveau les autorités burkinabè à prendre toutes les mesures qui s’imposent pour faire la lumière sur les circonstances de ces assassinats, établir les responsabilités et traduire les auteurs en justice.

À titre de rappel, notons que le 13 décembre 1998, Norbert Zongo, journaliste d’investigation et directeur de l’hebdomadaire L’Indépendant, son jeune frère Ernest Zongo et ses collaborateurs Abdoulaye Nikiema et Blaise Ilboudo, étaient retrouvés calcinés dans une voiture qui les menait dans le sud du Burkina : des assassinats que les familles des victimes et le MBDHP lient aux enquêtes que menait Nobert Zongo concernant plusieurs scandales politiques, économiques et sociaux que connaissait le Burkina-Faso à cette époque, et à la suite desquelles le journaliste s’était plaint de menaces.

Face aux nombreuses failles de la procédure d’instruction au niveau de la justice burkinabé, les familles des victimes et le MBDHP avaient décidé de saisir la Cour africaine d’une plainte déposée en décembre 2011. Ce qui a conduit la juridiction continentale à rendre l’arrêt suscité.


Nestor N'Gampoula