Evocation : Ossebi Oko et le bitumage de la route du nordOssebi Oko. Le village Ngankelé est situé sur la route nationale n°2 à quelque 30 km au nord de la ville de Gamboma, dans la préfecture des Plateaux. Refugié dans un petit bois qui dispute le territoire à une vaste savane, Ngankelé s’illustre de temps à autre sur la place publique de notre pays, honoré par les biographies de ses dignes fils. Le sergent-chef Moussa Eta y était né. Ce para- commando de glorieuse mémoire qui mourut en 1973 fut avec le célèbre sergent-chef Akouala « Maria » et le sergent-chef Likibi, à l’initiative du commando qui libéra le capitaine Marien Ngouabi le 1er août 1968, provoquant du coup un changement au sommet de l’Etat. Ngankelé peut aussi se vanter à bon endroit d’avoir vu naître sur sa terre le syndicaliste Ossebi Oko. Respectée et louée dans son giron familial et amical, la figure de l’orateur de la Confédération syndicale congolaise (CSC) disparu en 2017 n’évoque pratiquement rien pour le commun de nos compatriotes. Quels sont donc ses faits d’armes qui lui valent, aujourd’hui, les honneurs de notre tribune ? La noblesse de notre métier est de rendre à César ce qui est à César, de crier sur la place publique le mérite des uns et des autres, de rendre impérissable la mémoire de ceux qui apportent tant soit peu à notre humanité congolaise quelque doigt de lumière qui le guide dans son cheminement vers le progrès. L’histoire des voies de communications de notre pays est un livre aux pages ouvertes par le drame des porteurs qui convoyaient les colons aux temps du Congo français et du Moyen-Congo. La construction du Chemin de fer Congo-Océan de sinistre mémoire fut un autre drame dû en partie au manque de moyen de communication entre la côte atlantique et le fleuve Congo. Qui s’imagine encore aujourd’hui que les populations de la partie centre et nord du pays parcouraient des kilomètres à pied pour atteindre Brazzaville ? Les riverains des fleuves Oubangui et Congo et ceux de leurs nombreux affluents étaient, certes, mieux servis par la nature pour atteindre la capitale dont l’écho avait commencé à rompre le huis clos des villages. Les premiers habitants de la bourgade de Poto-Poto venus du nord du pays furent justement les riverains de ces deux fleuves et de leurs affluents. La terre ferme, où la densité des habitants au kilomètre carré était et reste très forte, était privée de Brazzaville et de ses échanges. Une première tentative d’attaquer cette privation vit le jour sous le barbare régime des travaux forcés. Une magistrale routière prit le départ à la sortie nord de Brazzaville, serpenta mille et un lieux, s’enfonça sur plus de 850 km avant d’atteindre la ville de Ouesso. La ville de Ntam à 300 km au nord de Ouesso à la frontière du Cameroun fut aussi atteinte. Cet effort permit la première unification physique du territoire congolais avec d’une part, les 510 km de la voie ferrée allant de Pointe-Noire sur l’océan Atlantique à son terminus fluvial à Brazzaville et, d’autre part, les quelques 1200 km de la voie carrossable de Brazzaville à Ntam à la frontière avec le Cameroun dans la Sangha. C’était, certes, un progrès. Cependant, en termes d’efforts à fournir pour rendre praticable, accessible, et moins rebutante en saison de pluie comme en saison sèche cette route, le puzzle restait entier. La route du nord attendait ses hérauts, et ses héros qui livreront bataille pour l’affranchir des obstacles naturels qui la rendaient redoutable à ses usagers. Le président Fulbert Youlou, un jour, retroussa l’une de ses chatoyantes soutanes armée d’une pelle et défia le serpent nordique. Il s’essouffla au bout de quelques pellées, fit un signe de croix pour les âmes que Mbamba, redoutable obstacle naturel sinueux et oblique, à l’entrée d’Inoni-Falaise, arrachait des gros porteurs qu’il culbutait dans le néant. Les révolutionnaires Alphonse Massamba-Débat et Marien Ngouabi retroussèrent vainement les manches quand ils prirent le relais de Youlou. Sous le président Denis Sassou N’Guesso, les conditions nécessaires et suffisantes de la bataille contre le serpent nordique furent réunies comme par miracle. Le lancement du plan quinquennal donnait la clé de la condition nécessaire pour engager la bataille. Par contre, la condition suffisante, déterminante pour engager cette bataille dépendait de la décision du comité central du parti unique, le Parti congolais du travail. C’est ici que l’originaire de Gamboma, Ossebi Oko, entra dans l’histoire du bitumage de la route du nord. Ossebi Oko ne manquait jamais une occasion de rabattre aux oreilles du président Sassou l’expression « Camarade président, la route du nord, le tronçon Etsouali-Ngo », chaque fois qu’il le rencontrait. Alors qu’il était syndicaliste, Ossebi détermina son discours politique pour la défense d’une cause d’intérêt général. La cause de la route du nord trouva en lui un défenseur acharné. Il mérita pour cela le surnom de « Route du nord » que partisans et adversaires lui lançaient à chacune de ses interventions pour cette cause. Avant le lancement du plan quinquennal, une session du comité central fut convoquée à l’effet de retenir les principaux chantiers à financer. Fallait-il retenir la construction de la route du nord ? Combien coûtera-t-elle ? Quel bénéfice tirera-t-on d’une débauche de moyens financiers dont l’estimation donnait le vertige ? Le comité central devait se prononcer. Naturellement traversé par la lutte des places au soleil de ses membres, quand il s’agit de tirer la couverture de son côté en matière de développement régional, le comité central balançât puis devint indécis. On s’acheminait vers un rejet du projet « Route du nord ». Les ténors issus du sud du pays ne voyaient pas le moindre bénéfice que générerait cette route. Du côté du nord, des voix très respectées reprirent en chœur les préoccupations des sudistes. Seul au milieu de la tempête, Ossebi Oko rama à contre-courant, affrontant d’énormes vagues. Avec une langue et un vocabulaire bien à lui, Ossebi rugit comme un lion, rejeta pied à pied les attaques de ses adversaires avec une telle énergie que son apologie de la nécessité de construire la route du nord fit retourner des chemises. Etourdi par les coups de boutoir de l’apologiste de Gamboma, le comité central vacilla puis retrouva subitement sa lucidité. Seul contre tous, Ossebi Oko venait de dessiller les yeux des membres du comité central en leur montrant la voie du progrès. Aujourd’hui, la route du nord est entièrement bitumée de Brazzaville à Ntam. Le serpent nordique est devenu un long fleuve noir aux multiples affluents. Ossebi Oko, cette étoile du comité central est tout à son ineffable repos au cimetière du Centre-ville de Brazzaville.
François Ikkiya Onday-Akiera |