Evocation : rue gabonaise, septembre 1962Une rue dans la tourmente, déchue de son appellation dans le bruit et la fureur. C’est la mésaventure vécue, en septembre 1962, par l’une des rues de Poto-Poto. La commune de Poto-Poto ne s’étend plus jusqu’à l’avenue des Trois Martyrs (ex avenue Jacques Opangault) comme jadis. Mais, pour les habitants des blocs de parcelles proches de la rue Mbochis, l’appellation « Poto-Poto » demeure, en particulier, chez les personnes âgées. La quatrième rue à partir de la rue Mbochis, en allant vers Moungali, est dénommée rue des Martyrs du 22 septembre 1962. Cette appellation est le résultat d’une débaptisation survenue en 1962. Auparavant, la topographie de cette zone l’avait répertoriée comme « la rue des gabonais ». Aujourd’hui, ses riverains se disputent sur sa vraie appellation en usage avant sa déchéance. Entre la rue gabonaise, la rue des Gabonais ou la rue du Gabon, les partisans s’échauffent qui soutiennent chacun sa version. Mais ces chauds esprits deviennent incrédules et muets quand on les interroge sur l’origine du changement du nom de cette rue. A peine, le passant trouvera-t-il parmi la jeune génération des gens qui mettront sur le plateau les déconvenues issues d’un match de football pour expliquer la mésaventure de l’appellation « rue des Gabonais ». En effet, aussi simple et aussi curieux que cela puisse paraître, aujourd’hui, le bruit et la fureur, consécutifs au match de football Congo-Gabon, qui se joua au stade Eboué, furent funestes à l’amitié entre les peuples des deux pays. C’était un match retour. La première manche s’était jouée à Libreville. Là-bas, les locaux avaient pris le dessus. Soumis à la loi du plus fort, les gens de Brazzaville avaient bu le calice jusqu’à trois gorgées. A la nouvelle de cette claque, les esprits s’étaient échauffés sur les bords de la rive droite du Congo. Un branle-bas de combat s’empara de Brazzaville et de ses habitants qui tentaient d’effacer par des gesticulations ce que d’aucun avait perçu comme une offense capitale. On démontrait comment les buts avaient été encaissés, les magouilles de l’arbitrage, les intrigues dans les couloirs, le stress des joueurs. On jurait de se venger. Les Gabonais, disait la rue à Brazzaville, s’étaient mis des charbons ardents sur la tête en nous humiliant : ils paieront le juste prix ! Tout se passait comme si l’équipe gabonaise, n’ayant jamais poussé le ballon dans son histoire, celle du Congo, se déplaçait à Libreville pour une petite ballade de santé. Cette rage vengeresse trouva un porte-parole à la voix tonnante en la personne du journaliste Clément Massengo alias Fu Manchu. Ancien footballeur prestigieux du club Diables noirs, Fu Manchu bénéficiait d’une vaste audience radiophonique dans le pays. Ses commentaires sportifs faisaient aussi le bonheur des lecteurs de l’hebdomadaire chrétien « La Semaine Africaine ». Un mois avant la rencontre- revanche, le journaliste ouvrait les hostilités à la manière des provocations qui précédent les grands matchs de boxe. Ses commentaires et autres diatribes, véritable match avant le match, enflammaient la fibre nationaliste de ses compatriotes. Clément Massengo menaçait les Gabonais de ramener sur les bords de l’Estuaire une addition très salée car, concluait-il : impossible n’est pas congolais ! Chauffés à blanc, les Congolais remplirent le stade Eboué, sûrs d’étouffer leurs adversaires. Au cours du jeu, on siffla un penalty que les visiteurs mirent un point d’honneur à refuser, menaçant de ne plus jouer. A la fin de la partie, Fu Manchu avait gagné son pari : les hommes de Libreville n’avaient pas pu sauver les meubles, dominés par 4 buts à 0. A rebours, ce résultat provoqua bruit et fureur à Libreville. Les choses se compliquèrent davantage quand l’entraîneur gabonais Tchang y alla de son récit pimenté de venin. M. Tchang, naguère habitant de Brazzaville, et, d’autres, se répandirent sur des violences et autres intimidations subies par les footballeurs de la berge atlantique qui auraient faussé le résultat du jeu. Pour les supporters gabonais, c’en était trop ! Les Congolais devaient payer ce forfait ! A défaut d’une nouvelle procuration à donner aux footballeurs pour laver cet affront, on se chargea de régler l’affaire au gourdin, dans la rue, avec le premier qui tomberait sous la main. Les choses dégénérèrent rapidement que, dans cette folie, on oublia que les mots « gabonais » et « congolais » étaient deux étiquettes coloniales affichées sur les corps des enfants d’un même peuple. L’agitation des villes gabonaises eut un écho à Brazzaville où des bandes agressives criaient vengeance. On vit le président de la République, l’abbé Fulbert Youlou en personne jouer au sapeur-pompier en criant à tue-tête en lingala « bo tika eeeh !bo tika eeeh », c’est-à-dire : cessez ! cessez ! Le même président Youlou se rendit ensuite sur le quai du port de Pointe-Noire accueillir 15000 Congolais que le gouvernement gabonais avait mis à l’abri des enragés. A leur arrivée à Brazzaville, le vice-président Jacques Opangault était débout à la gare centrale. En sens inverse, 8000 Gabonais rentrèrent au pays, sans trop comprendre à l’instar des Congolais qui revenaient du Gabon, la cause du déchaînement dont ils étaient victimes. L’un des derniers épisodes de cette histoire de passion footballistique devenue folie fut joué sur un terrain topographique. L’intitulé rue des Gabonais ou rue gabonaise fut pris d’assaut par des groupes de partisans. Le gouvernement ne trouva pas la parade pour protéger le terme gabonais contre lequel on s’acharnait. Au finish, la rue des Gabonais bascula vers la rue des Martyrs du 22 septembre 1962. Juste un éclat de voix de trop, un verre de bière de plus. Et, on casse tout. Passion quand tu nous prends ! François-Ikkiya Onday-Akiéra |