Les Dépêches de Brazzaville



Entretien avec… Sergey Belyaev : « La culture française a influencé la culture russe, comme celles de plusieurs autres pays européens »


Les Dépêches de Brazzaville (L.D.B.): Le Salon du livre de Paris a pour invitée d’honneur la Russie. Comment appréciez-vous cette passerelle entre votre pays et la francophonie ?

Sergey Belyaev (S.B.): Les liens sont anciens. À l’époque où la littérature russe a commencé à fleurir, au XIXe siècle, la culture française était très influente. Pouchkine lisait à 10 ans Voltaire et La Fontaine, Tourgueniev a passé une grande partie de sa vie en France, la plus grande œuvre de Léon Tolstoï, Guerre et Paix, commence avec les conversations de ses personnages en français. Dans d’autres arts, on peut nommer Fabergé ou Tchaïkovski, étroitement liés à la France. Au XXe siècle, la culture française a été influencée par la culture russe, avec les ballets de Diaghilev et de nombreux artistes. Cette tradition se poursuit aujourd’hui : les Français connaissent bien les noms d’Andrei Makine qui écrit en français, Boris Akounine ou Zakhar Prilepine.

L.D.B. : Comment votre centre contribue-t-il aux liens culturels entre le Congo et la Russie ?

S.B.: À l’avant-scène de la coopération culturelle entre nos deux pays, le Centre russe de Brazzaville met à la disposition des Congolais le riche héritage culturel et scientifique russes et une bibliothèque disposant d’un fonds de plus de sept mille livres. Il met aussi en valeur l'art congolais par des concerts, séminaires et expositions, projections des films…

L.D.B.: Comment appréciez-vous la littérature congolaise ?

S.B.: La participation du Congo au Salon du livre témoigne de la vitalité de sa littérature et de ses écrivains, dont plusieurs sont reconnus en Afrique et dans le monde francophone, comme Pindi-Mamonsono, Alain Mabanckou, Jean-Baptiste Tati Loutard, Jeannette Balou Tchichelle, Henri Lopes et Tchicaya U Tam'si. C’est une littérature qui prend ancrage dans l’environnement congolais, avec la présence de la forêt dans la plupart des œuvres. Son identité se manifeste par l’attachement au terroir et aux racines. Les auteurs de la nouvelle génération (Hugues Eta, Huguette Ganga Massanga, Aimé Eyengué, Huppert Malanda…) défendent aussi cette spécificité. C’est, d’ailleurs, un point commun avec la philosophie et l’esthétique de la littérature russe.

L.D.B.: En quoi Pouchkine tient-il une place particulière ?

S.B.: S’il est un symbole de la coopération entre la Russie et le Congo dans le domaine culturel, c’est bien Alexandre Pouchkine, le plus grand poète russe, dont le buste se trouve dans l’Allée de la Mémoire de Brazzaville. Son arrière-grand-père, Abraham Hannibal, est un Africain affranchi et anobli par Pierre le Grand, devenu général. Pouchkine est fier de ce glorieux aïeul, dont il a hérité certains traits qui le distinguent de ses concitoyens : teint olivâtre, lèvres épaisses, cheveux bouclés. Il n’y a pas de doutes que ses œuvres ont influencé les auteurs congolais. Le président de l’Union nationale des écrivains et artistes du Congo, Henri Djombo, grand connaisseur de la littérature russe, a ces mots que j’aime beaucoup : « Les grandes révolutions dans le monde ont été des révolutions esthétiques. » Cette vision est très proche de la moralité et de la spiritualité de la littérature russe.


Propos recueillis par Bruno Okokana