Les Dépêches de Brazzaville




Evocation : Kintélé le refuge, Kintélé l’abattoir


Kintélé, petit village de pêcheurs établi sur le bord du fleuve Congo, vécut lors de la guerre du 5 juin 1997 une activité que la mémoire d’aucun de ses habitants n’aurait jamais imaginé. A 25 km du centre-ville de la capitale sur l’axe centre et nord du pays, Kintélé fait partie des banlieues de Brazzaville.

Ce village reçut à la fin du mois de mai 1997 des visiteurs d’un genre particulier. Arrivés par centaine du nord-est, les étrangers s’établirent sur sa terre avec le concours des autorités de Brazzaville et des organisations humanitaires internationales. Ces gens étaient tous des Hutus rwandais persécutés depuis le Kivu, à plus de 2000 km à l’est de l’Afrique, par les armées victorieuses du général tutsi rwandais Paul Kagamé combinées aux rebelles de Laurent Désiré Kabila. Les réfugiés s’établirent dans des tentes en laine déployée par les ONG euro américaines.

Le 5 juin 1997, la nouvelle parvient à Kintélé qu’on se bat à l’arme lourde à Brazzaville. Les 6,7 et 8 juin, les habitants de Kintélé éberlués virent arrivés des cohortes épouvantées de leurs compatriotes vivant dans la capitale. Portant des ballots, des bidons, des matelas en éponge, à pieds ou en voitures, poussant des brouettes, ces gens, hommes, femmes et enfants, hagards, arrivaient de plus en plus nombreux. Certains continuaient la route, d’autres s’allongeaient de fatigue à Kintélé et décidaient d’attendre la fin des hostilités à Brazzaville, sur place.

C’est ainsi que de jour en jour la bourgade Kintélé vit augmenter sa population, au fur et à mesure que les canons tonnaient à Brazzaville. De village de pêcheurs, il devint un lieu de refuge. Les nouveaux villageois s’établirent de part et d’autre de la voie goudronnée. Ils abattirent les eucalyptus qui peuplaient le village et en firent du bois de chauffage. Des tentes et des abris de fortune poussèrent comme des champignons. Un semblant de vie reprit cours malgré l’infortune générale. On y vendait un peu de tout à des prix inflationnistes. Des brazzavillois de toutes origines sociales et de toutes les tribus se côtoyaient, se racontaient les misères infligées à chacun d’eux par la guerre. Les hommes étaient barbus comme pour la plupart des combattants Cobras (qui en plus avaient le crâne rasé). Signe de temps, tout le monde avait singulièrement perdu du poids. Après la rupture de la trêve de juillet, précisément au moment de l’offensive d’août des troupes du président Lissouba, Kintélé accueillit la dernière vague des Brazzavillois qui avaient cru à la fin des hostilités. La sortie des hélicoptères, le 26 août, chassa du village voisin, Ndjiri, des infortunés qui s’y étaient réfugiés. Kintélé les reçut et s’agrandit.

 La vie à Kintélé était très difficile. Les conditions sanitaires étaient quasi inexistantes : le petit dispensaire prévu pour quelques villageois avait éclaté sous le poids des immigrés. Comme si cela ne suffisait pas s’ajouta une calamité pire que la faim : le banditisme des hommes en armes. A Kintélé s’appliqua et se vérifia dans toute sa rigueur l’éternelle loi de la jungle selon laquelle l’homme est un loup pour l’homme. Car, ici, la mort était le sinistre compagnon des journées de beaucoup de réfugiés. On s’entre-tuait à tout propos : dans les débits de boisson, à l’arrêt des bus, dans les restaurants, pour n’importe quel motif : pour le droit d’aînesse, pour le cube Maggi, pour 500 FCFA, pour une mauvaise blague, pour s’être effleuré le corps sans le vouloir contre la petite amie d’un guerrier. N’importe quel motif provoquait l’engagement des balles et, ça partait immédiatement. » Kilikili té ! » Pas de blague! Ou encore « Deux fois té !», Jamais deux fois ! tels étaient les sinistres codes disciplinaires aboyés comme autant des mots de passe pour l’enfer par des combattants et des pillards prompts aux pires excès. (A suivre)

 

 

   

 

   
Ikkia Ondai Akiera