Les Dépêches de Brazzaville



Europe–Afrique : la fin du face-à-face, l’entrée dans le rapport de force


À l’heure où les rapports de puissance se redéfinissent à l’échelle mondiale, l’Afrique s’impose comme un pivot géostratégique incontournable pour l’UE. Réunis à Luanda pour un sommet décisif, dirigeants africains et européens entendent dépasser un partenariat historiquement asymétrique et poser les bases d’une coopération plus pragmatique, fondée sur les intérêts mutuels et des engagements concrets. La compétition mondiale sur le continent joue un rôle structurant dans ce réalignement. Chine, États-Unis, Russie, Inde ou pays du Golfe y déploient des stratégies d’influence agressives, remodelant les équilibres traditionnels. Pékin, premier partenaire commercial du continent, poursuit ses investissements massifs dans les infrastructures et les énergies renouvelables ; Washington accélère son retour avec des financements structurants, à l’image du corridor du Lobito ; Moscou renforce ses positions sécuritaires dans plusieurs États fragiles. Dans ce paysage saturé, l’Europe n’est plus un partenaire par défaut : elle doit prouver sa valeur.

L’UE dispose toutefois d’atouts solides. Premier partenaire commercial de l’Afrique, premier investisseur direct, premier soutien au financement du développement, elle bénéficie d’une proximité géographique, de liens humains et d’une longue tradition de coopération. Les outils ont également évolué : la stratégie Global Gateway - dotée d’une enveloppe de 150 milliards d’euros pour l’Afrique d’ici 2030 -, l’IVCDCI et les financements de la Banque européenne d’investissement témoignent d’une volonté de passer de la simple aide au développement à une approche plus stratégique. Sur le terrain économique, l’Afrique représente un marché en pleine expansion. Sa croissance, projetée à plus de 4 % en 2025, et son potentiel démographique renforcent son poids dans les chaînes de valeur globales. Les minerais critiques, essentiels à la transition énergétique européenne, constituent un enjeu géo-économique central : cobalt congolais, platine sud-africain, manganèse gabonais ou tantale rwandais sont désormais au cœur de la sécurité industrielle de l’UE. Mais face aux restrictions croissantes à l’exportation adoptées par plusieurs pays africains, Bruxelles doit composer avec un partenaire plus assertif, déterminé à capter davantage de valeur ajoutée localement.

Le sommet de Luanda illustre cette maturité nouvelle. Les discussions auront porté sur les transitions énergétique et numérique, la sécurisation des approvisionnements, la mobilité, mais aussi sur les crises sécuritaires en Ukraine, au Sahel ou au Soudan. L’immigration irrégulière demeure un enjeu sensible, mais les deux parties cherchent à dépasser une logique strictement sécuritaire pour aborder les causes profondes : instabilité, manque d’opportunités économiques et faiblesse des infrastructures. Pour l’Europe, la crédibilité se jouera désormais sur la capacité à financer des infrastructures, soutenir l’industrialisation africaine, faciliter le commerce intracontinental et créer des chaînes de valeur partagées. Pour l’Afrique, l’enjeu est de consolider un partenariat qui renforce sa souveraineté économique, énergétique et technologique. Dans un environnement mondial plus fragmenté, l’Afrique n’est plus un terrain d’influence mais un acteur stratégique. Et l’UE, si elle veut rester en pole position, devra continuer à ajuster sa posture : moins de discours, davantage de résultats.


Noël Ndong